Habitude alimentaire importée des États-Unis et d’Europe, la consommation de céréales
au petit déjeuner est en constante croissance dans les foyers libanais depuis 10 ans.
Sur le marché des céréales pour enfants au Liban, il y a un avant et un après-Poppins. Créée en 1997, cette société libanaise d’agroalimentaire revendique aujourd’hui 25 % de parts de marché (en valeur), selon Marwan Wehbé, directeur marketing de la société Daher International Food Company (DIFC) qui produit les céréales Poppins. Dans les rayons des supermarchés libanais, l’offre est relativement restreinte : le marché se résume à trois marques principales : Poppins, l’américain Kellogg’s (qui revendique 35 % du marché en valeur) et le suisse Nestlé. D’autres marques ne sont disponibles que dans un nombre restreint de points de vente, ce qui limite grandement leur taux de pénétration à l’échelle nationale. Par exemple, la société libanaise Admic – qui gère cinq enseignes Monoprix et un Géant Casino – distribue ses propres marques venant de France, ainsi que d’autres comme la néerlandaise Tilo’s. En volume, selon différents professionnels, le total des importations de céréales représente 65 à 70 % de la consommation libanaise.
Selon les agents, les producteurs et les distributeurs, ce marché est en nette progression ces dernières années. « L’arrivée de Poppins a énormément dynamisé le secteur, remarque l’un des concurrents de la marque libanaise. Même si les marques étrangères comme Kellogg’s et Nestlé ne s’adressent pas à la même clientèle, tout le monde a profité de cette nouvelle habitude alimentaire chez les Libanais. » Ainsi, selon les douanes libanaises, les importations des seuls pétales de maïs (corn flakes) sont passées de 1 100 tonnes en 2003 à 1 800 tonnes en 2007 (+63 % sur cinq ans) et de quatre millions de dollars en 2003 à 6,3 millions en 2007 en valeur (+57 % sur cinq ans).
Un marché de 20 millions de dollars
« Le marché libanais des céréales pour enfants représente un maximum de 20 millions de dollars », avance Peter Ward, directeur des achats chez Admic. Un chiffre qui devrait croître dans les années à venir. Selon Marwan Wehbé, la marge de progression est importante : « Manger des corn flakes au petit déjeuner est une tendance encore nouvelle au Liban, parfois mal perçue dans certains milieux. Nous nous efforçons de changer les mentalités à ce niveau, car pour beaucoup de Libanais, les céréales ne constituent pas un vrai repas. » Poppins – dont le chiffre d’affaires annuel est de sept millions de dollars – évalue ainsi le taux de pénétration de ses produits à 60 % de la population.
Pour atteindre cet objectif sur le marché local, la société DIFC ne lésine pas sur les moyens. Sa stratégie de communication est plus agressive que celle de ses concurrents. Basée sur le slogan “Proudly produced in Lebanon” (“Produit au Liban avec fierté”), la promotion des produits Poppins se fait à deux niveaux. La publicité directe d’abord, à la télévision comme le fait également Kellogg’s ou par voie d’affichage (pour trois sortes de céréales sur les dix existantes pour cette marque), par l’achat de pages de publicité dans des agendas d’écoles ou par le parrainage d’événements comme le Marathon de Beyrouth. La promotion se fait ensuite sur le terrain, au contact direct des consommateurs potentiels : les enfants. « Nous sommes en train de nous battre quotidiennement pour construire la réputation de notre marque. Sur l’année écoulée, nous avons distribué gratuitement nos produits pour les petits déjeuners des écoliers. Cette opération nous a coûté 50 000 dollars, mais devrait contribuer à accroître notre part de marché. » L’objectif est simple : les enfants essayent ces céréales à l’école et demandent à leurs parents de les acheter quand ils font les courses au supermarché. Poppins organise également des sorties pour les écoles, sur le site de production dans la Békaa, pour que les petits Libanais se familiarisent avec le mode de fabrication des corn flakes qu’ils mangent tous les matins.
Une consommation selon ses moyens
Même si le Grand Beyrouth semble concentrer la majeure partie des consommateurs de céréales, tous les Libanais sont des consommateurs potentiels de céréales, « l’achat de ce produit n’étant pas marqué socialement », explique Peter Ward. La différence se joue sur les marques et les prix. Chez Monoprix (qui s’adresse à une clientèle au pouvoir d’achat assez élevé) et Casino (dont la clientèle est un peu plus large), c’est la marque américaine Kellogg’s qui arrive en tête des ventes, devant Nestlé, les marques-maison et Poppins. « Sur le reste du territoire, dans les villes et les villages des autres régions, la marque libanaise arrive devant les céréales importées », selon un autre professionnel de la distribution, en charge d’une chaîne de supermarchés dont la clientèle est plus représentative de la population libanaise.
Poppins a en effet un avantage imparable face à ses concurrents étrangers : le prix de ses produits. « Nous pouvons vendre à 30 % moins cher que nos concurrents qui importent leurs marchandises, car nous n’avons pas les mêmes frais de transport », assure Marwan Wehbé. Dans le panier de ménagère qui a augmenté de 20 à 24 % en un an, selon un professionnel de la distribution, cette différence de prix est un atout, d’autant que cette concurrence est forcée d’augmenter ses prix de manière continue. En un an, les prix des céréales importées ont augmenté de 10 à 20 % selon les produits. « Il y a des seuils psychologiques à ne pas dépasser, remarque Peter Ward. Certaines boîtes à grande contenance de Kellogg’s frôlent les 10 000 livres, une barrière infranchissable pour les consommateurs. Pour nos marques (Monoprix et Casino), nous nous positionnons à 20-25 % moins cher que nos concurrents étrangers. Nous sommes obligés de réduire nos marges, car Admic a les mêmes frais de transport et de douane sur ce type de produits que Nestlé ou Kellogg’s. » Les céréales américaines, elles, sont importées du Royaume-Uni et d’Allemagne, et donc sujettes à des taux de change défavorables.
L’inflation n’épargne toutefois pas totalement Poppins. « Nous assistons à un nouveau phénomène, dit Ward, l’importation croissante de produits très bon marché en provenance d’Égypte. »
Des enfants aux adultes
Les marques de céréales considèrent les enfants comme une porte d’entrée sur un marché prometteur : les parents. Dans la gamme de céréales disponibles en supermarché se retrouvent en effet des produits spécialement destinés aux adultes. « Outre les céréales chocolatées pour les enfants, ce que nous vendons le plus sont les Special K de Kellogg’s, c’est-à-dire un produit synonyme d’hygiène alimentaire », assure Peter Ward, directeur des achats pour les magasins Monoprix et Casino. Poppins compte s’attaquer à ce créneau porteur. Selon Marwan Wehbé, directeur marketing de la marque, Poppins lancera courant 2008 un concurrent direct aux Special K, ainsi que des barres de céréales, celles-ci constituant une alternative plus saine d’un point de vue nutritionnel aux barres chocolatées très sucrées.
L’ambition régionale de Poppins
Poppins voit plus large que le seul marché libanais. Daher International Food Company SAL (DIFC), dont les actionnaires sont les frères Michel et Abdallah Daher, a investi plusieurs millions de dollars à la fin des années 90 dans une usine dans la Békaa pour être à la hauteur de ses ambitions. « Selon une étude que nous avons réalisée à l’époque, il y avait un marché à prendre, tant au Liban que dans la région, car nous serions les premiers à investir, explique Marwan Wehbé, directeur marketing de Poppins. L’absence de concurrence nous a fortement motivés. » Aujourd’hui, la société emploie 500 personnes et exporte 30 % de sa production annuelle (6 000 tonnes de céréales), principalement vers le Moyen-Orient (Syrie, Bahreïn, Irak, Jordanie, Émirats arabes unis, Qatar, Arabie saoudite et Yémen) et l’Afrique (Algérie, Maroc, Tunisie, Égypte, Soudan et Nigeria). « Nous commençons également à nous développer vers l’Europe de l’Est, comme en Bulgarie par exemple. »