Les médicaments contrefaits se propagent de plus en plus au Liban. Ils gagnent les rayons des pharmacies, des dispensaires et des hôpitaux. Le phénomène pourrait prendre de l’ampleur faute de mesures radicales.

Le Liban est particulièrement touché par le fléau de la contrefaçon de médicaments. Alors qu’en Europe, 1 % des médicaments sont des faux, selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le phénomène est dix fois plus important au pays du Cèdre. L’estimation est fournie par les intervenants d’un colloque sur la contrefaçon organisé par Sanofi Aventis à Faraya Mzaar. « C’est une question de vie ou de mort. Un médicament n’est pas un simple produit de consommation. La contrefaçon d’un CD, par exemple, est tout aussi illégale, mais elle ne met pas en péril la vie humaine », souligne Ziad Nassour, ancien président de l’ordre des pharmaciens du Liban. Dans sa déclaration de Rome en 2006, l’OMS a ainsi qualifié la contrefaçon de médicaments d’« acte criminel ».
Au Liban, où 90 % des médicaments sont importés (en grande majorité d’Europe et des États-Unis), la consommation de ces médicaments moins chers « serait en augmentation pour la simple raison que le pouvoir d’achat des Libanais ne fait que chuter depuis l’appréciation de l’euro face au dollar », explique Nassour. Pauvreté, ignorance, complicité de certains pharmaciens mais également laxisme des autorités… font du Liban un terreau fertile pour l’infiltration de ces médicaments commercialisés par des réseaux internationaux. « Plus de 40 catégories de médicaments contrefaits ont été saisis dans un hôpital au Mont-Liban cette année », assure Nassour, sans plus de précisions. Le résultat de l’analyse de ces produits est alarmant : « Deux des médicaments saisis, utilisés pour le traitement du cancer, contenaient certaines capsules dépourvues de tout principe actif et d’autres étaient uniquement remplies d’eau ! » D’autres descentes ont révélé l’existence d’un bon nombre de médicaments contrefaits dans les rayons des pharmacies et des dispensaires. Par exemple, le Plavix, utilisé pour prévenir des accidents artériels, l’Augmentin, prescrit pour traiter les infections bactériennes spécifiques, le Leponex, destiné au traitement des schizophrénies graves, ou encore des médicaments d’usage courant comme le Panadol Extra ont été saisis sur le marché local au cours des dernières années. Selon Nassour, le pharmacien n’est pas le seul responsable. La qualité d’un médicament repose désormais sur une chaîne de responsabilité – allant de l’industrie à la distribution, en passant par l’enregistrement – qui doit être respectée et contrôlée. « Les pharmaciens sont exposés à une concurrence déloyale qu’ils ne peuvent pas contrer seuls. Il faut coûte que coûte réprimer les distributeurs de produits pirates avant que le phénomène ne se propage davantage », avertit Nassour.

D’où proviennent ces médicaments ?

Le Liban doit en effet faire face à un réseau mondial structuré de plus en plus puissant. Les plus grands industriels du piratage sont la Chine, l’Inde et l’Amérique latine. « Un peu plus de 30 % des médicaments contrefaits saisis en Europe proviennent d’Inde et 20 % de Chine », précise Jean-Pierre Foucher, pharmacien et académicien français. Dans ces pays, la loi est mal appliquée, car de gros intérêts sont en jeu, explique Ahmad Yacout, PDG de Sanofi Aventis au Proche-Orient. Quelque 500 000 comprimés de faux Plavix ont, par exemple, été saisis sur le marché chinois l’an dernier. L’Inde compte 15 000 laboratoires produisant des médicaments sans contrôle efficace, poursuit Foucher. « Les techniques de contrefaçon deviennent de plus en plus sophistiquées ; les contrevenants vont même jusqu'à imiter les hologrammes, censés identifier les marques originales ! » L’industrie de la contrefaçon est un secteur en soi : des fabriques spécialisées dans l’impression d’étiquettes prolifèrent aux côtés des usines de faux médicaments.
Si le phénomène dépasse largement les frontières libanaises, « les autorités locales ne doivent pas pour autant rester les bras croisés », insiste Me Walid Nasser, avocat du groupe Pharma et spécialiste dans le domaine de la propriété intellectuelle.

Laxisme des autorités

Or, malgré l’existence de plusieurs lois relatives à la protection des produits pharmaceutiques, la traque des contrevenants est peu efficace au Liban et les lenteurs de la justice à sanctionner les criminels réduisent l’effet de la répression.
Le cadre légal de la lutte contre la contrefaçon repose sur trois lois majeures – celle promulguée en 1924 sous le mandat français sur la protection des droits d’inventeurs, la loi adoptée en 1999 sur les droits d’auteur et celle promulguée un an plus tard pour la protection des brevets d’invention relatifs aux produits pharmaceutiques –, sans compter les lois relatives à la concurrence déloyale qui protègent indirectement les agents légaux et le consommateur contre les médicaments contrefaits. Mais le Liban ne bénéficie pas pleinement des possibilités de coopération internationale en termes de lutte contre la contrefaçon faute d’avoir ratifié le PCT (Patent Cooperation Treaty, un traité de coopération en matière de brevets d’invention relevant de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), ou l’ADPIC (Accord sur les aspects de droits de propriété intellectuelle qui touche au commerce), un autre traité relevant de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à laquelle le Liban n’a pas encore accédé.
Même s’il n’est pas complet, le cadre légal ne manque pas de fermeté, estime Kawkab Sinno, coordinatrice de l’association Brand Protection Group. Par exemple, l’article 92 de la loi n° 367 relative à l’exercice de la profession de pharmacien prévoit une « amende de dix à cinquante millions de livres et d’une peine d’emprisonnement d’un an à trois ans, ou de l’une de ces deux peines, à quiconque vend des médicaments falsifiés, introduits en contrebande, périmés, non enregistrés, ou dont le commerce est interdit ». Aussi intimidante soit-elle, la loi n’a d’effet que si elle est appliquée. Lorsque des contrevenants sont arrêtés, leur dossier est noyé parmi des centaines voire des milliers de cas divers examinés par un tribunal de grande instance ordinaire. L’absence de tribunal spécialisé dans les affaires de contrebande et de contrefaçon de médicaments ralentit le processus de prise de décision judiciaire. « Certains dossiers traînent depuis 1997 », déplore Kawkab Sinno.
En 2006, seulement deux saisies douanières ont eu lieu pour une valeur de 218 millions de livres libanaises, alors que plusieurs sources concordantes estiment à 50 millions de dollars le marché des médicaments de contrefaçon au Liban. La chasse aux faux produits pharmaceutiques est assurée par 30 inspecteurs du ministère de la Santé (dont 18, nouvelles recrues) dont le champ d’investigations couvre plus de 1 800 pharmacies, près de 800 dispensaires, 125 hôpitaux, 80 drogueries générales et huit fabriques locales…
Plusieurs experts aimeraient que les autorités agissent dans deux directions : systématiser et élargir les descentes pour saisir les faux ; créer un tribunal spécialisé dans les affaires de contrefaçon. Ziad Nassour souhaite aussi la création d’une autorité de régulation indépendante, sur le modèle de la FDA aux États-Unis et de l’APSAP en France, des organismes qui s’occupent exclusivement du contrôle de la qualité des produits importés et de la surveillance postmarketing. En attendant, une plus grande sensibilisation de l’opinion publique libanaise s’impose : « On aura ainsi résolu 50 % du problème », affirme l’ancien président de l’ordre des pharmaciens.



Un marché de 50 millions de dollars
Selon les estimations fournies par des spécialistes du secteur pharmaceutique, le marché des médicaments de contrefaçon représenterait 50 millions de dollars par an au Liban. Par comparaison, celui des médicaments est de 500 millions de dollars au total. Le piratage n’est pas propre à ce secteur. Une étude publiée en 2003 par PriceWaterhouse Coopers estime, par exemple, à plus de 75 millions de dollars par an le manque à gagner pour le Trésor libanais dû à la commercialisation de produits piratés de toutes sortes.


Générique, copie, contrefaçon

Un médicament contrefait est délibérément et frauduleusement muni d’une étiquette n’indiquant pas son origine véritable. Il comporte de nombreuses similitudes avec le produit original : nom commercial, couleur et forme de l’emballage, etc. Cependant, il ne contient en revanche aucun des principes actifs annoncés sur l’étiquette. Dans le meilleur des cas, ces principes actifs existent, mais à des doses différentes de celles annoncées.
La copie d’un médicament n’est pas u
ne contrefaçon, mais sa consommation peut se révéler tout aussi dangereuse. La copie porte généralement un nom commercial analogue à celui du produit original (exemple : Lanzor et Lansor) et sa composition chimique est plus ou moins similaire à celle du référent.
Contrairement aux deux autres, le médicament générique n’est pas dangereux pour la santé, à moins que sa fabrication ne se fasse en violation du droit de propriété intellectuelle, le risque étant que l’industriel maîtrise mal le procédé de production. Un générique est un médicament produit et vendu sous sa dénomination commune internationale (DCI, nom chimique de la molécule), sans marque spécifique. Par exemple, le Paracétamol est le nom générique du Panadol. La production de ces médicaments est autorisée après l’expiration de son brevet, ou en l'absence de brevet. En théorie, la posologie, les indications et contre-indications, les effets secondaires et les garanties de sécurité sont les mêmes.


Palmarès de la contrefaçon au Liban

Selon Ziad Nassour, les médicaments contrefaits retrouvés au Liban sont : Bromazépam, Ativan, Leponex, Augmentin, Lanzor, Xanax, Panadol Extra, Viagra, Cialis, Seroxat, Lorazépam, Diflucan, Zometa, Mabthera, Taxotere, Gynaecosid, Insulines, Lexotanil.


Un phénomène mondial

La contrefaçon de médicaments touche tous les pays du monde, notamment en raison de l’augmentation des ventes sur Internet, où la moitié des produits vendus seraient des faux. Mais, en général, les pays riches sont mieux protégés que les pays en voie de développement. Selon les dernières estimations de l’Organisation mondiale de la santé, la contrefaçon concerne 1 % des médicaments vendus en Europe, entre 10 et 20 % des produits pharmaceutiques des pays de l’ex-URSS. En 1990, à Haïti, une solution antitussive diluée dans un solvant toxique a fait 100 victimes. Cinq ans plus tard, au Niger, l’utilisation de faux vaccins au cours d’une épidémie de méningite a fait quelque 2 500 morts. Au Cameroun, 70 % des médicaments antipaludéens actuellement en circulation seraient contrefaits.
Face à l’expansion du phénomène, les mesures de contrôle deviennent désormais de plus en plus strictes. En 2006, les douanes européennes ont saisi 2 711 410 médicaments contrefaits en 497 saisies, soit 384 % de plus qu’en 2005. En France, plus de 360 000 comprimés de faux Viagra ont été interceptés entre février et mars 2006.
Plusieurs organismes internationaux s’activent pour mener une action mondiale plus efficace : la FIP (Fédération internationale pharmaceutique) regroupe les associations de pharmaciens de 89 pays dans le monde. Quant à la CIOPF (Conférence internationale des ordres des pharmaciens francophones), elle regroupe 31 ordres des pharmaciens de pays ayant en commun la langue française. Leur rôle : coordonner les efforts surtout en termes d’échanges d’informations.