Quand il s'agit des perspectives de croissance mondiale pour 2009, les analystes du Credit Suisse et de Merrill Lynch s'accordent sur un point : elle ne sera pas aussi noire que 2008, mais la reprise ne devrait pas avoir lieu cette année. Pour le Credit Suisse, « 2009 sera, surtout au second semestre, l’année de la stabilisation », tandis que, selon Merrill Lynch, la récession actuelle, due à une déflation des actifs et à la contraction du crédit, qui est la plus forte depuis la Seconde Guerre mondiale, durera au moins jusqu’au premier trimestre 2010.

Interventions étatiques

La stabilisation sera surtout le résultat des différents plans de relance décidés dans les principales économies de la planète. « Les gouvernements ont agi sur différents fronts pour stabiliser le domaine financier en tant que tel, notamment à travers la garantie des dépôts, la recapitalisation des banques ou, surtout aux États-Unis et au Royaume-Uni, la garantie des crédits à moyen terme des banques. Parallèlement, ils ont adopté des programmes de stimulation économique sans précédent. On parle beaucoup du plan Obama aux États-Unis, mais il y en a aussi en Europe, en Chine, au Japon, en Australie et au Moyen-Orient. Toutes ces mesures vont commencer à produire des effets », dit Lars Kalbreier du Credit Suisse, qui estime la croissance mondiale à 2,8 % en 2009. Certains signes sont déjà encourageants, poursuit-il, citant les taux interbancaires, un indice de confiance important, dont le niveau a baissé par rapport à septembre 2008, date de la faillite de Lehman Brothers.

Baisse des taux

Globalement, la baisse des taux d’intérêt devrait servir de levier pour la reprise du crédit, variable cruciale de la relance. Ces derniers sont à des niveaux historiquement bas dans la plupart des régions, souligne le Credit Suisse, qui cite ceux de la Banque d’Australie, à un plus bas depuis 45 ans. « La baisse des taux va se poursuivre, même la Banque centrale européenne y est contrainte », confirme Merrill Lynch.
Les responsables des politiques économiques et monétaires ont deux repères historiques pour les guider et éviter de réitérer les erreurs du passé : la crise des années 1930 et celle du Japon en 1990, fait valoir Lars Kalbreier du Credit Suisse. « Dans les années 1930, comme au Japon plus tard, les dirigeants ont cru que l’explosion de la bulle financière était uniquement due à de la spéculation et qu’elle n’aurait pas d’impact sur l’économie réelle. Le plan de relance à la consommation n’est intervenu qu’en 1935 avec le New Deal de Roosevelt, soit cinq ans après le déclenchement de la crise, alors que le chômage était déjà à 25 %. Quant au Japon, sa première réaction a été d’augmenter les taux d’intérêt et les banques n’ont été recapitalisées que huit ans après le début de la crise, en 1998. Cette fois, il a fallu à peine quatre mois pour prendre des mesures de politique monétaire, de stimulation économique et de stabilisation du système financier. Car le débat “Wall Street vs Main Street” a rapidement fait long feu et il est apparu très vite que les dysfonctionnements des marchés ont un impact sur l’économie réelle. »
Gary Dugan de Merrill Lynch avertit toutefois qu’il faut relativiser l’impact des plans de relance. « La destruction de capitaux limite les possibilités de reprise, de même que le phénomène de désendettement et de réduction de l’effet de levier (deleveraging) réduit fortement le potentiel de croissance.

Désendettement

Pour Merrill Lynch, qui table sur une croissance mondiale de 1,2 % en 2009, « l’ajustement vient tout juste de commencer, avec une baisse du niveau de la dette américaine. Il faudra au moins deux ou trois ans pour retrouver une croissance significative. En attendant, le chômage va continuer d’augmenter. Même quand la croissance sera positive dans certaines zones, elle restera en dessous du potentiel de l’économie concernée ».
Alors que le Credit Suisse estime que les plans de relance pourraient avoir un impact inflationniste, Merrill Lynch évoque plutôt un risque de déflation, aux États-Unis notamment, en 2009 et peut-être en 2010. « Face à la chute de leurs ventes, des multinationales comme Cisco ou Procter and Gamble (P&G) pourraient baisser leurs prix pour préserver leurs parts de marché. » Et d’ajouter qu’à « chaque annonce d’un plan de relance, les taux à long terme s’orientent à la hausse, ce qui est plutôt un signe déflationniste ». Cette variable est en tout cas à surveiller, estime Gary Dugan : « Une forte hausse des rendements des bons à long terme signifierait que les gouvernements ont trop dépensé. »

D’où viendrait la relance ?

Si l’ajustement de l’offre à la demande, à la baisse, dans la plupart des pays développés se traduira par une panne de croissance, la reprise pourrait se révéler d’autant plus forte le jour où elle se produira. En attendant toutefois, le moteur de la relance pourrait se trouver dans les pays émergents, estiment le Credit Suisse et Merrill Lynch.
« Nous avons presque aujourd’hui une image miroir de ce qui s’était passé en 1997. À cette époque, les pays asiatiques ont connu une crise de crédit, de surendettement, une crise bancaire et financière, et le monde développé est venu à leur rescousse. Cette fois c’est presque l’inverse. La crise du crédit frappe les pays développés, surtout les États-Unis et le Royaume-Uni, tandis que les pays émergents, qui ont été plus conservateurs, sont dans une bien meilleure posture que ce soit au niveau de leurs réserves de liquidités ou de leur balance extérieure. S’il est vrai que leurs économies restent tributaires des exportations, la part de ces dernières vers les pays occidentaux a beaucoup baissé au bénéfice du commerce interasiatique et une consommation intérieure au rôle grandissant », dit Lars Kalbreier du Credit Suisse. Il cite l’exemple des ventes de détail en Chine qui sont restées élevées au quatrième trimestre 2008, alors que les chiffres étaient en baisse dans la plupart des pays développés.
Même analyse pour Gary Dugan de Merrill Lynch : « Les bonnes nouvelles pourraient venir de Chine, si la demande domestique y est stimulée, elle pourrait permettre un redémarrage de l’économie mondiale. » Mais, tempère-t-il, « la politique monétaire et budgétaire chinoise n’est pas encourageante pour l’instant ».
À la lumière de ces analyses macroéconomiques, Credit Suisse et Merrill Lynch ont une approche très ciblée en matière de placements qui privilégie surtout les valeurs défensives.

Prudence sur le marché des actions

« L’ampleur des pertes a été très importante sur les marchés. L’évolution des rendements de l’indice S&P entre 1825 et 2008 montre que cette dernière année a été particulièrement mauvaise. Les pertes de l’année dernière se situent entre -30 et -40 %, une contre-performance égalée une seule fois sur la période, en 1937, et dépassée uniquement en 1931 avec des pertes situées entre -40 et -50 % cette année-là », commente Gary Dugan de Merrill Lynch. Pour lui, il est impossible de remonter la pente aussi vite en 2009 en retrouvant une tranche de rendements de +30 à 40 %, et encore moins celle des plus de 40 %, sachant qu’il faut remonter à 2003 pour trouver une performance supérieure à 20 % et à 1997 pour une performance supérieure à 30 %. Merrill Lynch estime donc que les actions pourraient chuter encore et recommande donc de les “trader” plutôt que d’y investir à long terme. Cela dit, il existe quand même des opportunités.
« Nous ne recommandons pas un positionnement agressif sur le marché des actions, même s’il est attractif, beaucoup de valeurs étant décotées. Il faut attendre que l’environnement économique se stabilise pour que la volatilité du marché se réduise », confirme Lars Kalbreier du Credit Suisse. Quelques exceptions peuvent être faites à ce diagnostic global : privilégier les secteurs défensifs dont les revenus résistent aux aléas de la crise (agroalimentaire, pharmaceutiques, télécoms, services de base...), voire certaines valeurs dans les marchés émergents, notamment en Asie, dont les bilans macroéconomiques sont plus solides et la consommation plus soutenue, estime la banque.

Privilégier le marché obligataire

Tout comme Merrill Lynch, le Credit Suisse suggère de privilégier les marchés obligataires. « Une certaine aversion au risque a poussé les capitaux vers les obligations d’État, ce qui a provoqué une augmentation des rendements des obligations d’entreprises », explique Lars Kalbreier, dont la préférence va aux mêmes secteurs défensifs cités plus haut, dans lesquels beaucoup d’entreprises ont des bilans solides et des cash-flows importants.

Dépréciation probable du dollar

Les deux institutions partagent également la même vision de l’évolution du marché des changes à moyen terme, en particulier en ce qui concerne une dépréciation possible du dollar, même si celui-ci pourrait continuer de s’apprécier à court terme, le billet vert bénéficiant ces derniers mois d’un mouvement de rapatriement des capitaux qui étaient sortis des États-Unis vers les marchés internationaux. « Mais, si on regarde à 12 mois, le dollar devrait s’affaiblir notamment au bénéfice de l’euro, car la politique monétaire de la Banque centrale européenne est beaucoup plus rigide que celle de la Fed, et au profit de certaines monnaies asiatiques dont la fixation par rapport au dollar est plus souple que par le passé », estime Lars Kalbreier du Credit Suisse. Le yen a aussi beaucoup servi de valeur refuge ces derniers mois, mais les autorités japonaises sont sous forte pression pour atténuer la force du yen qui nuit aux grandes entreprises exportatrices comme Sony ou Toyota, poursuit-il.

L’or, valeur refuge

Toutes les monnaies étant plus ou moins exposées à des troubles, selon Merrill Lynch, l’or fait de plus en plus figure de valeur refuge. « Nous n’avons jamais vu autant de clients acheter de l’or physique », témoigne Gary Dugan, selon qui le métal jaune pourrait atteindre les 1 150 dollars au deuxième trimestre. Credit Suisse parie aussi sur le franchissement rapide des 1 000 dollars cette année.

Pétrole : la bonne surprise ?

En ce qui concerne le pétrole, les deux institutions sont d’accord pour envisager une reprise des cours dans l’année. « La demande est en baisse, mais l’offre aussi. On se dirige vers un marché plus équilibré. La reprise du pétrole pourrait être la bonne surprise de 2009 », estime Merrill Lynch, qui voit le baril à 61 dollars en fin d’année. « Notre objectif de cours est de 65 dollars à 12 mois car la baisse de l’offre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) devrait commencer à prendre effet au moment où l’on attend le début d’une stabilisation économique au second semestre. De toutes façons, il nous semble exclu que l’OPEP revienne à la fourchette de 20-30 dollars, défendue pendant 20 ans », dit pour sa part le Credit Suisse.