Le seul musée d’art contemporain du Liban va enfin se donner les moyens de ses ambitions. Il sera non seulement rénové, mais aussi considérablement agrandi. Sous l’esplanade de l’ancienne villa Nicolas Sursock, quatre sous-sols vont être construits : ils accueilleront un amphithéâtre qui servira de salle de conférences et de projections, une médiathèque, un laboratoire pour restaurer les œuvres d’art et, surtout, plusieurs salles pour accueillir des expositions temporaires. Car jusqu’ici, faute de place, le musée ne pouvait pas maintenir sa collection permanente – environ 1 000 œuvres – lors des expositions temporaires. Ces dernières seront exposées dans le bâtiment actuel, qui sera entièrement réhabilité selon les nouvelles normes techniques en vigueur. Le jardin sera aussi agrémenté d’une cafétéria et d’une librairie. Au total, la surface du musée passera de 2 000 à 7 500 m2, avec 90 % de construction en sous-sol. Les derniers travaux d’envergure du musée remontaient à 1970 et 1973.
À l’origine, le musée est un superbe hôtel particulier à la façade blanche, construit en 1912 et transféré en 1952 par Nicolas Ibrahim Sursock à la ville de Beyrouth sous la forme d’un waqf, c’est-à-dire une donation faite à perpétuité pour une œuvre d’utilité publique. Le testament du donateur précise que le futur musée devra être « consacré aux arts, anciens et modernes, provenant du territoire de la République libanaise, des autres pays arabes ou d’ailleurs » et qu’il doit comprendre « une salle où seront exposées les œuvres d’artistes libanais ». Nicolas Sursock souhaitait aussi que l’entrée soit gratuite. Le testament désigne le président de la municipalité de Beyrouth comme mutawali, c’est-à-dire en quelque sorte l’autorité qui gère le musée, mais ni la municipalité ni la famille Sursock ne sont propriétaires du bien, inaliénable par nature.
Le musée a ouvert ses portes pour la première fois en 1961 avec son premier Salon d’automne, un panorama de la création artistique locale qui s’est imposé dès ses débuts comme le rendez-vous phare de l’institution. Pour fonctionner les trois premières années, le musée a reçu des subventions du ministère de l’Éducation nationale. En 1964, une loi lui assure des ressources propres : une surtaxe de 10 % sur la taxe municipale appliquée aux permis de construire est perçue pour le compte du musée Sursock. Ce pourcentage de 10 % est passé à 5 % en 1967, un taux encore en vigueur aujourd’hui. Mais, pendant des années, et même après la guerre, les revenus de cette surtaxe ont été transférés très irrégulièrement à son destinataire, contraignant le musée à vivre de donations d’œuvres ou du produit des ventes de ses catalogues.
Depuis le début des années 2000, la situation s’améliore petit à petit, l’équipe municipale ayant été plus régulière dans ses versements. Surtout, la flambée de l’immobilier à Beyrouth contribue depuis trois ans à renflouer les caisses de l’institution. L’année dernière, le musée a ainsi obtenu 1,25 million de dollars de la municipalité en 2006, contre un million en 2005.
Un projet vieux de dix ans
Les recettes de la surtaxe accumulées depuis plusieurs années (dont le montant exact n’a pas été communiqué) vont permettre au musée de financer sa rénovation, un projet lancé il y a déjà dix ans, notamment à l’initiative de Ghassan Tuéni, président du comité. En 1998, la municipalité de Beyrouth a chargé Jean-Michel Wilmotte d’élaborer des plans et le concept de l’agrandissement. L’architecte de renommée internationale – il a participé à l’aménagement du Louvre – a parallèlement réaménagé l’intérieur du Musée national de Beyrouth en 1999, grâce à des fonds publics. Quelques mois plus tard, Jacques Abou Khaled, un architecte libanais, est choisi parmi une douzaine de candidats pour dessiner les détails des plans, en coopération avec Wilmotte. Les premiers problèmes apparaissent quand les plans sont achevés. Le projet fait de nombreux allers-retours entre la Direction générale des antiquités (DGA) et la Direction générale de l’urbanisme (DGU) pour s’assurer que les techniques utilisées pour l’excavation ne présentent pas de risque d’effondrement. À cela s’ajoutent des complications administratives, une mauvaise communication entre le mohafez et le président de la municipalité, très attaché au projet, et le fait que Wilmotte est aussi occupé par de nombreux autres chantiers.
Le musée dépose finalement en 2004 une demande de permis de construire. Considérant que le maire est mutawali du musée, les membres du comité estiment que l’institution doit être exonérée de la taxe afférente. Le musée entame des démarches auprès du ministère des Finances pour être exempté, mais ne parvient pas à obtenir le statut de personne morale d’intérêt public qui l’autoriserait à ne pas verser la taxe sur le permis de construire. « A posteriori, il apparaît que nous avons été mal informés, car nous ne pouvions avoir droit à une telle exemption », explique une source proche du dossier. Le comité de direction du musée essaie tout de même d’obtenir une réduction de la taxe, alors évaluée à environ 500 000 dollars.
Tandis que le musée poursuivait ses négociations, la situation politique s’est dégradée au Liban avec l’assassinat de Rafic Hariri. Le délai imparti pour payer la taxe municipale après obtention du permis de construire a expiré. Il a fallu recommencer toute la procédure à zéro. Les formalités techniques ont été réétudiées, le projet a été de nouveau contrôlé par les membres de la municipalité, la DGA et la DGU. En juillet 2007, le musée a obtenu à nouveau un permis de construire et il a fini par payer une taxe d’environ 420 000 dollars. Cette petite économie a été plus que largement compensée par la flambée des coûts de construction : entre 2000 et 2005, le coût du projet a doublé, passant de cinq à dix millions de dollars.
Qu’à cela ne tienne, la machine est lancée. Le musée vient à peine de terminer son appel d’offres pour l’excavation, remporté par l’entreprise Touma Engineering. Les premiers travaux devraient commencer au courant du mois de juillet. Après cette première étape, d’autres appels d’offres pour la construction et la décoration seront lancés. Le musée devrait être entièrement rénové dans trois ans. En attendant, les grandes expositions se tiendront au Musée des sciences, près de l’immeuble Starco, grâce à l’accord de Solidere. Le fameux Salon d’automne s’y tiendra en principe début 2009. Les plus petites expositions devraient être transférées à la Fondation Raymond Audi. Le musée espère augmenter l’attrait de ses salles d’exposition, dont la fréquentation tourne actuellement autour d’à peine 50 personnes par mois. Il souhaite aussi organiser davantage d’expositions en dehors de son traditionnel Salon d’automne, qui a pratiquement été sa seule manifestation culturelle depuis un an, excepté une exposition sur le peintre libanais du milieu du XXe siècle, Georges Corm.