Deux Libanais, Paul Fakhri et Carl Azar, sont entrés dans le cercle très restreint des grands cabinets internationaux de chasseurs de têtes, un métier de plus en plus pointu, dominé par les Américains et les Européens. Le Commerce du Levant les a rencontrés à Paris. Les deux hommes ont un parcours étrangement similaire : de l’industrie automobile au conseil en recrutement. L’un a gardé des liens avec le Liban, l’autre aimerait les retrouver.

Paul Fakhri, Egon Zehnder International

Une imperceptible intonation de la voix dévoile les origines libanaises de Paul Fakhri, devenu en 2006 associé de l’un des cabinets de chasseurs de têtes les plus prestigieux du monde. Egon Zehnder International est spécialisé dans le recrutement des cadres dirigeants, les nominations en conseils d’administration, la gestion de talents... Créé en 1964 par le Suisse éponyme, le cabinet est numéro un dans le monde, hors États-Unis. Il se situe dans le top 5 mondial d’un secteur dominé par les Américains.
Entré dans le cabinet en 2000, Paul Fakhri s’occupe aujourd’hui de la branche industrie. Il anime une équipe d’une vingtaine de personnes qui couvrent la France, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Italie, l’Espagne et le Portugal.
Cette compétence, Fakhri l’a acquise à travers un parcours de plusieurs années dans l’industrie, en particulier l’automobile. Il admet que le secteur compte peu de Libanais – « je n’en ai jamais recruté ! » –, beaucoup plus nombreux dans la finance. À une exception de taille : le désormais célèbre Carlos Ghosn, devenu PDG de Renault. Selon la presse, son passage de Michelin à Renault aurait d’ailleurs été arrangé par Egon Zehnder. Une information que Paul Fakhri refuse de confirmer ou d’infirmer.
Diplômé de l’École des ponts et chaussées de Paris qu’il a intégrée en 1988, Fakhri a commencé sa carrière chez Lebranchu, une PME familiale dans l’équipement automobile. Il décroche aussi un MBA au Collège des ingénieurs à Paris, cofondé par l’École des ponts et chaussées. Le collège se faisant en alternance, pendant un an, en entreprise, il a collaboré avec le grand équipementier Valeo pour une mission dans l’organisation industrielle de huit sites français de la branche éclairage et signalisation. Même sa coopération militaire, en 1993, est axée sur le secteur automobile. L’ingénieur civil est alors chargé de créer dans la banlieue de Turin une usine pour servir Fiat, dont il dirige ensuite la production. Par la suite, il rejoint Andersen Consulting à Lyon, en octobre 1994, en tant que consultant en organisation et mise en œuvre de système d’information dans l’industrie, mais aussi dans les médias et la téléphonie mobile. Au bout de cinq années de collaboration, Paul Fakhri a acquis deux domaines de spécialisation : l’industrie et la technologie. Une polyvalence qui, selon lui, a ravi les recruteurs du cabinet Egon Zehnder.
Lui aussi a été séduit par le métier de chasseurs de têtes : le travail en équipe, la rencontre de personnes différentes avec des parcours, des personnalités, des compétences, des désirs d'évolution tout aussi différents… Il décide donc d’entreprendre le long et fastidieux processus de recrutement mis en place par Egon Zehnder, car toute nouvelle recrue est amenée à devenir associée un jour : le programme compte une vingtaine d’entretiens, avec autant de consultants différents, dans trois langues distinctes, ainsi qu’une rencontre avec le fondateur Egon Zehnder.
Paul Fakhri est très admiratif de ce personnage emblématique qui a « inventé un système de management unique ». Egon Zehnder, qui comprend quelque 365 consultants présents dans 38 pays, est en effet un « cas de management pour des cursus de MBA, dont celui de la Harvard Business School », dit-il. Par exemple, les consultants ne sont pas rémunérés au succès, mais à l’ancienneté. Côté honoraires, Egon Zehnder se différencie aussi : « Des honoraires forfaitaires sont attribués et réglés par avance pour chaque mission. Dans les autres cabinets, le montant est fixé en fonction du salaire de la personne recrutée. » L’objectif est de « garantir une certaine forme de liberté de conseil, que ce soit sur l’entreprise ou la personne recrutée. Sans enjeux financiers, les relations sont différentes ».
Né à Beyrouth en 1967, le jour de Noël, d’une famille originaire de Bécharré, Fakhri a gardé très peu de liens avec le Liban qu’il a quitté en octobre 1975, à l’âge de huit ans. Son frère, designer en Italie, et sa sœur, joaillière à Hong Kong, en sont tout aussi éloignés. La famille Fakhri – son père est cardiologue – s’est installée à Lyon où il a grandi et passé le bac avant de gagner la capitale pour des classes préparatoires à l’école privée Sainte-Geneviève de Versailles. Marié, père de quatre filles âgées de sept à quinze ans, Paul Fakhri partage aujourd’hui sa vie entre Paris et Lyon où il développe depuis cinq ans, avec un collègue, l’activité “France hors Paris” d’Egon Zehnder. Il n’est plus retourné au Liban depuis un court séjour à l’été 1977, mais, après « du temps pour s’en convaincre », il aimerait le faire. Ce sera peut-être cet été pour le mariage d’une cousine, si la situation le permet. L’installation d’Egon Zehnder à Dubaï il y a trois ans le rapproche en tout cas de la région. « Le bureau a connu un énorme succès auquel a fortement contribué un consultant libanais recruté sur place Eduen Mobayed. »

Carl Azar, Russell Reynolds Associates

« Have fun ! » (Amuse-toi) : le slogan trône sur le bureau de Carl Azar, place Vendôme, à Paris. C’est l’une des huit valeurs fondamentales du cabinet de recrutement Russell Reynolds Associates, un leader dans son domaine : le recrutement de cadres-dirigeants. En France par exemple, le cabinet réalise 19 millions d’euros de chiffre d’affaires et compte 17 consultants. Carl Azar suit la règle à la lettre. Sourire aux lèvres, il prend plaisir à son métier de contact « qui est à la fois une science, pour la stratégie de recherche d’un profil adéquat, et un art, pour réussir à finaliser des recrutements parfois créatifs ». Ce Libanais né à Beyrouth en 1965 est entré au cabinet en 2000, après avoir travaillé pendant une dizaine d’années pour Michelin, le géant français des pneus. Il s’occupe maintenant du secteur industrie du cabinet, en France et à l’international, sillonnant le Moyen-Orient et l’Asie la plupart de son temps.
Carl Azar a toujours voyagé. Il a quitté le Liban à peine âgé d’un an. « Mon père avait été nommé directeur général de la Middle East Airlines en Belgique », explique-t-il. C’est alors que commence le “cursus” international du jeune Carl. Trois ans à Bruxelles, puis cinq à Vienne, et cinq autres années à Francfort. En 1979, cap sur la France où il termine ses études, en tant qu’interne au Lycée international de Sophia-Antipolis, à Nice, ses parents étant encore en Allemagne. « Ils y sont restés 18 ans, la guerre ayant bloqué les mutations au sein de la MEA. » Le bac en poche, il est admis en classe préparatoire au Lycée Louis-le-Grand à Paris avant de rejoindre la promotion 1985 de l’École polytechnique et 1987 de l’École supérieure des mines de Paris. Polyglotte – il parle cinq langues –, Carl Azar est attiré par une carrière internationale. Il rejoint alors Michelin et part pour le Japon en 1991. Sa mission ? Démarrer les automatismes de fabrication d’une nouvelle usine. À son retour en France, une année plus tard, Carl Azar devient commercial, à Lyon. « Je devais être le deuxième ingénieur que François Michelin acceptait de transformer en commercial. Il expliquait ne pouvoir faire l’inverse ! » raconte-t-il. En 1993, il prend en charge les comptes Renault et Matra automobiles, à Paris, où il démarre en parallèle un Executive MBA à l’École supérieure de commerce de Paris, maintenant ESCP-EAP.
Nommé directeur des ventes et des projets pour tous les constructeurs automobiles japonais, il repart au Japon en 1995. En trois ans, les ventes de Michelin aux constructeurs nippons passent de « 60 à 100 millions d’euros », se rappelle-t-il. En 1998, Carl Azar fait son retour sur le Vieux Continent, grimpant encore les échelons du groupe familial.
Habitué des fonctions à haute responsabilité, il savait son avenir resserré autour du siège, à Clermont-Ferrand. « Pour être franc, ma femme et moi n’étions pas sûrs de vouloir nous y installer sur le long terme. » C’est alors qu’il décide de “s’ouvrir” au marché. La combinaison de son cursus, spécialisé et internationalisé, séduit plusieurs cabinets de recrutement. Il choisit Russell Reynolds Associates qu’il intègre à l’issue d’une quinzaine d’entretiens effectués dans plusieurs langues et plusieurs pays. Cette société américaine fondée en 1969 est, avec Egon Zehnder et Spencer Stuart, l’une des trois plus grandes mondiales à répondre à un modèle de réseau totalement intégré. Désormais coopté associé, Azar est chargé de débaucher des personnes hors du commun pour des nominations en conseil d’administration, ou des postes de direction de sociétés. Outre le recrutement, Russell Reynolds Associates, fort de ses 40 bureaux à travers le monde, a également bâti sa réputation sur le conseil. « Beaucoup d’entreprises font appel à nous pour connaître la manière dont évolue le marché des dirigeants, ainsi que les organisations et la culture des entreprises concurrentes », explique Carl Azar.
Père de trois enfants, âgés de six à 14 ans, Carl Azar a gardé des liens très forts avec son pays natal. Enfant, il y passait ses vacances, « jusqu’à ce que la guerre éclate ». Il n’ose ensuite y retourner qu’en 1992. Marié à une juriste libanaise résidant en France depuis l’âge de 10 ans, ils viennent désormais au Liban chaque année en famille pour se ressourcer pendant les vacances – « sauf les deux dernières années ». Depuis huit ans, il avoue n’avoir finalisé le recrutement que d’un seul Libanais, dans l’industrie, pour son ancien employeur, Michelin. Car, la plupart des Libanais « évoluent plutôt dans la finance ».Dans le top 5 mondial
Selon le classement établi pour 2006 par le Executive Recruiter News de Kennedy Information, Egon Zehnder International et Russel Reynolds Associates figurent au top cinq des cabinets mondiaux de recrutement des cadres dirigeants avec respectivement 449,5 et 430,6 millions de dollars de chiffre d’affaires. Egon Zehnder est le seul européen parmi une vingtaine de cabinets américains, leaders mondiaux du secteur.
Deux des cinq premiers de la liste, Heidrick & Struggle et Korn Ferry International, sont cotés en Bourse. Les trois autres, Spencer Stuart, Russell Reynolds et Egon Zehnder, sont des réseaux mondiaux d’associés totalement intégrés. Cette notion induit une plus grande capacité d'échange et d'entraide internationale, des outils communs, etc.
Tous les autres cabinets de taille mondiale sont en fait des réseaux de franchisés rassemblés autour d'une marque. Il existe d’autres structures intégrées, mais de taille plus petite, comme Éric Salmon qui couvre la Grande-Bretagne, la France et l’Italie...