Se rêvait-t-il aventurier ? À dériver sur les fleuves des jungles tropicales, chercheur de trésor Inca ou chevalier servant de princesse mongole ? À l’image d’un Agent XIII ou d’Achille Talon, les héros des bandes dessinées de son enfance, qu’il lit toujours avec délectation, Joe Saddi, semble poser en permanence un regard étonné sur le monde. S’amusant de ses méandres, les analysant, les distanciant pour mieux en comprendre la portée. Car, ce qui caractérise Joe Saddi c’est bien la discrétion cultivée comme art de vivre. Sans bruit et presque incognito, le voilà à 49 ans, nouvellement élu président du conseil d’administration du cabinet de conseil en management américain Booz & Company. Sa nomination intervient dans le cadre de la réorganisation du cabinet d’audit américain Booz Allen Hamilton, en mai dernier. Celui-ci a en effet vendu son activité de conseil au gouvernement américain (18 000 employés, 80 bureaux dans le monde, 2,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2007) au fonds de capital-investissement Carlyle pour un montant de 2,54 milliards de dollars. Recapitalisé par ses associés Booz & Company, désormais centré sur le conseil aux entreprises, conserve toutefois sa structure originelle avec 3 300 employés, 57 bureaux dans le monde pour un chiffre d’affaires de 1,36 milliard et une croissance de 18 % en 2007.
« Ce recentrage fonctionne dans l’intérêt des deux parties. Les deux activités divergeaient de plus en plus tant au niveau du management que du business model, des missions, des normes de régulation. Nous avons choisi d’appliquer à notre structure les conseils que nous donnons aux autres : assurer une bonne gouvernance en séparant les rôles et les pouvoirs », explique Joe Saddi. Rebaptisé Booz & Company, le cabinet démarre son activité avec un objectif de croissance « de l’ordre de 30 % pour les prochaines années. »
Pour Joe Saddi, son élection au poste de président du conseil d’administration de Booz & Company est la consécration d’un pari professionnel autant que personnel. Ce Franco-Libanais est, en effet, revenu au Moyen-Orient en 1993 pour ouvrir le premier bureau au Moyen-Orient de Booz Allen Hamilton, à Abou Dhabi (Émirats arabes unis). Depuis, quatre autres officines, à Dubaï, Riyad, Le Caire et Beyrouth, sont venues parfaire le développement régional. « Avec Charles el-Hage (un compatriote), aujourd’hui senior vice-président de Booz & Company, nous avons persuadé Booz Allen de nous confier le Moyen-Orient et les pays du Golfe. Nous pensions que le potentiel de la région était inexploité. » Grand sourire, avant d’avouer aussi derrière l’excuse professionnelle un dessein plus personnel : « Nous voulions l’un comme l’autre revenir y vivre. » Un souhait intime qui s’est avéré un atout majeur dans sa carrière : Booz & Company pariant sur les marchés émergents, le nom de Joe Saddi s’est vite imposé. Dans un entretien accordé au Financial Times (mai 2008), Shumeet Banerji, président, aux manettes de Booz & Company, affirmait d’ailleurs qu’il ne serait pas étonné si, d’ici à cinq ans, 40 % des revenus du cabinet provenaient de pays extérieurs à la zone européenne ou aux États-Unis.
La liste des clients de Booz & Company inclut des groupes comme BP, General Motor ou la Bourse de New York. Au Moyen-Orient, le groupe américain conseille notamment Saudi Telecom Company (STC). Le cabinet d’audit américain aide cette entreprise publique à revoir sa stratégie en Arabie saoudite, son pays d’origine, en analysant les résultats de chacun des secteurs des télécoms dans lesquels STC est positionné (lignes fixes, téléphones mobiles, réseaux Internet en particulier). Il l’accompagne également dans son expansion à l’international.
« Le gouvernement d’un pays du Golfe nous a aussi demandé de refonder la structure organisationnelle de ses différents ministères et des organismes étatiques. Aujourd’hui, l’expertise terminée, nous les accompagnons toujours dans la mise en œuvre. » À écouter Joe Saddi, la valeur ajoutée de son cabinet réside d’abord dans sa capacité d’adaptation. « Beaucoup de nos consultants ont, comme moi, une double expérience entre l’Orient et l’Occident. Les problèmes ici sont souvent identiques à ceux que l’on rencontre aux États-Unis ou en Europe. Comment réorganiser une branche d’activité, optimiser son fonctionnement ? Comment finaliser la privatisation d’une société ? Mais le chemin qui y mène, lui, est très différent. Il faut tenir compte du contexte politique, des valeurs portées par la société dans laquelle nous intervenons et tenir compte de l’acceptabilité de la réforme envisagée… La vitesse d’application varie en fonction de ces facteurs. » Au Liban, Booz & Company, dont l’installation date de 1999, collabore avec certains des plus importants groupes du pays. « Nous les aidons à introduire des règles de bonne gouvernance : en particulier à différencier les actionnaires des managers principaux. Nous collaborons avec certaines des grandes entreprises familiales qui veulent se recentrer sur un secteur donné plutôt que s’éparpiller sur de multiples activités. Nous les soutenons lorsqu’elles s’internationalisent ou, au moins, se régionalisent. »
D’une expertise théorique faire une réalité de terrain, voilà le but de Joe Saddi. Une volonté qui parfois bute devant les nécessités, les vicissitudes des sociétés politiques. Le Liban par exemple : « En termes d’expertises réalisées, le Liban est surdocumenté. Paris III notamment contient presque toutes les réformes à mettre en œuvre. Mais leur application est une autre partie de manche... » Comme les héros des bandes dessinées de son enfance, Joe Saddi n’aime pas que le monde se refuse à sa volonté. Il sait cependant s’y plier, persuadé qu’à toute fin, le héros finit toujours par gagner.
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