Malgré la passion et la culture des
Arabes pour la chanson de variété –
« leur oreille est très avertie, voire
redoutable », constate la productrice Janane
Mallat –, le marché du disque arabe est quasi
inexistant, tant il a été gangrené par le piratage.
Les copies illégales représentent plus de 70 %
du marché au Liban, dans certains pays, comme
la Syrie, il atteindrait les 100 %. Les pouvoirs
publics n’ont en effet jamais considéré ce problème
comme une priorité, laissant la violation
des droits de propriété intellectuelle tuer lentement
mais sûrement le secteur. La mode du téléchargement
illégal sur Internet, bien que moins
importante que dans les pays développés, en raison
d’un plus faible taux de pénétration du Web,
n’a fait qu’accentuer un problème endémique.
De fait, selon un acteur du marché, un maximum
de huit millions d’unités (cassettes et
CD) sont vendues dans toute la région, dont
30 % d’artistes internationaux. Une misère
par rapport au potentiel du marché arabe :
vingt-quatre pays totalisant 355 millions
d’habitants. En France, par comparaison,
100 millions de “rondelles” sont vendues
pour 60 millions d’habitants. Sur le seul marché
libanais, pas plus de 550 000 copies
ont été vendues en 2007 (tous supports
confondus) pour un chiffre d’affaires de 2,5 à
3 millions de dollars.
Les ventes de disques ne représenteraient
que 3 à 20 % maximum des recettes d’un
artiste. Ce qui a fait fuir la quasi-totalité des
labels internationaux, laissant la place à
Rotana : le groupe du prince al-Walid ben
Talal est le seul à investir – massivement –
dans la production d’artistes locaux.
« Le marché ne s’est jamais structuré. Aucun
circuit de distribution ne s’est développé, à l’exception
de Virgin, le risque étant trop grand »,
explique le représentant d’un label international
pour justifier le désintérêt des grands groupes
comme le sien pour la production d’artistes
arabes. « Signer un artiste, produire son disque,
ses clips, ses apparitions télé… tout cela coûte
cher. Or, il n’y a pas de possibilité de rentabiliser
cela par le disque », poursuit-il. Pour produire un
album de qualité et deux ou trois clips, il faut
compter un minimum de 280 000 dollars, affirme
Karim Abi Yaghi, fondateur de la maison de
production Artist House. Aucune maison de production
internationale n’est capable d’assumer
de tels frais à perte.
Certaines – rares – petites structures régionales
se lancent malgré tout dans l’aventure et cherchent
à s’assurer un minimum de rentabilité à
travers des contrats assez contraignants pour les
artistes : « Nous signons un accord de management
avec tous nos nouveaux artistes en vertu
duquel nous nous réservons une commission de
35 à 50 % sur tous les revenus du sponsoring,
des concerts, etc. afin de couvrir les pertes que
nous subissons sur les ventes de disques,
explique Ghady Charara, directeur général de
Mazzika Entertainment Liban. Le contrat est
signé pour un minimum de trois ans pour que
nous rentrions dans nos frais. Bien sûr, les stars
n’acceptent pas ces conditions, mais les nouveaux
venus n’ont pas le choix. »
Dans un marché aussi difficile, la présence de
Rotana, qui affiche 127 artistes à son catalogue,
est considérée comme une aubaine.
Le bureau régional de LG, basé à Dubaï, a signé un contrat en 2007 avec la chanteuse libanaise Nawal el-Zoghbi.
Pas de droit d’auteur
Les artistes arabes sont particulièrement
handicapés par l’absence
de notion de droit d’auteur,
apparue très tardivement dans
certaines législations (comme
celle du Liban, en 1999) et
inexistante ailleurs. Résultat, hormis
Feyrouz, qui est aujourd’hui
la seule star libanaise à encaisser
des droits sur ses oeuvres, notamment
grâce à sa notoriété internationale,
aucun artiste ne compte
sur ces royalties pour vivre. Leurs
revenus dépendent des concerts,
des contrats publicitaires et de
leurs participations à des émissions
de variétés. Pour Amine Abi Yaghi, le manager d’Élissa, le
travail du label saoudien « est très important
pour la promotion et pour l’industrie du disque
en général ». Nagi Baz, partenaire de Star
System, la société de management des
jeunes artistes issus de la Star Academy,
entérine : « La présence de Rotana au
Moyen-Orient est inespérée. Comment les
artistes auraient-ils trouvé une solution pour
la production ? »
Au-delà des questions qui se posent à propos
de la viabilité économique du label – les
pertes de la maison de disque sont compensées
dans une logique de groupe –, cette
hégémonie est toutefois critiquée en douce
par de nombreux professionnels qui y voient
un danger pour la créativité. « Les artistes
sont enfermés dans une cage dorée, ce qui
les empêche d’exprimer leur personnalité.
D’un point de vue artistique, le modèle crée
des stéréotypes musicaux très étouffants »,
met en garde un producteur.
Paradoxalement, alors qu’il est à l’origine de
la crise du disque dans les pays occidentaux,
l’Internet pourrait représenter une lueur d’espoir
pour le marché arabe. Si des règles du
jeu claires sont adoptées pour le téléchargement
en ligne ou sur des téléphones mobiles,
les labels étrangers qui avaient fui la région
pourraient s’y intéresser à nouveau. « Nous
nous impliquerons éventuellement dans la
production au Moyen-Orient si un modèle
numérique viable se met en place, c’est-àdire
un circuit de distribution par l’intermédiaire
d’Internet et des réseaux de téléphonie
mobile », affirme Patrick Boulos, directeur du
marketing et du développement pour les pays
du Maghreb et du Moyen-Orient d’Universal
Music France. Top 7 des chanteurs arabes
les plus riches en 2005
(millions de dollars) Amro Diab 37
Feyrouz 34
Hani Chaker 32
Élissa 31
Georges Wassouf 27
Kazem Saher 22
Marcel Khalifé 18 Top 5 des meilleures ventes
d’albums en 2007 Waël Kfoury 1
Élissa 2
Feyrouz 3
Amro Diab 4
Nancy Ajram 5
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