Or, pierres précieuses et semi-précieuses, tout est bon, au gré de la mode, pour attirer une clientèle échaudée par la crise et exporter vers des pays qui apprécient notre savoir-faire.
En attendant le nouveau souk des bijoutiers, on ne perd pas la main.
Symbolisant “le cadeau durable” par excellence, le bijou se porte avec plaisir et se garde pour les jours difficiles. Pour une majorité de femmes et pour un certain nombre d’hommes, le port de bijoux est censé donner une image valorisant le niveau social. Pour d’autres, il reste un investissement qui se veut de valeur et discret. Quelle est la place de cette industrie dans notre économie nationale ? Quels sont les souhaits et revendications de ses représentants et de ses professionnels ?
Pour répondre à ces questions, nous avons rencontré Laurence Toufenkjian, président du Syndicat des bijoutiers, et Sélim Mouzannar, membre actif de l’association ayant une expérience internationale de la profession. Tous deux tiennent des propos critiques : «La politique économique n’est pas assez libérale à l’égard de ce secteur. Résultat, de plus en plus d’artisans quittent notre pays pour aller s’installer sous des cieux plus cléments».
Artisanat et investissements
L’industrie de la bijouterie au Liban assure tant la fabrication que la distribution de ses produits. Nous rencontrons deux catégories de manufactures : les bijoutiers qui travaillent l’or et les joailliers qui utilisent les pierres précieuses. Cette industrie occupe environ 3 500 personnes travaillant de façon artisanale dans une myriade de petits ateliers ne dépassant pas 5 à 6 travailleurs le plus souvent jeunes entourés d’un maître expérimenté.
Premier exportateur du pays, ce secteur réalise un chiffre d’affaires d’environ 80 millions de dollars avec l’étranger, en baisse depuis deux ans. Le marché interne représente à peu près le même chiffre d’affaires, lui aussi en baisse notoire, alors que les importations sont évaluées à 60 millions de dollars dont 60 % proviennent d’Italie.
De nouvelles techniques et machines font leur apparition. Elles permettent d’obtenir de produits finis de meilleure qualité. De plus en plus, le travail de l’or (la bijouterie) se fait à l’aide de machines sophistiquées dont le coût d’investissement est très élevé. Malheureusement, très peu d’entreprises au Liban peuvent consentir les investissements suffisants pour les acquérir et former leur personnel du fait de leur taille, leur capacité économique réduite et, par conséquent, leur difficulté d’amortissement due, en plus, à la taille du marché. Seule une poignée d’entre elles, disposant de plus de 25 travailleurs, sont capables de suivre la modernisation de l’outil de production, mais ne pourront jamais rentabiliser de très lourds investissements, malgré leur bon niveau économique, la taille du marché libanais reste le facteur limitant.
Solution : les bijoutiers préfèrent recourir à l’importation, le plus souvent d’Italie, de bijoux en or tels que chaînes, colliers, bracelets... plutôt que de les fabriquer.
La joaillerie, par contre, reste un artisanat qui fait appel le plus souvent à l’art et à la dextérité de l’artisan. 75 % de la production libanaise est fait main, ce qui témoigne de l’orientation obligée prise par les micro-industries de notre pays. Les bijoux trouvés sur les étalages de nos commerçants sont généralement importés s’il s’agit d’or travaillé ou fabriqués localement si les modèles présentés sont sertis de pierres précieuses ou semi-précieuses. La baisse du pouvoir d’achat de nos compatriotes provoque un changement des habitudes. Ainsi, à l’exception de quelques grands noms de la bijouterie de luxe, de plus en plus de bijoutiers préfèrent, de nos jours, achalander leurs vitrines à l’aide de produits à budget plus réduit. Par ailleurs, certains professionnels du secteur assistent à un développement important de la vente de bijoux de seconde main.
Formation sur le tas
La formation se fait généralement sur le tas. L’artisan confirmé, le maître, transmet à son apprenti les secrets de cet art dans un environnement quasi fermé où chaque individu devra faire ses preuves durant de longues années avant de pouvoir prendre des responsabilités ou voler de ses propres ailes s’il en a les moyens. Le futur artisan commence jeune, parfois très jeune (12 ans) ; il est généralement mal cadré sur le plan administratif, car peu d’ouvriers bénéficient d’allocations sociales. De plus, le Liban ne dispose pas ou peu d’écoles spécialisées formant aux nouvelles technologies qui se développent rapidement dans ce domaine. Cette situation augure d’une décroissance progressive de la production en volume et surtout en produits de qualité respectant les normes internationales.
L’artisan est un créateur de modèles ; la qualité des artisans libanais est leur capacité de s’adapter rapidement à la mode en créant de nouveaux modèles capables de plaire aux consommateurs orientaux et européens. La difficulté qu’ont nos artisans de pouvoir suivre les nouvelles méthodes de travail, le manque d’outils modernes et d’instituts de formation spécialisés poussent nos artisans à adopter des solutions de facilité. En effet, les professionnels reconnaissent que les créatifs de nouveaux modèles ne dépasseraient pas 10 %, les 90 % restants se contentent de copier des modèles venant de l’étranger, en y apportant quelques variantes leur permettant de répondre à certains goûts locaux ou régionaux.
Deux nouveaux constats viennent assombrir ce tableau : l’arrivée d’une main-d’œuvre étrangère, plus spécialement indienne, venant faire concurrence aux artisans locaux ; et l’émigration de nos artisans vers certains pays du Golfe.
Évolution
d’une valeur ajoutée
Des temps fleuris des souks des bijoutiers à nos jours les choses ont bien changé. L’industrie mondiale de la bijouterie est en crise à cause des difficultés économiques que rencontrent de nombreux pays à haut revenu. Malgré sa position de premier exportateur de notre pays, le secteur de la bijouterie rencontre de nombreuses difficultés.
D’abord, la petite taille des unités de production avec un accès limité aux moyens financiers ne leur permet pas d’envisager le développement de leurs activités. Le manque d’instituts de formation performants ne permet pas une injection de nouveaux talents dans le secteur. Enfin, le manque d’une stratégie claire et précise de la part des représentants du secteur ne permet pas de défendre leurs intérêts auprès des pouvoirs publics et vis-à-vis de la pression croissante de la concurrence internationale.
La politique économique n’est pas en faveur du développement de ce secteur. En effet, la taxe de 10 % imposée à l’entrée en douane des bijoux importés (or travaillé) se reflète par une diminution importante des ventes aux visiteurs étrangers et plus particulièrement arabes. Outre la proximité géographique, le marché de Dubaï offre ces mêmes produits à des prix nettement plus bas, car l’imposition sur cette gamme de bijoux n’est que de 2 %. D’autre part, les pierres précieuses ou semi-précieuses subissent une taxe de 6 % à l’importation, ce qui se traduit par une très forte augmentation du prix de vente des bijoux sertis de pierres. En effet, le coût d’un tel produit comprend 10 % d’or, 10 % de main-d’œuvre et 80 % de pierres précieuses. Ainsi, une surcharge de 6 % sur ces dernières se traduit en 4,8 % d’augmentation du coût total de production du produit fini. Comparée à Dubaï, la taxe sur les pierres précieuses n’est que de 2 %. Enfin, les difficultés administratives rencontrées par nos importateurs à l’entrée de la douane (déclarer les marchandises importées 48 heures avant l’arrivée de l’importateur à l’aéroport) et les difficultés d’importation temporaire maintiennent un climat de méfiance entre les représentants des pouvoirs publics et les représentants de l’industrie. Comparé à Dubaï, de nombreuses facilités sont offertes aux représentants étrangers de ce secteur se traduisant par une migration significative ces dernières années de nos artisans vers cette destination. Si nous prenons le cas de l’Arabie saoudite, l’application d’un taux de taxation à l’importation de 12 % s’est traduite par une diminution de 50 % des exportations de bijoux.
Une révision globale de la stratégie de ce secteur est, avant tout, à la charge de ses représentants. C’est à partir de cette nouvelle vision et des pourparlers qui seront engagés avec les pouvoirs publics que le processus de guérison pourra être entamé.