La fusion des sociétés CMA-CGM a été officiellement ratifiée le 27 septembre
dernier. Jacques Saadé, principal actionnaire du groupe, commente la fusion et donne son opinion d’armateur sur le potentiel du port de Beyrouth. Entretien exclusif.
La nouvelle compagnie s’est déjà dotée d’une structure unifiée de management afin d’émerger comme un acteur incontournable du transport maritime mondial.
Pris séparément, les deux groupes maritimes CMA et CGM ont enregistré en 98 des chiffres d’affaires disparates. La CMA se positionne parmi les plus gros opérateurs en Extrême-Orient. Elle offre la plus large couverture géographique entre l’Asie (Chine, Japon, Corée...) et l’Europe. Elle a bénéficié de l’accroissement des volumes et des taux de fret au départ de l’Asie. Selon Jacques Saadé, président de CMA-CGM, «la CMA a connu des remous à cause de la crise asiatique, mais elle s’est redressée rapidement et s’est renforcée. Elle vient au deuxième rang en Chine juste après la société nationale du pays, sans oublier sa prépondérance sur les marchés de l’Europe et de l’Amérique du Nord».
L’autre partenaire
En revanche, la CGM affrétait ses bateaux sur des secteurs privilégiés mais plus délicats et fragiles (îles du Pacifique, Caraïbes et Amérique du Sud). Elle a été affectée par des mouvements de grèves aux Antilles françaises et par les conséquences de la crise économique en Amérique latine. Mais grâce à une répartition du risque issue de la présence de CGM et CMA sur des marchés complémentaires, le groupe a affiché pour 98 des profits confortables, qui ont culminé autour de 199 millions de FF. Avec un chiffre d’affaires de 9 milliards de FF, la CMA-CGM est le premier transporteur français, le quatrième européen et sera le douzième mondial. Et malgré des résultats contrastés, l’union des deux groupes fait sa force.
Jacques Saadé, qui nous a accordé un entretien lors de son dernier passage à Beyrouth, explique: «En fait, la CGM a accusé des pertes non négligeables. Toutefois, si la CMA gagne par exemple 50 millions de FF et que la CGM perd 10 millions de FF, les deux ensembles ont encore un crédit de 40 millions de FF. La fusion est rétroactive à partir du 1er janvier 99 et la CGM bénéficie d’une exemption de taxes pour une durée de 10 ans. Son acquisition reste pour nous une chance historique; elle nous permet de confirmer que nous couvrons le monde entier».
Avec le mouvement de globalisation, les compagnies majeures du transport maritime tentent de se regrouper pour mieux s’imposer sur la scène internationale. Le géant danois Maarsk (n°1 mondial) vient d’acheter Scyulla, la ligne n°2 aux États-Unis. Avant cela, l’American President Line, première aux États-Unis, avait été acquise par un groupe de Singapour. Dans un climat concurrentiel, le phénomène de concentration des moyens industriels, commerciaux et financiers s’est amplifié. Le groupe CMA-CGM voulant s’inscrire dans cette dynamique a décidé de s’unir pour devenir un transporteur global couvrant l’ensemble des marchés mondiaux. Ils partageront les pertes et les profits, mais le risque est à la mesure de l’enjeu.
Jacques Saadé explique: «Jusque-là, nous avions gardé deux sièges, l’un à Marseille et l’autre à Paris, leurs activités étaient parallèles mais non doubles. Dorénavant, le siège juridique définitif sera Marseille. Cependant, Paris restera opérationnel. La fusion ne diminuera pas les frais; nous sommes en phase de développement et non de réduction. Le personnel existant sera intégré en entier et il faudra l’augmenter».
Beyrouth, port de transbordement
régional
Beyrouth ne peut pas être un centre majeur pour CMA-CGM surtout dans la situation actuelle du port de Beyrouth, trop petit. Sa capacité annuelle ne dépasse pas les 150 000 TEUS tandis que celle de la compagnie fusionnée atteint 1 200 000 TEUS. Les gros bateaux vont à Malte car cette île dessert une région plus vaste et sans aucune déviation. Aujourd’hui, on recherche des navires d’une taille toujours plus grande, tout en évitant de faire le moins de ports possibles pour arriver rapidement à la destination désirée. «C’est aussi, une des raisons pour laquelle l’agrandissement du port de Saïda n’aura pas de suite».
Jacques Saadé enchaîne: «Le port de Beyrouth est mal placé géographiquement car il n’est pas sur la route Europe du Nord/Asie. Il faut faire un détour pour y accéder. C’est une perte de 48 heures, on préfère l’éviter en restant sur des axes de remplacement comme Malte ou le sud de l’Italie ou encore l’Égypte. On descend ainsi vers la mer Rouge pour atteindre l’Asie. La paix ne changera rien, et il ne faut pas croire qu’Israël ou la Syrie soient plus favorisés que le Liban, car les trois pays sont sur le même axe».
Bref, selon M. Saadé, il ne faudrait pas réfléchir à Beyrouth comme port de transbordement international, mais comme port d’éclatement régional. Il peut couvrir la petite région de la Méditerranée orientale en transbordant la marchandise sur de plus petits bateaux. Une solution plus intéressante que l’acheminement par la route.
Ce projet de transbordement n’existe pas encore à Beyrouth. «Il faudrait qu’un des grands armateurs l’exécute, c’est lui qui commencera à y amener ses bateaux». Un tel projet intéresse CMA-CGM car il ne faut pas l’oublier, M. Saadé, d’origine libanaise, a comme atout une fibre sentimentale non négligeable. Selon lui, il faudrait commencer par financer des portiques capables de décharger 50 conteneurs par heure ou d’aménager un terminal consacré aux navires de gros tonnage. CMA-CGM attend que les pressions juridiques sur son groupe se tassent pour entamer un dialogue avec les responsables libanais. Les bureaux installés au centre-ville, dans l’immeuble Asseyli, constituent un premier pas. The French Line: naissance officielle Après une privatisation et une fusion pour le moins houleuses, c’est dans le calme et la sérénité qu’a été annoncée à la presse, le 29 septembre dans les salons de l’hôtel “Lutétia”, à Paris, la création du groupe CMA-CGM sous le sigle “CMA-CGM, The French Line”, qui devient ainsi le premier transporteur maritime français de conteneurs, le quatrième européen et le douzième mondial.
Pour le président du groupe, Tristan Vieljeux, il s’agissait en fait de rendre publique la décision prise le 27 septembre par les assemblées générales extraordinaires des deux compagnies d’entériner juridiquement leur fusion pour reprendre leur vitesse de croisière et améliorer leurs résultats.
Selon un communiqué distribué aux journalistes, le chiffre d’affaires du groupe devrait atteindre à la fin de cette année 9,55 milliards de francs (1,45 milliard d’euros) et marquer par rapport à l’année dernière une augmentation de plus de 18%.
«Le résultat net consolidé prévisionnel de 1999, pour la part revenant au groupe, d’une holding CMA-CGM, ressort à 313 millions de francs (47,7 millions d’euros) contre 199 millions de francs (30,3 millions d’euros) réalisés au 31 décembre 1998, soit un accroissement de 57%». Le service Nord-Chine/Japon, prolongé en mars 1999 sur l’Europe du Nord, et le service transpacifique, lancé en avril dernier par le groupe, devraient «continuer de connaître une croissance soutenue».
Enfin, le communiqué annonce la création de nouveaux services d’ici à l’an 2001 afin de «suivre l’augmentation des volumes transportés par les lignes existantes et accompagner les projets de création de nouveaux services».
Tristan Vieljeux qui est un vétéran du transport maritime international était entouré de ses deux directeurs généraux, Farid Salem (Lignes Europe-Asie, transpacifique, Méditerranée/USA et lignes courtes) et Alain Wils (Antilles, océan Indien, Amérique du Sud, tour du monde et transports spécialisés) ainsi que du vice-président, Rodolphe Saadé.
Une note optimiste
Dans la déclaration liminaire et à l’heure des questions-réponses, le président Vieljeux et les deux directeurs généraux ont tenté d’éviter l’évocation des problèmes que le groupe CMA-CGM a connus au cours de ces derniers mois, notamment la bataille juridique entre Jacques et Johnny Saadé.
Mais, en réponse à une question que posait avec insistance un confrère français, M. Vieljeux a affirmé qu’à l’heure actuelle aucun obstacle juridique ne s’oppose à la concrétisation de la fusion CMA-CGM exhibant un document qu’il aurait reçu en août dernier de la Cour de cassation annonçant que le pourvoi de Johnny Saadé auprès de cette instance pour bloquer la fusion n’a pas été suivi d’effet, faute de documents et d’éléments nécessaires.
Sur une note résolument plus optimiste, le président Vieljeux a affirmé qu’en dépit d’un contexte fortement concurrentiel, le nouveau groupe est en excellente santé puisque, depuis la privatisation, le tandem CMA-CGM a créé de nouvelles lignes dont les lignes transpacifiques qui desservent l’Extrême-Orient et des ports à l’ouest des États-Unis, ceux de la Méditerranée-Antilles et ceux de l’Australie et de la Russie.
«On peut dire que nous sommes maintenant de véritables “global carriers”», a encore dit M. Vieljeux, qui a annoncé que «quatre nouveaux navires viennent d’être commandés à des constructeurs asiatiques qui sont les seuls, a-t-il affirmé, à pouvoir fournir des bâtiments de très grande capacité». «Ces navires, a-t-il précisé, battront pavillon français».
En chiffres, le groupe “CMA-CGM The French Line” possède 82 navires en opération, d’un personnel de 3 000 dont 1 722 en France, 512 marins et officiers. Le groupe dispose de 230 agences et dessert 180 ports dans le monde.