L’été 2008 aurait été une excellente saison si les touristes et les Libanais en vacances ne s’étaient pas plaints unanimement d’une grave détérioration de la qualité des services. Alors qu’ils se réjouissaient de la bonne fréquentation de leurs établissements, les directeurs avaient un souci en tête : les ressources humaines. Car depuis trois ans, le personnel qualifié quitte le Liban pour se tourner vers le Golfe, laissant restaurateurs, hôteliers et autres plagistes avec peu d’alternatives.
Karim Asmar, consultant en hôtellerie et tourisme au sein de la société Hodema, confirme cette hémorragie. « Il existe une quarantaine d’établissements enseignant l’hôtellerie au Liban, qu’ils soient techniques, publics ou privés. L’écrasante majorité de leurs diplômés a émigré. Il ne reste plus au Liban que les intermittents et les débutants dont les qualifications ne sont pas suffisantes pour assurer un niveau de service à la hauteur de la demande. » Un problème aggravé par la baisse de la qualité des institutions de formation, selon Philippe Fattal, directeur de l’Institut de gestion des entreprises (IGE) de l’Université Saint-Joseph. « Les serveurs étaient souvent trilingues, aujourd’hui ce n’est plus le cas, et les écoles comme l’IGE qui se concentrent sur les langues ne sont pas nombreuses. »
D’où la phrase que de nombreux professionnels du tourisme ont entendue cet été – « Ce n’est plus ce que c’était » – à l’instar de Gilbert Khoury, directeur des plages Bamboo Bay et Orchid situées toutes deux à Jiyé. Lenteur du service, comportement parfois grossier, oubli des commandes, service culinaire inconstant, voire des vols… de nombreuses lacunes ont entaché l’humeur des plaisanciers.
Pourtant hôtels, restaurants et plages ont fait ce qu’ils ont pu avec les moyens du bord, se démenant pour recruter en toute hâte du personnel local (contrairement aux pays du Golfe par exemple où l’industrie du tourisme est largement servie par une main-d’œuvre étrangère, que ce soit des Philippins, des Bengalais, ou des Indiens…) pour accompagner l’essor inattendu du secteur.
Le début de la saison 2008 s’annonçait en effet morose : les rues de Beyrouth étaient aux mains de groupes armés début mai, ne favorisant pas l’arrivée des touristes. Dès la signature de l’accord interlibanais de Doha, le 21 mai, tout est allé très vite. Les touristes ont commencé à affluer. « Nous avons dû passer d’une stratégie de limitation des coûts à une stratégie de fonctionnement à haut régime », explique Gilbert Khoury.
C’est alors que les problèmes ont commencé. Les établissements saisonniers, tout comme les hôtels et les restaurants qui ont rouvert dans le centre de Beyrouth après des mois de fermeture forcée due au sit-in de l’opposition place Riad el-Solh, ont eu d’importants besoins en personnel. Or depuis 2005, cette ressource est devenue rare, serveurs, cuistots et autres chefs de rang se dirigeant massivement vers le Golfe pour profiter du boom du secteur dans cette région. Aucune statistique n’est disponible, mais les établissements interrogés ont tous déploré de nombreux départs chaque année. « Juste avant la signature de l’accord de Doha, deux membres du personnel sur 22 nous ont quittés pour les pays du Golfe », témoigne Yasmine Attieh, directrice du Talleyrand, un restaurant situé à Kantari. Selon les professionnels, les Libanais sont attirés par des salaires alléchants : quelque 1 500 dollars pour un serveur à Dubaï contre 500 dollars à Beyrouth, par exemple, bien que le coût de la vie y soit plus élevé. Les offres comprennent généralement la prise en charge du logement et du transport, ce qui les rend difficiles à décliner. D’autant que l’instabilité économique et politique au Liban ne contribue pas à décourager les candidats au départ. « Ici, il est difficile de planifier son avenir et de gagner correctement sa vie. Même s’ils ne partent que deux ans, ils arrivent à épargner pour envoyer une partie de leur revenu à leur famille », explique Marina Ashjian, directrice des ressources humaines au Riviera Beach. Sans compter, « qu’une expérience dans le Golfe est valorisée partout dans le monde pour la suite d’une carrière », ajoute-t-elle. Les candidats à l’expatriation sont attirés par les grandes enseignes qui se multiplient dans ces pays voisins, sachant que le Golfe est une région très facile d’accès pour les Libanais, car à l’instar de la Syrie et de la Jordanie, les formalités de séjour sont très faciles. « Il serait très compliqué pour un chef de rang d’acquérir de l’expérience en Europe où la concurrence est rude et les conditions de travail difficiles, sans parler des restrictions à l’immigration », explique Karim Asmar.
Du coup, les employeurs ont dû se rabattre sur du tout-venant – des étudiants en forte majorité – pour compléter leurs équipes. Ouvert depuis le 23 juillet dernier, le Riviera Beach a employé 300 personnes pour cette saison 2008, « mais une centaine nous ont quittés en cours de route, à défaut de pouvoir suivre le rythme », témoigne Marina Ashjian. La plupart jugeaient les conditions de travail trop difficiles, n’ayant pas suivi de formation adéquate, explique-t-elle. Pour cet établissement, dont l’investissement s’élève à 11 millions de dollars, le recrutement en milieu de saison s’est révélé un véritable casse-tête. « Nous n’avons pas vraiment eu le temps de former les nouveaux arrivants. » L’ampleur du problème était aggravée pour Gilbert Khoury, directeur de Bamboo Bay et d’Orchid, par la nature de son activité saisonnière et la concurrence des hôtels et des restaurants, qui, grâce à leurs salaires et prestations, notamment la Sécurité sociale, ont raflé tout le personnel peu ou prou qualifié. Certains plagistes libanais cherchent depuis des années à contourner l’obstacle en gérant des restaurants afin de caser leurs effectifs l’hiver. Khoury a recruté quelque 150 personnes dans ses plages, mais il a lui aussi déploré de nombreuses défections en cours de saison. Résultat, une recrudescence des plaintes de la part de la clientèle, à 40 % des Libanais expatriés. « C’est surtout le personnel d’encadrement qualifié qui a cruellement manqué », comme les chefs de salle ou encore les superviseurs. « J’aurais bien voulu assurer des formations en interne, mais l’afflux massif des touristes ne m’en a pas laissé le temps. »
Pour certains établissements de grand standing, à l’instar du Mövenpick ou du Talleyrand, la formation est un passage obligé. « Nous sommes tenus de maintenir une certaine qualité », explique la directrice des ressources humaines du Mövenpick, Madona Hayek. Cette année, plus de 200 saisonniers ont été embauchés et ont bénéficié d’une formation intensive dans cet hôtel de Beyrouth qui a affiché complet durant 36 jours. Un système qu’envisage de reprendre le Riviera Beach pour éviter la réédition des problèmes rencontrés cette saison. « Le coût de la formation de 18 employés est d’environ 1 000 dollars », précise Marina Ashjian, qui dit confier cette mission à une société privée.
À plus long terme, Karim Asmar estime nécessaire de revaloriser l’image du secteur de la restauration et de l’hôtellerie auprès des jeunes et de renforcer les partenariats entre les professionnels et les institutions de formation, afin d’assurer des débouchés intéressants aux diplômés.
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