Le Liban n’échappera pas à la fièvre du millénaire. Pour la date fatidique, une société privée, animée par Moustapha Assaad, organise l’événement du siècle à coups de millions et de sensations. Chronique d’un projet titanesque en quête de supporters.

"Lebanon 2000 est un projet national», déclare son promoteur. Mais il est avant tout une superproduction digne du gigantisme américain. L’idée est née dans l’imagination de son metteur en scène, Moustapha Assaad, président de l’agence de publicité Publi-Graphics. Le concept de base est de célébrer la fin du millénaire en recréant les cinq continents. Le Liban serait au centre d’un “village global” érigé sur un terrain de 30 000 m2. Cet événement cosmopolite aura lieu sur la Corniche de Beyrouth du 26 décembre 1999 au 9 janvier 2000 dans une zone située entre le Bain militaire et l’hôtel Riviera. Prévu d’abord jusqu’au 2 janvier, Lebanon 2000 est prolongé d’une semaine pour couvrir les festivités de Noël des Arméniens et du Fitr musulman. Cette décision devrait aussi permettre d’amortir les coûts de ce projet grandiose. Estimés, à l’origine, à 6 millions de dollars, les frais se situeraient, selon Moustapha Assaad, entre 8 et 9 millions.

Défilé technologique

L’étude et la construction devraient revenir, à elles seules, à 2 millions de dollars. Sur le Stade de la Renaissance, un terrain prêté par l’État, est construit le “VIP Village”, un espace couvert rassemblant des salons pour les sponsors et les ambassades, avec notamment un restaurant et une salle d’expositions. À droite du “VIP Village”, la zone des concerts regroupe la scène centrale, 6 000 places disposées en gradins couverts, un espace en plein air pouvant accueillir 10 à 12 000 personnes, ainsi que les pavillons des ambassades. La troisième partie du projet est située sur la corniche. Sur ce kilomètre longeant la mer, sponsors et institutions installeront leurs produits et équipements. Dans cette zone déclarée piétonne à partir de 15 heures, les gens pourront flâner et profiter des animations qui s’y tiendront tous les jours.
Aux frais de construction vient s’ajouter le prix des équipements. Pour la bagatelle de 2 millions et demi de dollars, Lebanon 2000 fera étalage des dernières innovations en matière de technologie. L’événement a réservé pas moins de 300 projecteurs, des haut-parleurs de qualité optimale, deux écrans de 12 mètres de haut, mais aussi deux Yaq, le laser le plus puissant au monde, «dont les faisceaux peuvent, aux dires des spécialistes, balayer la région allant de Jounieh jusqu’à Damour».

Musiques du monde

Les honoraires des artistes et techniciens s’élèvent à environ 1 million et demi de dollars. Après multiples rumeurs et incertitudes, le programme des concerts est presque défini. La chanteuse Magida el-Roumi se produira, le 26 décembre, à la soirée d’ouverture. La “nuit américaine” (du Nord) sera animée, le 2 janvier, par le célèbre chanteur James Brown. La musique africaine sera à l’honneur, le 27 décembre, avec le groupe Doudou N’Diaye Rose. Les chanteurs Elham al-Madfai et Natasha Atlas se produiront à la soirée euro-orientale. Les nuits du Fitr seront célébrées par des chanteurs arabes célèbres (dont Kazem Saher, Amro Diab et Ragheb Alamé). Il y aura également des soirées cubaines, américaines, jazz…
Les rémunérations des équipes de marketing, de création et de production, réunies dans une société SARL baptisée Lebanon 2000, sont estimées entre 700 et 800 000 dollars. Pour les campagnes promotionnelles, Lebanon 2000 a eu recours à l’expérience de Publi-Graphics dans le secteur de la publicité. Le reste des coûts englobe les assurances et les frets. Les spots publicitaires sont offerts gratuitement par les chaînes locales. En contrepartie, plusieurs chaînes devront se partager les droits de diffusion.

De retard en retard

En dehors des facilités administratives accordées par le gouvernement, l’État assurera l’électricité, l’eau, le nettoyage et la sécurité. Pour couvrir les frais, M. Assaad mise sur deux ressources essentielles : les concerts et les sponsors.
«La fourchette des prix étant assez large, l’événement sera accessible à tous», souligne-t-il. En effet, le prix d’une place en plein air est fixé à 20 000 LL (pourvu qu’il ne pleuve pas !). Quant aux prix des places assises, ils varient entre 40 et 120 000 LL par personne.
Les sponsors devraient couvrir l’autre moitié des coûts. «Le sponsoring proposé n’est nullement une forme de contribution, explique M. Assaad, mais un investissement qui pourrait rapporter au moins six fois le montant investi au départ». Toutefois, ces calculs n’ont pas réussi à convaincre rapidement les sponsors. Malgré le soutien officiel apporté par le gouvernement au projet, «les intéressés ont tardé à réagir», avoue M. Assaad. En fait, il a fallu attendre le mois de novembre pour connaître le programme exact des festivités. «Ne sachant pas quels artistes seront effectivement présents, les agents ont eu du mal à vendre le projet. Les demandes de réservation ont commencé à être traitées le 10 novembre dernier», raconte Mounib Saïkali, directeur de Beirut Express, un des tour-opérateurs chargés de promouvoir le projet à l’étranger.
Réunis sous l’égide de Lebanon 2000, onze tour-opérateurs se sont mis d’accord sur une formule unifiée pour promouvoir le projet à l’étranger. Leur travail d’équipe leur a permis de négocier des prix compétitifs pour attirer la diaspora libanaise et les touristes étrangers. Les formules proposées sur cinq jours varient entre 300 et 600 $ en fonction de l’hôtel choisi (billet d’avion non inclus). Déçu par le nombre restreint de réservations déjà faites, M. Saïkali reste optimiste. «Sans compter les Arabes, l’événement devrait quand même réunir 10 à 20 000 touristes», déclare-t-il.

Sponsor ou mécénat

Les sommes demandées au départ étant trop importantes, des solutions plus réalistes ont été trouvées pour motiver les gros sponsors. La société Ali Ahmad Group Holding, propriétaire de Doha Hills, a offert pour les besoins d’une loterie, qui sera organisée lors de l’événement, un appartement d’une valeur de 150 000 $. Elle devrait, en contrepartie, bénéficier d’un stand dans le “VIP Village”. Dans le secteur financier, les banques ont trouvé plus commode de sponsoriser le projet à travers l’Association des banques. La Société Générale, la Banque Libano-Française, ABN-Amro, Méditerranée, UBL sont parmi les institutions bancaires qui ont choisi de participer également à titre individuel au projet. Interrogé sur les avantages que la Libano-Française espère tirer de cet événement, Abdallah Nabbout, directeur à la BLF, explique : «Notre participation au Lebanon 2000 est une forme de mécénat. Il ne faut pas s’imaginer qu’elle produira une augmentation directe du chiffre d’affaires. C’est, en fait, une manière de contribuer au développement du Liban et de montrer aux gens les diverses activités de la banque». De la même façon, la Société Générale voit dans le projet un moyen de développer son image de marque tout en parrainant un événement d’importance nationale. Sceptique quant aux profits qu’il pourrait réaliser, Adel Makki, directeur de la bijouterie Kohinoor, y voit surtout une manière de défier la récession qui sévit dans le pays.
Avec l’assurance d’un homme qui a le vent en poupe, Moustapha Assaad affirme avoir atteint les deux tiers de ses objectifs en matière de financement. Son seul et unique souhait est de rentrer dans ses frais. Arrivera-t-il à bon port ? On verra bien au prochain millénaire.