Du 25 au 28 mars, près de 140 entreprises étaient réunies à Beyrouth lors de la dixième édition du Forum de l'orientation et de l'emploi (Forward). Munis de leur CV, plusieurs centaines de jeunes diplômés ont déambulé pendant quatre jours dans les allées du BIEL, avec l'espoir de décrocher l’une des 3 000 offres d'embauche, brancardées sur le stand des sociétés participantes. Côté entreprises, beaucoup attendaient de ce salon qu'il les aide à pourvoir aux postes vacants. Quel que soit leur domaine d'activité, elles affirment avoir du mal à recruter un personnel compétent qui réponde à leurs critères de recrutement. Notamment en raison de la fuite des travailleurs qualifiés vers l'étranger. Alléchés par de meilleurs salaires et des perspectives de carrière plus grandes, nombre de Libanais s'échappent vers le Golfe, l'Europe ou les États-Unis, au grand dam des sociétés libanaises.
Conçu en 2001 comme un pont entre les recruteurs et les candidats, le forum tente donc de réconcilier les Libanais avec les sociétés au Liban. Cette année encore, l'objectif a ainsi été d'œuvrer à une meilleure compréhension entre les différents acteurs du marché du travail.
Depuis quelques mois, la situation semble s'être sensiblement améliorée. La stabilisation politique au Liban ainsi que la crise financière, qui a fragilisé des économies que l'on pensait invincibles, ont incité des Libanais expatriés à rentrer au pays. Mais malgré ce vent d'optimisme, le niveau des salaires reste la cause majeure d'exode de la main-d'œuvre libanaise. Sur ce point employeurs et employés affichent clairement leurs discordances. Pour beaucoup d'employeurs, il est difficile d’offrir à un jeune diplômé un salaire égal, voire supérieur à 1 000 dollars. En face, les nouveaux venus sur le marché du travail attendent une reconnaissance de leurs qualifications. À bac +5, ils ne peuvent se satisfaire d'un salaire de 600 dollars alors qu'ils pourraient être payés le double à l'étranger. À l'inverse, d'autres, désireux de rester au Liban, préfèrent accepter un revenu modeste, avec l'espoir d'évoluer au sein de l'entreprise.
Témoignages : employeurs…
Rabih Yaacoub, directeur marketing de la boutique Taten
« Nous cherchons des vendeurs, qui soient à la fois professionnels, branchés et avenants. Mais nous avons du mal à recruter, car les Libanais compétents sont tous partis à l'étranger saisir des offres importantes dans le domaine de la mode, au Qatar, à Dubaï et ailleurs. Même si on observe un retour depuis quelques mois, car les salaires ont augmenté dans certains secteurs au Liban. »
Abdallah Darwiche, directeur de l’entreprise de construction CAP France BAT
« Notre compagnie peine à trouver des ingénieurs électriques et mécaniques expérimentés, car l'offre est supérieure à la demande dans ce secteur où le marché est très grand. De plus, les personnes qui pourraient nous intéresser réclament des salaires élevés que nous ne sommes pas en mesure d'offrir. De ce fait, on assiste également à une fuite des travailleurs vers d'autres pays arabes. »
Hala Sayegh, responsable des ventes pour la chocolaterie Patchi
« Patchi manque terriblement de vendeurs ! L'entreprise trouve très peu de gens à la fois motivés et compétents, de sorte que beaucoup de postes restent vacants. Pour les Libanais, travailler dans une boutique est dégradant. Contrairement à d'autres pays arabes qui offrent davantage d'opportunités dans le domaine de la vente en magasin. Il est plus gratifiant de travailler comme vendeur ou vendeuse à Dubaï qu'au Liban. Le regard que porte la société sur ce métier y est bien plus valorisant qu'ici. »
Tania Nasr, responsable de recrutement à Arope Insurance
« Arope Insurance recrute difficilement des représentants de vente. Nous cherchons des gens compétents, ambitieux et capables de prendre des risques, un profil finalement assez rare sur le marché du travail. Nos jeunes recrues sont payées à la commission, dont le montant peut rapidement dépasser les 1 000 dollars. Beaucoup de personnes préfèrent trouver un emploi stable, car elles privilégient la sécurité. Pourtant si les débuts dans ce métier sont toujours difficiles, les efforts paient rapidement. »
Rana Zayed, responsable du recrutement à Spinneys
« Nous n'arrivons pas à recruter des personnes qui soient à la fois qualifiées et expérimentées. Les gens partent à l'étranger à la recherche de meilleures opportunités, de salaires plus élevés. Seulement un jeune diplômé ne peut prétendre tout de suite à un revenu supérieur à 1 000 dollars. »
Tarek Moughabghab, directeur des ressources humaines pour la société spécialisée en technologie de l’information SETS
« Le problème que nous rencontrons souvent est que les jeunes Libanais ne sont pas prêts à sacrifier quelques années de leur vie pour faire carrière. Ils demandent des salaires très élevés, de 1 500 dollars. Alors qu'ils commencent tout juste dans le monde du travail. » … vs jeunes diplômés
Rouba, 22 ans, diplômée en génie électromécanique option biomédicale à l'Université Saint-Joseph
« Je recherche du travail depuis deux mois, le plus difficile est de gérer le stress. J'espère toucher au moins 1 500 dollars pour mon premier emploi. Mais en général les salaires proposés n'excèdent pas les 1 000 dollars. Dans mon domaine, les entreprises préfèrent souvent recruter des techniciens plutôt que des ingénieurs, plus qualifiés, car ils les paient moins. »
Rami, 23 ans, diplômé en génie électrique à l'Université Notre-Dame
« C'est très difficile de trouver un poste d'ingénieur au Liban, car il y a peu de projets dans ce domaine. J'ai postulé à l'étranger et je pense m'expatrier en Arabie saoudite ou quelque part où je serai bien payé. »
Mohammad, 26 ans, master de finance
« J'ai travaillé pendant deux ans dans l’une des plus grandes banques du pays, mais je suis parti, car je n'étais pas suffisamment payé. Avec un master en finance j'étais rémunéré 500 dollars, une somme avec laquelle je peux à peine payer mon loyer. J'aspire à une plus grande reconnaissance. »
Jean, 25 ans, diplôme d'ingénieur à l'Université américaine de Beyrouth
« Ma plus grande attente est de bâtir une carrière. La seconde est d'évoluer dans une bonne ambiance de travail. La troisième concerne le salaire. J’ai eu deux propositions dans des multinationales qui ont leurs bureaux au Liban. Je suis plutôt optimiste ! »
Gebran, informaticien
« Je cherche depuis trois ans à changer de travail. Je sens que je n'évolue pas. Ça devient plus difficile de trouver quelque chose, car les gens commencent à revenir de DubaÏ après s'être fait licenciés. Ils représentent une forte concurrence, car ils acceptent des salaires plus bas. »
Anto, 23 ans, diplôme d’ingénieur industriel
« Je travaille depuis un an dans une entreprise en tant qu'ingénieur industriel. Je ne suis pas bien payé et cherche une meilleure opportunité. Je ne souhaite pas pour autant partir du Liban. Il faut choisir ses priorités dans la vie. La mienne est de rester auprès de ma famille et de mes amis ! »
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