Une troisième contribution originale pour tenter de résoudre le casse-tête immobilier au Liban. L’auteur s’inspire cette fois d’une formule qui a fait ses preuves dans nombre de pays.

Le marché immobilier libanais, en crise depuis bientôt quatre ans, ne donne pas encore de signes convaincants de reprise. L’offre est toujours abondante dans pratiquement tous les segments du marché. De surcroît, l’environnement économique général n’est pas encore favorable à une reprise saine. Le manque de confiance évident des opérateurs et des investisseurs (qu’ils soient institutionnels ou privés) limite considérablement la demande. Les niveaux encore élevés des taux d’intérêt rendent peu attractifs les investissements dans la pierre et contribuent à renchérir le coût des opérations de construction-vente.

Première demi-mesure

Le gouvernement semble conscient de la nécessité de raviver ce qui a toujours été l’un des secteurs les plus dynamiques de l’économie libanaise, mais il n’a pas encore été en mesure d’imposer une série de mesures cohérentes allant dans le sens de l’incitation à l’investissement immobilier. En effet, dans le cadre de la loi-budget pour l’année 1999, on trouve deux mesures principalement liées à l’immobilier. La première consistait en l’abaissement provisoire des droits d’enregistrement sur les ventes immobilières, ce qui allait dans le bon sens. Malheureusement, cette mesure, qui n’était que provisoire, était accompagnée d’un relèvement important des taux d’imposition sur les revenus des immeubles bâtis. Or, cette deuxième mesure est franchement décourageante pour les investisseurs institutionnels qui souhaitent investir dans de l’immobilier locatif. Les rendements locatifs bruts qui ne sont déjà pas très élevés au Liban deviennent vraiment faibles une fois les taxes sur les biens bâtis prélevées.
Il nous semble qu’on ne peut envisager de rétablir solidement le marché immobilier et le rendre moins sensible aux facteurs extérieurs sans favoriser l’émergence d’un véritable marché locatif. Ceci est particulièrement vrai pour l’immobilier commercial qui est dans le monde un marché à vocation traditionnellement locative. De même, si l’on en juge par les 20,6 % des logements occupés à titre locatif au Liban (pour une grande part des baux datant d’avant-1975), il existe une véritable demande pour ce type d’offres dans l’immobilier résidentiel. Ceci sans compter l’intérêt de la création d’un parc de logements locatifs à vocation sociale.
Or, si la loi 159 de 1992 instituant la liberté des contrats locatifs constitue une avancée majeure sur le plan juridique, elle n’est manifestement pas suffisante pour raviver le secteur locatif. D’autant que rien n’a encore été fait parallèlement pour moderniser la fiscalité du secteur, qui ne permet pas vraiment dans sa configuration actuelle d’accompagner une reprise ou au contraire de limiter une surchauffe comme celle qui s’est produite au début des années 90. Ceci dit, dans son plan quinquennal, le gouvernement esquisse un train de mesures liées à l’immobilier qui devraient, si elles étaient précisées et surtout bien appliquées, permettre une amélioration notable de la régulation des marchés.

3 taxes à payer

À l’heure actuelle, la fiscalité immobilière au Liban se résume aux taxes et impôts suivants :
• Les droits d’enregistrement : ils sont payés par l’acquéreur au moment de l’acquisition. Il s’agit d’un taux fixe assis sur la valeur du bien acheté. La mesure exceptionnelle de 1999 n’ayant pas été reconduite, il est aujourd’hui de 6,4 % pour les Libanais et de 16,4 % pour les étrangers.
• L’impôt sur les propriétés bâties : il est payé par les propriétaires d’immeubles bâtis. Il est calculé en fonction de la valeur locative des locaux. Il est composé d’une partie à taux fixe (4 %) et d’une partie à taux progressif allant de 2 à 13 % en fonction des revenus locatifs de l’assujetti. Cette situation fait que les gros propriétaires peuvent payer jusqu’à 17 % de la valeur locative.
• Les taxes municipales : auxquelles s’ajoutent les taxes pour “égouts et trottoirs” s’élèvent à 8,5 % de la valeur locative et sont normalement acquittées par l’occupant des locaux (propriétaire ou locataire).
Nous ne prenons pas en considération les taxes liées à la construction.
Le profil de ce cadre fiscal favorise clairement la spéculation (qui n’est pas taxée), au détriment de l’investissement à long terme, puisqu’il taxe lourdement l’exploitation locative et encourage la cession rapide des biens construits. Cela est d’autant plus vrai que beaucoup d’opérateurs procèdent à des cessions de “procurations”, ce qui les dispense d’enregistrer les cessions successives et donc de s’acquitter des droits dus à cette occasion.

1re réforme : la fiscalité

Il nous paraît indispensable de réformer le cadre fiscal lié à l’immobilier. Cette démarche est nécessaire dans un secteur focalisé sur le court terme depuis des années.
Cet objectif peut notamment être atteint à travers le recours aux mesures suivantes par exemple :
• Une diminution notable de la taxe sur les immeubles bâtis, qui aurait pour effet d’améliorer les rendements locatifs nets et de ce fait d’augmenter les investissements locatifs. L’augmentation des surfaces louées aura pour effet de compenser la baisse des taux et peut-être même d’augmenter la collecte globale.
• Un maintien des taux actuels des droits d’enregistrement. Selon certains opérateurs, leur baisse aurait provoqué une légère reprise des investissements, notamment ceux provenant des pays du Golfe.
• L’application d’une taxe foncière sur les terrains non bâtis. Cette mesure ayant pour effet de compenser partiellement les baisses consenties sur les taux d’enregistrement, mais également de diminuer la viscosité dans les transactions portant sur les terrains constructibles. Ceci favorisera la mise sur le marché d’un plus grand nombre de terrains, une meilleure liquidité du marché et de ce fait une plus grande perception de droits d’enregistrement. Naturellement, des taux préférentiels peuvent être appliqués aux terrains agricoles ou non constructibles suivant la volonté du législateur.
• L’application d’un impôt sur la plus-value immobilière aux particuliers. Cette mesure serait largement de nature à compenser toutes les diminutions de recettes occasionnées par la baisse des impôts fonciers. De plus, cet impôt qui pourra être progressif contribuera à freiner la spéculation incontrôlée qui caractérise les opérateurs en période d’euphorie. Là encore, les taux peuvent être modulables en fonction des terrains ou des assujettis.
Ces mesures sont plus ou moins envisagées par le gouvernement, même si aucun calendrier précis n’est proposé pour l’instant. En effet, l’introduction d’un impôt sur les plus-values n’est plus prévue dans le cadre du projet de budget pour 2000. De même, la seule disposition relative à l’immobilier dans ce projet concerne la soustraction de l’amortissement des bâtiments loués (hors terrains) des revenus locatifs soumis à l’impôt sur les propriétés bâties. Cette disposition, qui va naturellement dans le bon sens puisqu’elle contribue à améliorer le rendement locatif, est encore à notre avis bien trop timide pour sortir le marché de son marasme.

2e réforme : la location

Nous pensons qu’il est important d’aller plus loin et de proposer un programme d’appui actif à l’investissement immobilier à long terme. Les effets bénéfiques d’une telle action seraient nombreux ; nous en citerons quelques-uns.
D’abord, ceci devrait améliorer les conditions de logement de nombreuses familles qui, pour diverses raisons, ne sont pas prêtes à l’achat de leur logement.
Ensuite, cette démarche encouragera les opérateurs à bâtir des logements destinés à une clientèle moins stable que les familles (étudiants, jeunes célibataires, cadres étrangers de passage, etc.) qui ne trouve pas où se loger raisonnablement.
De même, les entreprises libanaises sont contraintes dans la situation actuelle de mobiliser une bonne partie de leurs capitaux dans l’immobilier, parce qu’elles ne trouvent pas de locaux locatifs leur convenant. Ces entreprises pourraient alors mettre à profit les capitaux ainsi libérés au développement de leurs activités propres, les rendant ainsi plus efficaces.
Enfin, si les investisseurs privés y trouvent leur compte, ils seront tentés par un investissement locatif leur permettant de diversifier leurs placements, apportant ainsi des capitaux neufs à un secteur qui en a bien besoin.
Il sera souhaitable de faire partager à tous les investisseurs potentiels les bénéfices d’une telle politique, de manière à attirer le plus de capitaux possibles vers ce secteur. Pour ce faire, il conviendra de garder la porte de l’investissement locatif ouverte aux épargnants plus modestes. C’est ainsi que nous préconisons la création de sociétés d’investissement collectif, grâce auxquelles on peut conjuguer les avantages de l’investissement institutionnel et ceux de l’investissement particulier.

Une mesure-clé : les SPI

Des sociétés d’investissement collectif dans l’immobilier pourraient prendre la forme de sociétés qui investiraient leur capital dans de l’immobilier à caractère locatif et, après avoir déduit les dépenses d’exploitation, reverseraient la totalité de leurs bénéfices à leurs actionnaires.
En l’état actuel de la législation, la société la plus adaptée à l’investissement collectif dans l’immobilier est la S.A.L. Toutefois, cette forme de société comporte des inconvénients, notamment en ce qui concerne le cadre fiscal.
En effet, les revenus des actifs de la société sont imposés à trois reprises. Tout d’abord, ils sont soumis à l’impôt sur les propriétés bâties. En deuxième lieu, ils subissent l’impôt des sociétés sur la plus-value constatée en cas de revente des actifs, et enfin, les dividendes distribués sont également ponctionnés.
Or, si l’on compare ce schéma à l’investissement direct, on s’aperçoit que cette dernière forme est bien plus profitable dans la mesure où les revenus ne sont imposés qu’une seule fois, au moment du prélèvement de l’impôt sur les propriétés bâties.
Il est clair que l’égalité des assujettis devant l’impôt n’est pas assurée, et que l’objectif initial de permettre l’accès des petits épargnants à l’investissement immobilier est compromis.
Afin de garantir à tous les investisseurs l’égalité devant l’impôt et par la même occasion favoriser le flux de capitaux vers un secteur important de l’économie libanaise, nous proposons la création d’une forme adaptée de société d’investissement collectif dans l’immobilier, à l’instar de ce qui se pratique dans plusieurs pays occidentaux. (SCPI en France, Limited Partnerships et REITs aux États-Unis).
Cette forme de société que nous appellerons Société de placement immobilier (SPI) pourrait avoir les caractéristiques suivantes :
• Le cadre juridique et réglementaire de la société serait essentiellement celui d’une S.A.L.
• L’objet social exclusif de la société serait l’acquisition et la gestion d’un patrimoine immobilier locatif grâce à l’émission d’actions dans le public.
• La société bénéficierait de la transparence fiscale. En d’autres termes, la personne morale ne subirait aucune taxe ou impôt lié à la propriété immobilière et serait exonérée de l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Les actionnaires (épargnants) seraient alors imposés sur les revenus provenant de leur placement dans la société, et en cas de vente de leurs actions sur la plus-value constatée. Les barèmes appliqués seront les mêmes que ceux de l’investissement direct dans l’immobilier. Pratiquement, la propriété d’actions dans une SPI serait assimilée à la propriété de parts dans un bien immobilier.

La procédure
d’accompagnement

Afin de garantir le respect de l’objet social des sociétés de placement immobilier, le bon fonctionnement de celles-ci et la protection des investisseurs, on pourrait prendre parallèlement les mesures suivantes :
• Il serait fixé un plancher de 75% pour la part des actifs de la société investie en immobilier locatif.
• La société serait tenue de verser la totalité de ses bénéfices.
• La proportion de biens pouvant être cédée dans une même année fiscale serait limitée à 20 % du portefeuille.
• La présidence des SPI devra être assurée par une société de gestion agréée par l’administration. Cette société devra réunir un certain nombre de conditions :
- Elle devra notamment présenter des garanties suffisantes en ce qui concerne son organisation, ses moyens techniques et financiers, l’honorabilité et la respectabilité de ses dirigeants. (On pourrait exiger qu’elle soit filiale d’une banque exerçant au Liban).
- Elle tiendra par ailleurs un registre où seront recensées les offres de cession d’actions ainsi que les demandes d’acquisition portées à sa connaissance, et rapprochera ainsi les différentes parties susceptibles d’effectuer une transaction.
• L’obligation pour cette société de faire procéder annuellement à une évaluation des actifs de la société par un expert indépendant reconnu.
Cette forme d’investissement, qui a déjà fait ses preuves dans plusieurs marchés à l’étranger, qui connaît un succès grandissant, et qui est généralement considérée comme le futur de l’investissement immobilier, représente à notre avis une étape essentielle dans la réactivation des marchés immobiliers libanais. La création d’un cadre juridique pour des SPI au Liban pourrait être l’occasion d’une réflexion globale sur les maux du marché immobilier de ce pays. Beaucoup peut être fait, notamment pour encourager la transparence, l’échange d’informations et une meilleure qualité des réalisations immobilières. À ce titre, il nous paraît nécessaire d’ouvrir le débat à ce sujet ; c’est l’objet du présent article.