La technologie ADSL est arrivée au Liban en grande pompe en mai 2007, offrant la promesse de connexions Internet plus rapides, présentées comme des connexions “haut débit”. Près de deux ans plus tard, l’ADSL reste mal déployé dans le pays, accessible surtout dans les grandes villes. Qui plus est, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer des connexions trop lentes et trop coûteuses : pour les professionnels du secteur des nouvelles technologies, le Liban n’est toujours pas équipé en haut débit (Broadband).
À la source du problème, des infrastructures trop peu développées, un réseau inachevé… Les câblages sont la propriété du ministère des Télécommunications, qui facture au prix fort leur location aux fournisseurs d’accès Internet. Pour assurer un développement plus efficace de ce réseau, la loi libanaise prévoit la libéralisation du secteur des télécommunications, avec l’octroi de licences à des entreprises privées pour développer les infrastructures locales. La fin du monopole d’État et l’introduction de la libre concurrence permettraient ainsi au public d’accéder à des connexions Internet plus rapides, à des prix plus compétitifs : un véritable service haut débit pourrait alors émerger dans le pays. Mais cette libéralisation est en suspens depuis 2002…
Pourtant, l’économie libanaise profiterait grandement du développement du haut débit. Professionnels de l’Internet, chefs d’entreprise, représentants de la société civile : tous s’accordent pour dire que le choix est simple. Il faut développer le secteur des télécoms, ou risquer de voir le Liban accumuler un retard irrattrapable. Pour tous ces acteurs, l’émergence du Broadband relève tout simplement de l’intérêt national. « C’est dans l’intérêt de tout le pays, à la fois du secteur de l’industrie et de celui des services », affirme Khalil Letayf, directeur général adjoint à la banque SGBL. L’argent que dépensent les entreprises sur des connexions Internet coûteuses pourrait être réinvesti ailleurs, leur permettant de croître et d’innover. Un Internet rapide et abordable leur permettrait surtout de proposer une foule de nouveaux services. Des communications de bonne qualité attireraient en outre les entreprises étrangères pensant s’installer au Liban… Sans compter que le développement des nouvelles technologies favorise la création d’emplois qualifiés. Quant au commerce électronique, encore balbutiant au Liban, il constitue un nouveau secteur entier à explorer. Khalil Letayf reste enfin convaincu que l’État profiterait lui aussi de la libéralisation des télécommunications : « Dans les pays où elle a été faite, les recettes fiscales ont globalement augmenté. Certes, les prix des connexions Internet ont baissé, mais le volume des abonnés a augmenté. » Selon l’ONU, le taux de pénétration d’Internet au Liban était de 26 % en 2007, avec une vaste majorité de connexions à bas débit. Le marché recèle donc encore un fort potentiel de croissance.
Qu’est-ce que le haut débit ?
Le haut débit désigne une liaison Internet très rapide. On utilise généralement ce terme, ou son équivalent anglais “Broadband” par contraste avec les connexions Internet “dial-up”, qui passent à travers la ligne téléphonique de l’usager et plafonnent à des vitesses de 56 Kb/s (kilobits par seconde : cette unité exprime la vitesse de transmission de l’information). Le haut débit se définit donc d’abord en creux, par opposition à une technologie “dial-up” désormais dépassée. Mais au-delà de ce premier critère négatif, difficile de se mettre d’accord sur une définition plus précise : différents acteurs proposent différentes formules, avec différentes vitesses plancher.
Pour l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le terme de Broadband s’applique à toutes les connexions Internet – DSL, câble, fibre optique, ou sans fil – qui permettent de télécharger à une vitesse supérieure ou égale à 256 Kb/s. Pourtant, aujourd’hui une telle vitesse n’est plus considérée très importante. Aux États-Unis, la Commission fédérale pour les communications (FCC), elle, place la barre à 768 Kb/s. Quant au Lebanese Broadband Stakeholders Group (LBSG) – une coalition informelle créée il y a bientôt un an pour réclamer de meilleures infrastructures Internet –, il place le seuil à 1 Mb/s… Et demande l’accès pour ceux qui le veulent – citoyens ou entreprises – à des connexions de 100 Mb/s d’ici à 2011. Cette vitesse à trois chiffres marque en effet le passage vers une nouvelle génération de Broadband, un très haut débit disponible en Europe depuis 2006. Salam Yamout, représentante du LBSG, souligne en outre que la rapidité ne doit pas être le seul critère : elle doit se conjuguer à un prix raisonnable et à un service de qualité (absence de coupures, etc.).
De fait, le seuil minimal acceptable pour parler de haut débit ne cesse d’augmenter, à mesure que la technologie évolue et que les usages de l’Internet se développent. Mais incontestablement, une connexion Broadband doit permettre à l’usager de profiter de toutes les possibilités offertes par Internet, et notamment celles de télécharger, d’écouter ou de regarder sans délais des fichiers audio et vidéo. Le Broadband a par exemple permis l’introduction aux États-Unis, en Asie, en Europe occidentale mais aussi en Europe de l’Est de la technologie dite “triple play”, qui permet d’obtenir une ligne téléphonique, la télévision et Internet sur la même connexion. Cette technologie nécessite une connexion d’au moins 6 Mb/s – vitesse encore inaccessible pour les particuliers et la plupart des entreprises au Liban.
Le Liban offre-t-il du haut débit ?
Si différents acteurs en présence donnent des définitions diverses et variées au terme de Broadband, tous s’accordent néanmoins sur une chose : le Liban ne dispose pas encore de connexion haut débit. Plusieurs opérateurs proposent certes une technologie DSL (Digital Subscriber Line, voir Le Commerce du Levant n° 5570 de juillet 2007) plus rapide que le dial-up, mais celle-ci demeure trop lente pour mériter le nom de Broadband. Les particuliers ont la possibilité d’acquérir des connexions allant jusqu’à 1 Mb/s maximum, mais la vaste majorité d’entre eux s’en tiennent à 128 ou 256 Kb/s, pour des raisons tarifaires. Les petites et moyennes entreprises se contentent de quelque 2 Mb/s ; les grandes entreprises de 5 Mb/s. Seules les grandes structures comme les banques ou les universités ont théoriquement la possibilité de bénéficier de vitesses plus importantes, allant jusqu’à 20 ou 30 Mb/s, pour pouvoir desservir des centaines d’employés ou d’étudiants connectés en même temps, mais, dans la réalité, ce service est difficile d’accès en raison de la politique restrictive du ministère des Télécoms.
Qui plus est, l’accès Internet au Liban demeure très cher. Un particulier libanais paiera environ 19 dollars par mois pour une connexion de 128 Kb/s ; 70 dollars par mois pour une connexion de 1 Mb/s ; 200 dollars par mois si, exceptionnellement, il demande une connexion de 2 Mb/s. À titre de comparaison, un particulier français bénéficie d’une connexion de 8 à 20 Mb/s pour quelque 40 dollars par mois. S’ajoute à cela le fait que le particulier français dispose pour ce tarif d’un forfait illimité, ce qui n’existe pas au Liban, où les abonnements sont assortis d’un quota mensuel de téléchargement. Au-delà de ce quota, l’utilisateur doit payer un supplément.
Quel est l’état de l’infrastructure libanaise ?
L’infrastructure Internet d’un pays se divise en plusieurs parties : ses liaisons avec le reste du monde et son réseau intérieur.
Le réseau Internet repose tout d’abord sur l’International Gateway (IGW), une technologie basée sur la fibre optique, qui relie un pays au reste du monde grâce à des câbles sous-marins. Cette première étape est critique. Tout d’abord car une grande partie des informations que le public recherche sur Internet est produite à l’étranger : parmi les sites les plus populaires du monde, l’on peut citer YouTube, Facebook, ou encore les sites web d’organes de la presse étrangère telle CNN. Mais la bande passante internationale est également cruciale en ce qu’elle détermine la quantité de bande passante qui sera disponible à l’intérieur du pays, distribuée entre les fournisseurs d’accès. Ces derniers sont de deux sortes : les DSPs (Data Service Providers), qui fournissent de la bande passante internationale aux entreprises. Et les ISPs (Internet Service Providers), qui achètent de la bande passante aux DSPs pour fournir un accès Internet aux particuliers et aux entreprises.
Le réseau de câbles sous-marins est le plus dense dans les zones les plus développées du monde : ainsi, l’infrastructure est particulièrement fournie entre l’Europe de l’Ouest et la côte est des États-Unis, et entre la côte ouest des États-Unis et le Japon et la Chine.
Une bonne connexion internationale
Le réseau de câbles du Moyen-Orient est, lui, encore en plein développement. Le Liban n’est pourtant pas totalement en reste : il est relativement bien relié au reste du monde, et ce à travers plusieurs câbles sous-marins principaux. Le câble Cadmos, propriété jointe d’Ogero et de Cyprus Telecom, court depuis le Liban jusqu’à Chypre ; de là, il est relié à un second câble qui va jusqu’en Italie. Cadmos a été amélioré il y a un an ; il fournit désormais au Liban 10 Gb/s de bande passante internationale. Un deuxième câble, appelé Berytar, va de Beyrouth jusqu’à Tartous en Syrie, et de là jusqu’à Alexandrie en Égypte. En février, le ministre des Télécommunications Gebran Bassil a par ailleurs annoncé que le Liban pourrait utiliser une autre liaison haut débit à travers son réseau terrestre international passant par la Syrie. Bassil a signé un accord préliminaire en ce sens avec la Saudi Telecom STC et la compagnie koweïtienne Mada Communications, afin de relier le Liban, via la Syrie et la Jordanie, à l’Arabie saoudite qui constitue un centre, par lequel passent plusieurs câbles régionaux majeurs. L’idée est que Mada loue à des investisseurs privés le droit d’utiliser le réseau, les infrastructures étant en place, mais le projet doit encore avoir l’aval de Damas, ce qui, selon Bassil, pourrait se faire rapidement.
Enfin, l’année 2009 devrait voir l’inauguration d’un autre câble majeur, que ses défenseurs présentent comme une révolution pour le paysage Internet du Liban. Il s’agit du câble IMEWE (India Middle East Western Europe), qui reliera Tripoli directement à de grandes villes qui sont de véritables centres mondiaux regroupant une grande quantité de bande passante : Marseille en France, ou encore Mumbai en Inde. La construction de ce câble coûtera quelque 700 millions de dollars ; une somme réunie par un consortium d’acteurs qui s’en partageront la propriété : Telecom Italia, Etisalat, Tata Communications, Pakistan Telecommunications, France Télécom, Bharti Airtel, Saudi Telecom, Telecom Égypt et, enfin, Ogero. Le ministère des Télécommunications libanais a investi quelque 45 millions de dollars dans ce projet.
Pour Georges Jaber, directeur du développement chez Tata Communications, l’entreprise qui mène le consortium, cet investissement est « l’une des meilleures décisions que le ministère des Télécoms libanais ait prises ». Bientôt le Liban ne devra plus faire escale par Chypre ou par la Syrie : avec l’inauguration du câble IMEWE, prévue pour fin 2009, il aura enfin un accès direct au réseau international. Ce câble aura une capacité de 3,84 Terabits par seconde, soit 3 840 000 Mb/s, qui seront partagés à peu près également entre les neuf actionnaires. La capacité ainsi obtenue viendra s’ajouter à la bande passante déjà fournie par les câbles existants. C’est un saut gigantesque : pour l’instant, le Liban ne dispose que de 2 Gb/s, soit 2 000 Mb/s de bande passante internationale au total.
Pourtant, cela ne résout qu’une partie du problème. Certes, le Liban a tout à gagner à accroître sa bande passante internationale, une étape indispensable s’il souhaite entrer dans l’ère du haut débit. Mais Jaber souligne que la situation actuelle du pays est loin d’être déplorable : le Liban se situe dans la moyenne comparé aux autres pays de la région. Sa connectivité internationale est meilleure que celle de l’Algérie, de la Libye, de la Syrie ; similaire à celle du Maroc ou de la Tunisie ; moins bonne que celle de l’Arabie saoudite, du Qatar, ou des Émirats arabes unis. Le câble Cadmos fournit déjà, selon Jaber, une bande passante « suffisante » pour desservir convenablement une population de 4 millions d’habitants. Un second problème se loge donc ailleurs : le Liban dispose, certes, d’une capacité encore limitée ; mais surtout, cette capacité est mal distribuée.
Distribution au compte-gouttes
C’est la raison pour laquelle beaucoup d’acteurs du secteur préviennent que l’IMEWE ne résoudra rien, car il revient ensuite au ministère des Télécommunications de distribuer cette bande passante entre les différents fournisseurs d’accès et les entreprises qui en font la demande. Le Liban n’a pas de problème de bande passante internationale, souligne Salam Yamout, du Lebanese Broadband Stakeholders Group. Celle-ci est disponible, aisément accessible. Mais l’État exerce un monopole dessus, la distribuant au compte-gouttes et la facturant très cher. Thérèse Saliba, directrice générale d’IDM, explique que le fournisseur d’accès réclame constamment davantage de bande passante internationale au ministère. Elle souhaiterait « au moins doubler » la quantité de bande passante dont dispose IDM. Or, « les délais sont très longs à chaque demande, il faut beaucoup insister… La procédure n’est pas transparente ». Même lorsque la bande passante octroyée, elle reste coûteuse. Et Saliba explique que les fournisseurs d’accès Internet sont obligés de répercuter ce prix sur leurs clients. IDM paie par exemple environ 2 700 dollars pour chaque 2 Mb/s de bande passante internationale. Si ces tarifs ont beaucoup chuté depuis trois ans, ils restent exorbitants par rapport à ceux pratiqués ailleurs. Les fournisseurs d’accès Internet en Slovénie, par exemple, ne payent que 75 dollars pour chaque 2 Mb/s de bande passante internationale.
Le problème se situe au niveau du réseau national
Au-delà du problème de la distribution de la bande passante internationale, l’obstacle véritable au développement du haut débit se trouve du côté du réseau domestique libanais, largement sous-développé.
Cette infrastructure se divise en trois parties : le réseau dit “Core”, qui relie les principales villes entre elles ; le réseau dit “Métro”, qui s’étend à l’intérieur des villes ; et enfin le réseau dit “Access”, qui va jusque chez le client, dans les immeubles d’habitation et les bureaux des entreprises.
À ce jour, l’infrastructure Internet libanaise est greffée sur le réseau téléphonique souterrain, contrôlé par Ogero. Et c’est là que le bât blesse, pour plusieurs raisons. Salam Yamout souligne d’abord que la technologie du réseau téléphonique, qui repose sur des câbles en cuivre, n’est pas la mieux adaptée à l’Internet. Le principal défaut du cuivre tient à l’affaiblissement progressif du signal sur ce type de câble : plus la distance à parcourir est grande, (plus l’abonné habite loin du central téléphonique), plus le débit obtenu à l’arrivée est faible. Par ailleurs, la connexion à ce réseau est un chemin semé d’embûches pour les fournisseurs d’accès Internet. Les infrastructures étant la propriété d’Ogero, les ISPs et DSPs doivent payer pour les utiliser. Or Ogero, qui s’est lui aussi positionné comme fournisseur d’accès Internet, est en concurrence avec ces ISPs et DSPs – l’entreprise publique se retrouve donc juge et partie. Maroun Chammas, directeur exécutif chez IDM, dénonce des pratiques de « concurrence déloyale ».
Enfin, l’état de développement du réseau actuel n’est tout simplement pas suffisant pour assurer les besoins des Libanais en connexions haut débit, notamment les besoins des entreprises. « Les infrastructures ne sont souvent achevées qu’à moitié, explique Khalil Letayf, directeur général adjoint à la banque SGBL. Le réseau Métro est assez bien développé, mais ensuite le dernier kilomètre, celui qui arrive jusqu’aux immeubles, n’est pas connecté, donc les infrastructures restent inutilisées. » Il revient à l’État de donner l’impulsion pour changer cette situation, soit en faisant les investissements nécessaires pour terminer le réseau, soit en autorisant des entreprises du secteur privé à le faire.
Un projet d’extension du réseau de fibre optique
Le ministre des Télécommunications, Gebran Bassil, tente de répondre au problème de l’infrastructure par la voie étatique : « À mon avis, aucune société privée n’a intérêt à construire une telle infrastructure, déclarait-il début mars. L’État détient déjà ce réseau et a les moyens de le développer avant de le mettre à disposition du secteur privé ou des compagnies publiques, en louant ce service comme n’importe quel autre. » Lors d’une conférence de presse, il a dévoilé un projet de modernisation et d’extension du réseau de fibre optique au Liban. La construction de ce dernier a commencé il y a 15 ans déjà, raccordant les centraux téléphoniques principaux tels ceux de Ras Beyrouth, Jdeidé, du quartier du Palais de justice, de Ras el-Nabaa, Jounié, Saïda, Tripoli… Mais selon Bassil, les 1 300 kilomètres de fibre déjà existants ont été installés de façon chaotique… Et ils restent largement insuffisants face à l’essor de nouveaux modes de communications. Les travaux d’extension devraient donc débuter en juin 2009 ; avec l’objectif d’atteindre les 4 700 kilomètres de fibre optique d’ici à fin 2011. Le Liban se rapprochera alors des pays voisins, comme la Jordanie, qui compte quelque 4 000 kilomètres de fibre optique. Cela devrait permettre d’élargir le réseau existant à tous les centraux téléphoniques du pays, avec deux nœuds de raccordement nationaux (appelés Lebanon Ring 1 et Lebanon Ring 2) et 39 nœuds locaux. Selon Bassil, ce sera déjà suffisant pour permettre l’introduction au Liban de nouveaux services de téléphonie mobile, avec pour horizon le passage à la technologie 3G. Ces câbles seront également protégés pour résister en cas de guerre. L’investissement s’élève à 64 millions de dollars. Un tel réseau permettrait un débit d’informations largement supérieur à celui supporté par le réseau en cuivre actuel. Le signal lumineux qui passe sur les fils de fibre optique est en effet capable de transmettre une grande quantité d’informations ; qui plus est, il ne souffre pas du phénomène d’atténuation progressive constaté avec le cuivre. Mais tant que ces installations de fibre optique ne connecteront que les centraux téléphoniques entre eux, elles ne résoudront pas le problème de l’achèvement du réseau sur le dernier kilomètre. Pour Khalil Letayf, le réseau doit être amélioré dans son intégralité, et non en partie. L’inachèvement du réseau crée un effet de goulot d’étranglement lorsque les connexions rapides des centraux téléphoniques débouchent sur des connexions locales trop lentes. Ce projet permettra donc de désengorger le trafic entre les centraux, mais pas de proposer des connexions à plus grande vitesse.
L’obstacle du dernier kilomètre
L’arrivée de câbles en fibre optique jusque dans les immeubles d’habitation et de bureaux reste un doux rêve pour la plupart des Libanais. Certes, la technologie dite Fiber-to-the-home (FTTH) existe dans le centre-ville beyrouthin reconstruit par Solidere. Certes, Bassil a récemment dévoilé qu’Ogero travaille à un projet-pilote d’installation du FTTH dans les quartiers de Hamra et Achrafié. Mais il s’agira tout au plus d’exceptions. Pour le ministre, l’extension du réseau de fibre jusque chez les particuliers reviendra au secteur privé, ou à un partenariat du secteur privé avec la future Liban Télécom. Le coût se chiffrerait en dizaines de millions de dollars, peut-être même en centaines, selon les technologies utilisées et l’envergure du projet : un investissement lourd à porter pour l’État seul. Le problème de l’inachèvement du réseau reste donc entier, car il est lié à celui de la libéralisation du secteur des télécoms, au point mort depuis des années.
Nécessaire libéralisation
Le cadre légal de la libéralisation existe, avec la loi 431 sur les Télécoms votée en 2002, mais son application dépend de décisions politiques qui sont bloquées. C’est cette loi qui prévoit la création de Liban Télécom, l’entreprise censée remplacer Ogero, dont le capital pourrait ensuite être cédé au privé pour tout ou partie. C’est elle aussi qui a créé l’ART (Autorité de régulation des télécommunications), chargée de veiller au respect des principes de libre concurrence. Elle prévoit enfin l’octroi par l’ART de licences à des fournisseurs d’accès pour développer l’infrastructure actuelle, et ce à travers des procédures équitables et transparentes. La libéralisation du secteur des télécommunications permettrait ainsi de développer les infrastructures inachevées, tout en faisant jouer la concurrence pour faire baisser les prix.
Les recommandations de la conférence “Telecom for Lebanon”, organisée en décembre allaient clairement en ce sens. Les différents groupes de travail ont préconisé l’octroi de trois licences nationales pour développer l’infrastructure libanaise et fournir des services Internet au public. La présence de ces trois grandes licences permettrait une compétition saine. L’une serait octroyée à Liban Télécom, héritier de l’opérateur historique Ogero ; une seconde à un consortium composé des fournisseurs d’accès (ISPs et DSPs) actuels ; une troisième serait mise aux enchères à travers un appel d’offres international, pour encourager l’émergence de nouveaux acteurs sur le marché.
L’ART a présenté en février un projet de décret régulant l’octroi de licences aux fournisseurs d’accès, de manière à établir un processus transparent et non discriminatoire pour l’accès aux infrastructures publiques. Le texte final devra fixer les responsabilités qui incombent à chaque partie, ainsi que les tarifs de location des moyens publics. L’ART recommande des pratiques tarifaires transparentes et surtout “raisonnables”, qui ne soient pas prohibitives pour le secteur privé. En effet, les investissements requis en terme d’équipement sont importants, se chiffrant en dizaines et même en centaines de millions de dollars. Ils reviendraient moins cher si l’État permet l’utilisation des forages déjà existants pour le réseau téléphonique ; plus cher si les détenteurs des licences doivent commencer de zéro. Les travaux prendraient entre un et trois ans, et le retour sur investissement serait long. Le secteur privé a donc besoin de mécanismes d’incitation. Le LBSG propose ainsi d’encourager les détenteurs de licences nationales en leur faisant bénéficier d’une période de protection, durant laquelle ils auraient l’exclusivité pour revendre des connexions haut débit aux autres ISPs et DSPs.
L’ART recommande également d’encourager l’État, qui supporte les coûts des infrastructures publiques existantes, de leur rénovation en cas de besoin et de leur préparation pour l’utilisation par le secteur privé. L’État devra également prendre en charge des coûts administratifs liés à l’octroi de licences. L’ART prévoit donc que le secteur privé participe à ces dépenses.
Le projet de texte élaboré par l’ART fait encore l’objet de consultations ; l’Autorité demande pour cela l’opinion de tous les professionnels du secteur. Il reviendra ensuite au ministre des Télécommunications de le soumettre au Conseil des ministres, de manière à le transformer en décret.
Le blocage Liban Télécom
Quel que soit le sujet abordé en ce qui concerne le développement du secteur des télécommunications, les réformes butent toutes sur un même obstacle : la création de Liban Télécom, dont le projet traîne depuis 2002. Cette société issue de la corporatisation d’Ogero est appelée à être un acteur crucial dans un marché des télécoms ouvert. À défaut, même le mandat de l’Autorité de régulation des télécoms, née en janvier 2007, est très limité, puisqu’elle ne peut exercer son autorité sur une entité étatique. Les raisons des réticences à la création de Liban Télécom relèvent des méandres de la politique libanaise et de la répartition des domaines d’influence entre les différentes parties, dont la logique n’est pas forcément compréhensible du grand public. Une autre raison est aussi souvent invoquée : le fait que l’État n’a tout simplement pas intérêt à libéraliser un secteur dont il tire énormément de profits alors que la situation des finances publiques est désastreuse. « Les Télécoms sont une source de revenus majeure pour le Trésor », explique ainsi Khalil Letayf, qui a été chargé par l’Association des banques de plaider en faveur du développement du haut débit.
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