Au cœur de Sin el-Fil se trouve un grand parking. Ou plutôt, un terrain vague où sont garées plusieurs dizaines de voitures. De plus près, un détail saute aux yeux. Toutes sont abîmées, voire très accidentées. Les jours d’arrivage au port, plusieurs dizaines de véhicules sont apportés par des camions de dépannage qui repartent aussitôt. En quelques minutes, une petite dizaine de voitures est déposée. La majorité vient des États-Unis, où la prime à la casse a poussé les Américains à se débarrasser de leur vieille automobile.
Interdiction de les prendre en photo, le propriétaire ne rigole pas avec ça. Il faut dire que ces voitures se retrouveront bientôt sur le marché de l'occasion. Trois options. Soit le gérant cède la voiture à un revendeur, qui s’occupe lui-même de la remettre en état, soit il la retape avant de la vendre. Dernière possibilité, exploiter les pièces détachées si le véhicule est vraiment trop endommagé. Mais les garagistes font des miracles. Sans véritable contrôle, car la loi se limite à interdire l’importation de véhicules de plus de huit ans. Ceux qui sont dans la limite d’âge entrent quel que soit leur état.
Dans la zone industrielle à l’entrée nord de Beyrouth, tous les garages se renvoient la balle. « Je ne répare que des voitures d’ici », affirme l’un, avant de nous envoyer chez son voisin. Au fond du garage, un 4x4 défoncé, venu des États-Unis, est en cours de réparation. L’arrière gauche est complètement embouti, l’intérieur a été vidé, les mécanismes éventrés. Les portières, pas encore repeintes, portent des traces de soudure. « C’est un revendeur de seconde main qui me l’a confié pour que je le répare », explique le garagiste. Puis il montre un 4x4 rutilant. Celui-là est terminé, il va repartir chez son revendeur. À côté, trône l’ancienne porte du coffre, défoncée, pliée, marquée par les chocs. Une surprenante démonstration “avant/après”.
Un peu plus loin, un autre garagiste accepte de montrer l’un des véhicules dont il s’occupe. Éventré lui aussi, le capot enfoncé de près d’un mètre, clairement accidenté de l’avant. Oui, oui il va le réparer, mais après hésitation, il sourit « mais, euh, c’est pour moi ». Dans les autres garages de la rue c’est pareil, on reconnaît réparer des véhicules importés pour des revendeurs de temps en temps, mais là, ces épaves « non, non, elles ne sont pas destinées à la revente ».
Côté revendeurs, on joue aussi au chat et à la souris. Sur l'autoroute de Dbayé, personne n’admet vendre des voitures très accidentées, réparées au Liban. Mais pas de problème pour reconnaître que la pratique existe, et désigner le voisin dans un sourire. La concurrence est rude. Une dizaine de nouveaux revendeurs sont apparus récemment. Accusés également, de nombreux particuliers qui importent des voitures usagées, sans taxe et en très petit nombre, et les revendent à leur compte. Car le marché de l’occasion se porte bien cette année. Avec presque 40 000 véhicules usagés cédés, les ventes ont bondi de 67,1 % sur un an et représentent 67,8 % de parts de marché.
C’est aussi avec un sourire en coin que les revendeurs affirment « ne pas savoir » où se trouvent les garagistes qui retapent les voitures abîmées. Tous se cachent derrière “Car Fax”, ce site Internet qui permet de retracer l’histoire des véhicules en provenance des États-Unis à partir du numéro de châssis. « On peut tout voir, les accidents, les PV », détaille l’un des revendeurs. Mais pas les réparations locales.
S’il n’existe aucune statistique disponible sur les accidents impliqués par des voitures usagées, un fait divers a marqué le Liban. En 2005, un député est mort dans un grave accident de la route. Sa voiture, une seconde main réparée, s’était coupée en deux sur l’autoroute. Le Conseil des ministres avait alors demandé l’imposition d’un certificat de contrôle technique émis par le pays de circulation de la voiture. L’idée, éviter l’arrivée au Liban de véhicules tout juste bons pour la casse. Mais le décret d’application n’a toujours pas vu le jour.
En attendant, le premier test pour une voiture usagée remise sur le marché est le contrôle technique. Selon le numéro de plaque du véhicule, il peut avoir lieu plus d’un an après sa mise en circulation. Et encore, s’il est présenté au contrôle et qu’il n’y a pas fraude. Selon Walid Sleiman, directeur général de la Mécanique, seule la moitié des voitures en circulation au Liban sont passées par son service en 2008. Pour ceux qui esquivent, le risque est l’amende, voire la confiscation de la voiture. Si un client veut se plaindre de l’état de son véhicule après l’avoir acheté, il peut appeler le département de protection des consommateurs du ministère de l’Économie au 1739. Mais d’après ce département, le nombre de plaintes concernant les voitures usagées est quasi inexistant.