Comment expliquez-vous la très bonne performance du secteur bancaire en 2007 ?
Par deux facteurs externes. Le secteur bancaire libanais continue de profiter des liquidités énormes en circulation dans le Golfe dont les retombées sur les pays non exportateurs de pétrole comme le Liban sont importantes. Elles permettent notamment de combler le déficit de notre balance courante.
À ce facteur structurel s’ajoute un facteur conjoncturel lié à la crise des “subprime” dont l’ampleur dépasse toutes les prévisions.
La baisse des taux sur le dollar destinée à financer les banques internationales en difficulté et la crise de confiance dont pâtissent ces dernières ont contribué conjointement à des rapatriements d’argent vers les banques locales perçues paradoxalement comme des refuges.

Pourquoi les banques libanaises sont-elles restées à l’abri de la crise des “subprime” ?
La raison principale est que, n’étant pas des banques globales, elles ont faiblement été exposées aux produits dérivés et aux turbulences des marchés de capitaux en question. Elles sont aussi bien régulées et contrôlées dans le sens que les organismes de surveillance sont adaptés à leur envergure, alors que le problème révélé par la crise des “subprime” est celui d’une inadéquation des mécanismes de contrôle à ce que sont devenues les banques universelles. Aux États-Unis par exemple, une même banque développe toute une série d’activités qui sont chacune régulée par un organe différent, ce qui limite la capacité de mesurer le risque de façon globale. Le concept de banque universelle doit désormais s’accompagner d’un contrôle tout aussi universel.

Quel a été l’effet de Paris III ?
Les engagements des bailleurs ont fonctionné comme une sorte de garantie, les mouvements réels de fonds étant importants mais limités. Le financement exceptionnel c’est-à-dire bilatéral et multilatéral du déficit de la balance courante est relativement faible en 2007 : le déficit courant aurait été de 11,8 % du PIB sans Paris III, il est de 10,7 % du PIB avec Paris III.

Les banques libanaises profitent-elles aussi du boom régional au niveau de leurs emplois ?
Oui, le phénomène est flagrant en 2007 avec une hausse de 18,6 % des crédits privés qui ne pourrait pas s’expliquer autrement dans un contexte de relative stagnation économique libanaise. En volume, ces derniers ont augmenté de 3,2 milliards de dollars. La hausse des crédits au secteur privé a absorbé 40 % de l’augmentation des ressources.
Ces crédits au secteur privé financent pour moitié des agents résidents et pour moitié pour des non-résidents, accompagnant ainsi l’expansion régionale et internationale des banques libanaises. Même les crédits aux résidents financent probablement partiellement des opérations non résidentes. On ne dispose pas de la ventilation exacte, mais il semble que cette partie est loin d’être négligeable. Le financement des exportations participe aussi de cette tendance qu’alimente la demande régionale. En augmentant de 600 millions de dollars en 2007, elles ont induit automatiquement une hausse des crédits liés à ces opérations commerciales.
L’expansion régionale des banques a également un impact important sur leur profitabilité, car la rentabilité des actifs et celle des capitaux est plus grande à l’étranger qu’au Liban. Elles sont respectivement de 22 % et de 30 % dans la région contre 10 à 13 % au Liban. Si le bilan sectoriel consolidait les filiales à l’étranger, cet effet de levier apparaîtrait plus clairement au niveau des bénéfices. En 2007, le bilan résident était de 82,3 milliards de dollars en 2007 et d’environ 20 milliards à l’étranger, soit 107 milliards de dollars au total, en y ajoutant les emplois des banques d’affaires et les dépôts fiduciaires.

La résilience à toute épreuve des banques signifie-t-elle que le risque systémique du secteur a diminué ?
Oui, le risque systémique a diminué. La capacité des banques libanaises à faire face à une dégradation éventuelle de la situation est plus grande. C’est notamment la raison pour laquelle l’agence Moody’s a amélioré sa perspective concernant les quatre banques libanaises notées (Audi, BLOM, Byblos et Bank of Beirut) qui est passée de négative à stable alors que la notation elle-même n’a pas changé à B3.
Moody’s a relevé que l’impressionnante augmentation des actifs (six milliards de dollars, soit une hausse de 8 %) signifie que les liquidités sont suffisantes pour faire face à une crise éventuelle qui serait provoquée soit par un mouvement de retrait de dépôts, soit par des besoins de financements supplémentaires de l’État.
Elle a aussi insisté sur le fait que le poids relatif du risque souverain sur les bilans des banques a reculé, car le gros de l’augmentation des ressources n’est pas allé à l’État et à la BDL comme par le passé. Jusqu’à Paris III, la hausse du bilan consolidé du secteur et celle des emplois dans le secteur public était presque parfaitement équivalente.
Il est aussi intéressant de noter que l’augmentation de la part des emplois bancaires à l’étranger contribue à réduire le coût de financement des dépôts supporté par l’économie libanaise au sens large. Si on prend en compte le fait que les placements des banques à la BDL sont finalement replacés à l’étranger, il apparaît que 45 % des emplois du secteur ne sont pas rémunérés directement par l’économie libanaise. Cette part était de 20-30 % dans les années 1990.

N’êtes-vous pas inquiet de la tendance des banques occidentales à se désengager du Liban, la dernière en date étant la BNP Paribas, dont l’implantation à Beyrouth remonte à 1944 ?
Le retrait annoncé de la BNP Paribas, après la réduction de la participation de la Société générale et de celle du Crédit agricole, est certainement un signe négatif.
L’Égypte, la Syrie, la Jordanie… ouvrent leurs portes aux banques étrangères alors que celles qui opèrent sur le marché libanais depuis des décennies sont en train de plier bagage. C’est la conséquence inéluctable du risque souverain du Liban dans le cadre de l’application des nouvelles normes de pondération de Bâle II. Le danger pour le Liban est de redevenir une place uniquement domestique sans dimension internationale que des villes comme Dubaï ou Le Caire sont en revanche en train d’acquérir.
Il faut combattre cette tendance. Cela passe en partie par la régionalisation en cours des grandes banques libanaises.
Cela dit, ces trois grandes banques françaises, qui étaient le segment le plus puissant des banques non libanaises sur le marché de Beyrouth, ont, à mon avis, hâtivement décidé de s’en aller. Ce comportement demeure pour moi incompréhensible et injustifiable. Elles pouvaient s’adapter au risque libanais en jouant la faible dimension, comme c’est le cas de joueurs globaux tels la CITI ou HSBC. Les autorités françaises, relations extérieures et Trésor, auraient pu intervenir plus efficacement sur ce dossier.