«La dernière manifestation d’autorité du Conseil municipal de Beyrouth remonte à 1977 et à ses tentatives de mettre en œuvre le plan de l’APUR (Atelier parisien d’urbanisme) » pour donner un nouveau visage au centre-ville, écrit Élisabeth Picard(1). Ce plan coïncide avec la naissance du Conseil pour le développement et la reconstruction (CDR), un organisme né de la nécessité de coordonner les aides alors promises par la Ligue arabe, mais jamais concrétisées.
Aujourd’hui c’est cet organisme qui assume la majorité des grands projets à Beyrouth, la municipalité ayant été dessaisie de cette responsabilité dans la plupart des cas.
Le rôle du CDR a été accru après la guerre, sur décision de l’ancien premier ministre Rafic Hariri.
Fin 1991, un décret ministériel lui donne la faculté « d’entreprendre directement ou par l’entremise de toute administration, institution publique ou municipalité, de toute société anonyme ou société d’économie mixte ou par l’intermédiaire de toute société foncière l’exécution de tout projet dont l’aura confié le Conseil des ministres ».
À Beyrouth, cette compétence chevauchait celle du Conseil exécutif des grands projets de la ville de Beyrouth (CEGPVB) créé en 1963. Ce dernier est donc absorbé par le CDR en 2001 dont l’autonomie de gestion est sans comparaison avec les lourdeurs administratives de la municipalité.
Le CDR agit sur le domaine d’action naturelle de la municipalité, exécutant aussi bien la construction ou la rénovation de bâtiments publics, les routes et autoroutes, l’assainissement d’eau et intervenant dans le domaine de la santé publique, de l’éducation ou même des sports.
L’ampleur de ces prérogatives fait grincer quelques dents à la municipalité. Le conseiller Rachid Jalkh par exemple en vient presque à regretter l’ancien Conseil exécutif des grands projets de Beyrouth, « qui était entièrement dédié à la capitale », alors que les travaux qui y son effectués par le CDR ne représentent que 13 % de ses projets en valeur.
Les procédures du CDR dont le contrôle des dépenses ne se fait qu’a posteriori sont aussi contestées. « Quand on lui confie un projet, il réalise les études et nous envoie la facture à payer, sans nous donner le détail des sommes affectées. Nous ne savons pas comment est dépensé l’argent de la municipalité, s’il sert à d’autres projets au Liban et comment il est ventilé avec les autres grands prêts de pays donateurs », explique un fonctionnaire municipal. Plusieurs élus estiment aussi de ne pas être assez associés aux projets de travaux du CDR. « La municipalité doit faire l’avance des fonds et n’a aucun droit de regard sur les travaux avant que ceux-ci soient réalisés. Depuis quelques mois cependant, une commission a été formée réunissant des membres de la municipalité et des représentants du CDR pour garantir une meilleure coordination des travaux», explique Toufic Kfoury, le vice-président de la municipalité. Le CDR indique pour sa part « coordonner tous les projets dans Beyrouth avec la municipalité, lors des étapes de planification et d’exécution », notamment pour le grand projet de transport urbain (UTDP).

Luttes internes

La question des rapports avec le CDR fait l’objet de luttes internes au sein de la municipalité, l’organisme manquant de liquidités pour continuer ses travaux et la municipalité disposant d’une importante cagnotte. Certains, comme le président de la municipalité Abdel Menem Ariss, souhaitaient confier davantage de projets au CDR. Peu de temps avant l’expiration du mandat présidentiel d’Emile Lahoud, il a ainsi tenté de faire voter une décision lui attribuant une importante avance de fonds pour des projets « non définis », dans l’optique d’un blocage total du pays pendant plusieurs mois. La décision n’a pas été validée par le conseil municipal. L’actuel mohafez, par qui passe tout transfert d’argent de la municipalité, semble plus réticent à confier au CDR de nouveaux projets. Depuis 2001, en tout cas les transferts de fonds se font au compte-goutte. La municipalité a transféré seulement sept millions de dollars à l’organisme public, selon des chiffres fournis par Nabil Jisr, le président du CDR. La souscription récente de la municipalité aux bons du Trésor pour 67 millions de dollars peut se lire comme une sorte de compromis : il s’agirait d’un transfert de fonds indirect au CDR, l’argent étant très probablement destiné à l’organisme public, dit une source autorisée.

(1) Élizabeth Picard, Beyrouth, la gestion d’enjeux locaux. Les Cahiers du CERMOC n° 24, 2001.