Fondée en 1933 par Joseph Abillama, ancien collaborateur de Charles Corm (premier concessionnaire de Ford au Moyen-Orient), la Carrosserie Abillama vient tout juste de souffler ses 75 bougies. La société familiale est historiquement la première carrosserie du Moyen-Orient, ses premiers concurrents régionaux ayant émergé dans les années 1970. « Tous sont d’anciens de chez nous qui ont fondé leur entreprise dans le Golfe », explique le directeur général Daniel Abboud. Dans un secteur où le facteur de proximité est essentiel, étant donné le volume des produits, elle est aussi l’une des seules de la région à s’exporter jusqu’en Afrique.
Le métier de carrossier tient à la particularité des camions, qu’il est très difficile de produire en série, en raison de la diversité de la demande, de la benne à la citerne, en passant par le porte-engins, le véhicule frigorifique ou de type “brasserie”. « Aucun fabricant de camion ne produit de carrosserie, il ne pourrait pas satisfaire la demande qui est très variée et spécifique », explique Daniel Abboud. D’où la spécialisation d’une catégorie d’acteurs du secteur dans la carrosserie. Les plus grands noms étant américains, allemands, brésiliens, et maintenant chinois.
La Carrosserie Abillama réalise en moyenne 400 à 500 contrats (certains portent sur plusieurs unités) chaque année dans son usine de Dbayé qui emploie 130 personnes. Son marché naturel est le Liban, où elle détient une part de marché de 70 % du segment des véhicules lourds, ce dernier étant d’une centaine d’unités par an.
Les clients d’Abillama se partagent à parts égales entre particuliers et acteurs publics (Défense civile, armée, FSI, CDR…). La concurrence locale provient surtout de gros artisans, qui se spécialisent souvent dans un type précis de camion et proposent des prix bien moins élevés, notamment en occasion. « Plus le produit est complexe et son prix de vente élevé, plus notre part de marché augmente. Nous vendons par exemple la quasi-totalité des bennes à ordures au Liban, mais très peu de véhicules utilitaires légers, comme les pick-up, les fourgons ou les frigos », précise Daniel Abboud.
Globalement, le marché libanais de la carrosserie industrielle est de toute façon relativement étroit, sans compter qu’il absorbe peu de semi-remorques, les routes étant trop étroites, alors que la demande pour cette catégorie de véhicules est en pleine expansion dans le monde. Il représente entre trois et quatre millions de dollars par an, avec 200 camions lourds importés en 2007, dont la moitié a été réexpédiée à l’étranger.
C’est donc sur les exportations que la Carrosserie Abillama a toujours tablé pour augmenter son chiffre d’affaires : elles ont représenté 80 % des 10 millions de dollars de ventes en 2008 et même 95 % l’année précédente. Dès les années 1950, la petite entreprise avait déjà bien compris l’importance du marché régional, puisque, après avoir honoré ses premières grosses commandes de camions pour l’armée française pendant le mandat, elle a livré des véhicules en Syrie et en Palestine. Mais la zone du Levant n’est plus une aire privilégiée. « Le marché régional n’a pas vraiment grandi, avec un chiffre d’affaires qui ne dépasse pas les 20 millions de dollars et souffre comme au Liban de la concurrence de petites usines, qui se lancent de plus en plus dans l’exportation », assure Daniel Abboud.

Fin de l’âge d’or dans le Golfe

L’âge d’or des exportations dans le Golfe, lancées sur les chapeaux de roue au début des années 70 en Arabie saoudite, semble lui aussi révolu. Le marché de la carrosserie industrielle dans le Golfe est pourtant en plein développement, avec environ 100 000 dollars de chiffre d’affaires annuel et près de 15 000 camions lourds importés. Mais la carrosserie libanaise doit faire face à la montée en puissance des concurrents locaux et régionaux, qui se sont multipliés, tout en améliorant la qualité de leurs produits. Une quinzaine d’usines ont fleuri dans le Golfe ces dernières années, créées par des agents locaux (al-Mutlak ou AMI en Arabie saoudite, Gorica, Atlas et al-Jaber aux Émirats…), sans compter deux autres « poids lourds » qui exportent dans la région : l’Égypte et l’Iran (dont la compagnie nationale Mammut a ouvert une usine à Dubaï). Abillama avait elle-même ouvert une usine en Arabie saoudite en 1975 avec un partenaire saoudien, qui a finalement racheté ses parts en 2000. Par rapport à ses concurrents du Golfe, la Carrosserie Abillama doit ajouter des frais de transport importants, de l’ordre de 3 000 dollars par camion. Et ses prix sont parmi les plus chers du Moyen-Orient, une tendance qui a encore été accentuée par l’euro fort. « Nos prix ont augmenté de plus de 50 % entre 2006 et 2008 avec la hausse du coût des matières premières (acier, pneus, essieux…), qui proviennent en majorité d’Europe », explique Daniel Abboud. La majorité des clients de l’usine libanaise dans le Golfe sont des entrepreneurs dans le domaine des travaux publics ou de la construction, le reste se répartissant entre transporteurs et sociétés pétrolières. « Si nous avons perdu des parts de marché, notre réputation de qualité reste excellente, car, outre notre ancienneté, nous sommes probablement les seuls à disposer d’un véritable bureau d’étude en mesure d’adapter la carrosserie aux besoins des clients, alors que la majorité de nos concurrents se contente de copier des modèles. »
Mais au Moyen-Orient, Abillama doit se contenter « d’une marge de 5 % contre 10 % pour la plupart de nos concurrents », dit le directeur général. D’où la recherche d’autres débouchés.

Nouveaux débouchés

Depuis la fin des années 90, la Carrosserie Abillama est devenue un sous-traitant officiel de constructeurs européens pour leurs ventes dans la région. En 1998, l’usine libanaise est ainsi devenue un fournisseur officiel de Renault, puis elle a passé des contrats avec Volvo, Scania ou M.A.N. « Ces constructeurs veulent expédier leurs camions dans la région, notamment en Irak et en Libye, et font fabriquer une partie chez nous, au Liban. S’ils veulent par exemple vendre des camions-citernes, nous leur vendons la citerne et le montage, à partir du tracteur importé d’Europe », explique Daniel Abboud. Ce type de ventes a littéralement explosé à certaines périodes, notamment en 2003, grâce à l’Irak, au point de représenter 85 % du chiffre d’affaires de la société. Désormais, les commandes de constructeurs européens sont retombées à 20 % des ventes. « Ils se sont plutôt recentrés sur leur marché interne et livrent moins à l’étranger. » La Carrosserie Abillama développe donc davantage une stratégie déjà entamée depuis 1996 : le développement des exportations vers l’Afrique de l’Ouest. Un marché au gros potentiel, avec environ 6 000 camions lourds importés en 2007. Depuis 2002, les ventes ne cessent d’augmenter dans une dizaine de pays africains, où Abillama exporte 60 % de ses produits. Les clients sont essentiellement des sociétés pétrolières (Exxon, Total ou Shell) et des transporteurs de produits de distribution (en particulier les matières en “vrac” comme le blé ou le cacao). Malgré l’inconvénient du coût de transport – environ 10 000 dollars pour acheminer un semi-remorque en Afrique de l’Ouest –, la zone est intéressante à plus d’un titre, car Abillama est bien armée face à la concurrence européenne. « En vendant 10 % moins cher qu’eux, nous réalisons malgré tout une bonne marge », explique Daniel Abboud. « En plus, nos modèles sont mieux adaptés aux pays en voie de développement, car ils sont plus robustes. Les standards européens sont plus légers, mais conçus pour des routes en bon état », ajoute le directeur général de la Carrosserie libanaise.


Une grande variété de produits

La Carrosserie Abillama conçoit, fabrique, transforme ou adapte différents véhicules de transport. Certains de ces véhicules sont dits “rigides”, c’est-à-dire qu’un même châssis supporte la cabine et un volume de chargement. Le “châssis-cabine” non carrossé est directement fourni par le fabricant et le carrossier fabrique la carrosserie du véhicule, l’assemble, la monte sur le châssis, puis adapte les éléments complémentaires demandés par le client. Pour les semi-remorques en revanche, indépendantes de la partie motrice, le fabricant fournit le “tracteur” avec le moteur, mais c’est le carrossier qui prend en charge toute la construction de A à Z : le châssis et la carrosserie. D’où la variété des produits proposés qui se classent en plusieurs grandes catégories :

Les véhicules de chantier.
Ce sont des bennes, c’est-à-dire des camions transportant des matériaux de construction.

Les véhicules de distribution.
Ce sont des fourgons ou des plateaux en mesure de supporter différents types de conteneurs, ainsi que des véhicules frigorifiques.

Les transporteurs de véhicules.
Ils servent à charger des chars de l’armée, des voitures, ou des véhicules lourds.

Les équipements de manutention.
Il s’agit de grues, de rayons élévateurs, montés sur des véhicules.

Les véhicules d’urgence.
Ambulances, véhicules de pompiers…

Les camions-citernes.
Pour l’eau, le carburant…

Les véhicules municipaux.
Il s’agit surtout de bennes pour la collecte et le compactage des déchets.

Transport de vrac.
Il s’agit de citrenes avec un système de décharge pneumatique; conçues pour le transport de marchandises granulaires ou pulvérulentes (ciment, farine, potasse...).