Dans l’univers de la variété arabe, difficile
d’échapper à Rotana. Le label créé en
1987 par le prince al-Walid ben Talal est
omniprésent. La marque se décline non seulement
en une maison de disques dont le
catalogue comprend 127 artistes, mais aussi
en six chaînes de télévision, une radio, un
magazine et une chaîne de cafés. Le prince
saoudien a créé de toutes pièces l’univers de
promotion de ses stars qui, sans Rotana,
auraient du mal à exister. Aucun artiste ne
peut résister à cette machine de guerre
médiatique, qui lui garantit la meilleure visibilité
possible dans tout le monde arabe et dont
le propriétaire est l’un des hommes les plus
riches du monde, ce qui ajoute au prestige et
au rêve dont se nourrissent les auditeurs et
les téléspectateurs ; la boucle est bouclée.
Le principe de la maison est simple : elle signe
un contrat annuel avec les artistes – à qui elle
alloue une rémunération annuelle de 20 000
dollars minimum – et se charge en échange de
produire albums et clips. Le niveau de notoriété
des uns et des autres est déterminé en fonction
des ventes de disques et du nombre de SMS
générés par la diffusion des clips sur les différentes
chaînes du groupe. Les stars Rotana sont
ainsi catégorisées A, B ou C. Ce qui détermine en
fait les honoraires auxquels elles prétendent lorsqu’elles
se produisent en concerts ou sont les
invitées d’autres émissions de télévision.
Le mystère du modèle économique Rotana est
là : le groupe assure tous les investissements
pour lancer les artistes, mais ce sont eux qui en
récoltent ensuite les fruits directement, empochant
les recettes des concerts ou des contrats
publicitaires de plus en plus mirobolants, sans
rien reverser au label. Même leurs apparitions
télévisées sur des chaînes concurrentes sont
libres. « Les artistes estampillés Rotana contribuent
à forger les audiences des émissions de
la MBC et d’autres chaînes », souligne une
actrice du secteur.
Comment, dans ces conditions, le groupe
peut-il être rentable ? La question est sur
toutes les lèvres dans la profession. Pour les
uns, qui parlent sous couvert d’anonymat,
Rotana est une « danseuse » pour le prince
al-Walid ben Talal, qui ne soucierait pas vraiment
de ses bénéfices. Pour les autres, la
recherche de rentabilité se ferait au niveau du
groupe plutôt qu’à celui de chacune des entités
de la holding. Le but étant avant tout d’occuper
le terrain. « Nos chaînes se veulent une
passerelle vers la culture arabe qui accueille
tous les genres, tous les âges et tous les
goûts (…). Notre but est de briser les barrières
culturelles du monde arabe et d’exporter
notre héritage. Nous serons bientôt présent
dans chaque maison où on parlera l’arabe
», affirme un responsable de Rotana peu
disert sur les interrogations économiques
évoquées par Le Commerce du Levant.
En fait, le groupe Rotana a deux principales
sources de revenus. Les ventes de disques,
d’une part, et les recettes publicitaires de ses
chaînes et les SMS, d’autre part. Pour limiter
l’effet du piratage, la stratégie du label
consiste à diminuer ses prix. « À partir de
2005, nous avons baissé les prix de nos
disques de manière significative », dit Tony
Semaan, directeur du département Artistes &
Répertoire chez Rotana Beyrouth.
En ce qui concerne la télévision, Patrick Gholam,
directeur marketing de Rotana à Beyrouth,
explique que les contrats publicitaires sont signés
au niveau du groupe. « Près de 80 % des budgets
publicitaires arabes sont investis dans les
dix premières chaînes de la région, dont Rotana
TV fait partie. Que deux ou quatre sponsors
(sodas, montres, voitures) signent pour une de
nos émissions de variétés et nous couvrons nos
frais. » Or, ces derniers sont limités : les clips
qui passent en boucle sont la propriété du groupe
et, « contrairement à ce qui se pratique sur
d’autres chaînes arabes, les stars invitées ne
touchent pas de cachets, Rotana TV se contentant
de couvrir leurs frais de déplacement, si ce
sont des artistes étrangers ».
La maison signe
un contrat annuel
avec les artistes
à qui elle alloue une
rémunération annuelle
de 20 000 dollars
minimum