Le montant des émissions mondiales d’obligations islamiques a chuté de 34,1 milliards de dollars en 2007 à 15,3 milliards de dollars en 2008, soit une réduction de plus de 50 %, suivie d’une autre baisse de 16 % pour les sept premiers mois de 2009. Si le marché des sukuks s’est particulièrement contracté, c’est que la demande de produits islamiques s’est considérablement restreinte durant la crise internationale. « Les acheteurs traditionnels de sukuks, à savoir les banques islamiques des pays du Golfe, se sont retrouvés avec moins de capacité et de liquidités disponibles pour alimenter la demande », souligne Wassim Younan, le CEO de Goldman Sachs à Dubaï. Parallèlement, les sukuks ont subi la concurrence des émissions obligataires conventionnelles qui ont triplé d’une année sur l’autre, atteignant 12,8 milliards de dollars d’émissions entre juin 2008 et 2009, en raison d’une demande soutenue émanant d’investisseurs institutionnels, tels que les gérants de fonds, les fonds de pensions et les compagnies d’assurances, dont l’intérêt est limité pour le marché islamique primaire. Durant cette crise du crédit, les gouvernements du Golfe ont eux aussi recentré leurs émissions obligataires sur les titres conventionnels, davantage sollicités, afin de pouvoir assurer le financement de leur déficit budgétaire, contrer leurs problèmes de liquidités ou venir en aide à leur système financier. À titre d’exemple, le gouvernement d’Abou Dhabi ou ses institutions quasi étatiques telles Mubadala ou TAQA ont préféré émettre des instruments conventionnels plutôt que des sukuks.
Les États du Golfe ont également privilégié les obligations conventionnelles pour créer des “benchmark”, à savoir des émissions de référence, nécessaire à l’actualisation de leur courbe de taux pour des émissions de dettes futures. « Pour élaborer ces valeurs de référence, il faut d’abord émettre une obligation conventionnelle suivie d’un sukuk et non pas le contraire », clarifie le responsable de la salle des marchés d’une grande institution financière à Londres.
Enfin, structurer un sukuk s’avère trop coûteux en temps de crise. L’émission des titres islamiques est en effet bien plus longue que celle des obligations conventionnelles, en raison de la complexité des montages juridiques et de la mise en conformité avec la charia. Par conséquent, lorsque les conditions du marché sont perturbées, les émetteurs ont une marge de manœuvre restreinte, ce qui limite les capacités de structuration et réduit naturellement les émissions islamiques au profit du marché conventionnel.
Un problème de crédibilité
Aux raisons liées à la crise internationale se greffent des explications propres aux sukuks eux-mêmes : à la suite d’un débat concernant la non-conformité à la charia de 85 % des sukuks émis sur le marché, de nouvelles réglementations de l’AAOIFI (Accounting and Auditing Organization for Islamic Financial Institutions) ont été adoptées en février 2008. Elles révoquent la validité des musharakah et mudaraba qui représentaient la majorité du volume des émissions de sukuks en 2007. Dans ces deux structures, la valeur des sukuks dépendait de la solvabilité des émetteurs ou des garants et ne reposait pas sur la valeur des actifs sous-jacents, ce qui a été considéré comme inacceptable d’un point de vue religieux. Depuis cette controverse, les émetteurs ont été encouragés à revoir en profondeur la structure de leurs sukuks et souvent à les retarder.
Plus grave encore, le marché des sukuks a été entaché par la vague d’insolvabilité qui a atteint plusieurs émissions. En avril 2009, The Investment Dar (TID) a fait défaut sur un paiement de son musharakah de 100 millions de dollars en raison d’un problème de liquidités. Ce sukuk avait été mis en place pour financer l’achat de près de 12 000 voitures. Aujourd’hui, les investisseurs réclament leurs droits de propriété sur ces véhicules, mais l’opacité de la structure du sukuk ne le leur permet pas légalement. Un processus consensuel de restructuration et de refinancement de la dette a donc été mis en place en septembre. East Cameron Gas, Golden Belt du groupe Saad ont également eu des problèmes de paiement. Et d’autres titres pourraient être touchés. « Les obligations islamiques, et particulièrement celles du Golfe, sont inextricablement liées à des actifs immobiliers, ce qui laisse encore le champ libre à de potentielles insolvabilités », note Stefan Teufer, directeur M&A et responsable MENA de Deutsche Bank à Francfort.
Enfin, à ces remises en cause, s’ajoute la méfiance accrue en tant de crise des investisseurs à l’égard d’un produit sur lequel ils n’ont pas assez de recul, le sukuk n’ayant pas deux décennies d’âge. Certains investisseurs ont donc préféré garder leur cash ou l’investir autrement, ce qui a forcé maintes institutions à repousser leurs émissions de sukuks ou à retarder le lancement de certains fonds d’obligations. La date d’ouverture du fonds islamique saoudien de HSBC – composé de 12 à 14 sukuks dans les secteurs de l’immobilier et de la banque commerciale – a par exemple été reportée : « HSBC Amanah Sukuk Fund est un excellent produit, seulement le timing a été revu », explique Mahmoud Atalla, responsable du département Private Equity de HSBC à Londres. Le fonds a été proposé en plein été, avec un “lock-up” de quatre ans et des taux de rendement qui ont chuté de 12-15 % à 5-6 % en l’espace de quelques mois. Le produit sera « relancé très prochainement, dès que la situation du marché le permet », ajoute-t-il.
Le rebond après une période difficile
Après des mois difficiles, les émissions de sukuks reprennent toutefois depuis le troisième trimestre 2009 : 6,2 milliards de dollars ont été émis entre juillet et septembre (dont 1,7 milliard par la Saudi Electricity et 1,5 milliard par Petronas), soit une augmentation de 82 % en rythme annuel. En septembre, le sukuk de l’Islamic Development Bank (IDB) d’Arabie saoudite a été sur-souscrit de 2,4 fois avec des commandes atteignant deux milliards de dollars, ce qui signale la relance du marché. De futurs mandats ont déjà été annoncés et la structuration des titres est en cours de finalisation : si Tourism Development & Investment Company (TDIC) a émis une obligation conventionnelle d’un milliard de dollars en juin 2009, et la compagnie émiratie a aussi annoncé en octobre la structuration d’un sukuk d’un montant similaire. « Plus de 50 milliards de dollars d’émissions de sukuks sont attendus », note Waleed Gemayel, Senior Banker et Vice-Président de NBAD Suisse.
La reprise du marché est liée à deux facteurs : du côté de la demande, les investisseurs du Moyen-Orient et de l'Asie musulmane riches en liquidité montrent un intérêt croissant pour les produits conformes à leurs croyances religieuses et, du côté de l'offre, les projets d'infrastructure dans le Golfe exigent d'énormes quantités de financement. Un communiqué du gouverneur de Dubaï, cheikh Mohammad, redonne par ailleurs confiance dans la structure du sukuk de Nakheel de 3,52 milliards de dollars qui vient à échéance en décembre.
Extension géographique
Parallèlement, les investisseurs se diversifient. Quelque 30 % du sukuk étatique indonésien d’avril a été souscrit par des Américains ou des Européens. L’extension géographique a aussi lieu du côté de l’offre grâce aux politiques de certains États qui légalisent ou développent les infrastructures nécessaires à la structuration de sukuks afin d’attirer des investisseurs musulmans fortunés qui préfèrent souscrire à des instruments conformes à la charia. À titre d’exemple, Christine Lagarde, ministre française de l’Économie et des Finances, s’est prononcée à plusieurs reprises en faveur du développement de la finance islamique : « Nous adapterons notre environnement juridique pour que la stabilité et l'innovation de notre place financière puissent bénéficier à la finance islamique », a-t-elle déclaré. À une autre échelle, le Liban a aussi annoncé l’émission d’un sukuk souverain par la Banque centrale.
Cependant, le développement du marché des sukuks à une échelle plus grande dépend de réformes en profondeur de ce marché qui pâtit de problèmes structurels. La priorité est d’unifier les interprétations de la charia grâce à l’AAOIFI et de vérifier la composition des comités de théologiens islamiques – ou “charia boards” – qui statuent sur le caractère licite des transactions. C’est le seul moyen de réduire les risques de défauts de structures pour non-conformité coranique.
Le second chantier concerne la nature des émissions qui devraient privilégier les obligations de type “Asset-Backed” dans lesquelles la valeur de l’actif sous-jacent à la structure équivaut à celle du sukuk, plutôt que les obligations “Asset-Based” dans lesquelles l’actif reste notionnel et la gestion en cas d’insolvabilité bien plus difficile.
Enfin, seule la standardisation des émissions permettra de réduire les coûts de structuration et de multiplier l’offre. Ce qui supposera aussi davantage de transparence.
La demande internationale dépend de ces évolutions. Elle commence à être au rendez-vous, puisque les investisseurs suisses, par exemple, ont représenté 11 % des placements du sukuk de l’Islamic Development Bank en septembre 2008. Mais l’appétit des acheteurs internationaux de sukuks, tels les hedge funds européens ou américains, reste limité. Ils se sont intéressés au marché islamique lorsque les structures obligataires “corporate” étaient plus sophistiquées, avec une composante “equity” ou un profil-risque attractif, d’où les investissements dans le convertible d’Abaar ou le sukuk pre-IPO de PCFC (Ports Customs and Free Zone Corporation). Mais les émissions souveraines récentes d’ijara, moins sophistiquées, ont entraîné un recentrage sur le marché local.
Le paysage des sukuks a été redessiné par la crise
Après la crise financière internationale, les émissions de sukuks étatiques ou quasi-étatiques ont pris le dessus sur les émissions corporate ou institutionnelles, représentant les trois quart du marché pour les sept premiers mois de 2009, alors que les corporate représentaient 87 % des sukuks les sept premiers mois de 2008. « Les spreads de crédit se sont resserrés considérablement : Dubaï est passé de 645 à 295, Abou Dhabi de 230 à 94, Bahreïn de 442 à 172, ce qui a naturellement recentré le marché sur les obligations souveraines, d’autant que les banques et les compagnies immobilières, principales émettrices de titres corporate, ont traversé une crise implacable », souligne Marc Schoucair, responsable de l’activité marché MENA et Turquie chez DZ Bank. Cette redéfinition du marché autour d’émissions étatiques résulte de la détérioration de la conjoncture économique, elle ne devrait pas impliquer une évolution durable de la nature du marché.
L’Asie-Pacifique s’impose
Autre particularité de l’année 2009, les émissions de l’Asie-Pacifique ont fortement augmenté, détrônant celles du Golfe. Parmi d’autres, une entité quasi-étatique malaisienne a émis un sukuk de 1,5 milliard de dollars en août. « La Malaisie a pris le leadership, comme le principal pays d’émission de sukuks avec 45 % du volume des émissions dans les sept premiers mois de 2009 », explique Waleed Gemayel. « Les Émirats arabes unis, l’un des pays phares sur ce segment, ont été beaucoup moins actifs cette année essentiellement à cause de la crise qui a fortement affecté la croissance à Dubaï et le secteur immobilier particulièrement sinistré. » poursuit-il. Au troisième trimestre, l’Arabie saoudite a cependant récupéré son rang avec 44 % des émissions.
L’ijara en prolifération
2008 et 2009 ont aussi connu une évolution du type de sukuks émis. Contrairement aux musharakah ou mudaraba, la valeur de l’actif sous-jacent à l’ijara est à hauteur de la valeur du sukuk, ce qui assure la conformité du sukuk à la charia, et, faute d’alternative, l’ijara a récupéré le marché.
Les monnaies locales dépassent le billet vert
Enfin, les émissions ont pour la plupart été libellées en monnaies locales, le dollar ne représentant plus qu’un cinquième du volume des émissions dans les sept premiers mois de 2009, contre 45 % en 2007 et 85 % en 2002. Toutefois, la vague des émissions de sukuks libellés en devise locale est temporaire et s’explique par le manque de dollars disponibles sur le marché bancaire local. Définition
Le sukuk est un titre de créances conforme aux principes de la charia. Il représente une alternative islamique aux obligations conventionnelles. Le sukuk est un produit financier adossé à un actif tangible permettant de rémunérer le placement en contournant le principe de l’intérêt (riba) et de la spéculation (gharar) : les investisseurs reçoivent des coupons correspondant à une part des revenus dégagés par la performance de l'actif sous-jacent et bénéficient d’un droit de copropriété indirecte sur l’actif en cas d’insolvabilité ou de défaillance de l’émetteur.
Structures les plus émises :
L’ijara (crédit-bail) est un contrat dans lequel un véhicule d’émission, appelé “SPV”, émet un sukuk pour financer l’achat d’un actif immobilier qu’il loue en crédit-bail jusqu’à maturité de l’ijara. Le SPV transfère les revenus de la location aux détenteurs du sukuk. À l’échéance du titre, la maison mère du SPV récupère l’actif.
Le musharakah est un contrat dans lequel deux partenaires (ou plus) financent un projet et se partagent les bénéfices ou subissent les pertes selon des proportions convenues.
Le mudaraba est un contrat entre deux partenaires de rôles différents : l’un fournit les capitaux requis pour un projet et l’autre, le moudarib, gère ce projet et y apporte ses capacités entrepreneuriales. Les profits sont redistribués selon des proportions convenues, mais les pertes sont subies uniquement par le partenaire qui a apporté le capital.
Le salaam est un contrat de vente avec livraison différée de la marchandise.
Le murabaha est un contrat de vente de marchandises au prix de revient majoré d’une marge bénéficiaire convenue. Statut Émetteur Type Nom du sukuk Structure Pays Devise Date de Montant de Marge Terme Commentaires
souscription l’émission d’échéance
(dollars)
Fermé The Investment Corporate The Investment Musharakah Koweït Dol. 27/10/05 100 millions 6m LIBOR 5 ans Processus de
Dar Sukuk Company Dar Sukuk (TID) + 200 bps restructuration
consensuelle
Arrivé Ports Customs and Corporate PCFC Sukuk Musharakah EAU Dol. 14/01/2006 3,5 milliards - 2 ans Convertible. Taux
à échéance Free Zone Corporation 23/01/2006 de souscription :
3,07x
Fermé East Cameron Corporate East Cameron Gas Musharakah EU Dol. 15/06/06 166 millions 11,25 % 13 ans Insolvabilité
Gas Company Company Sukuk
Remboursement Aabar Sukuk Corporate Aabar Sukuk Mudaraba EAU Dol. 28/06/06 460 millions 6,894 % 4 ans Convertible
total le Limited
2 juillet 2008
Fermé Nakheel Corporate Nakheel Sukuk Ijara EAU Dol. Dec 2006 - 3,52 milliards 6,345 % 3 ans Incertitudes et
Development Limited 14/12/2006 délais paiements
Fermé Golden Belt 1 Corporate Golden Belt 1 Manfa’a Arabie Dol. 15/05/07 650 millions 6m LIBOR 5 ans Insolvabilité
Sukuk Company Sukuk saoudite + 85 bps
Fermé PETRONAS Souverain Petronas Ijara Malaisie Dol. 12/08/09 1,5 milliards - 5 ans Relance des
Global Sukuk Global Sukuk émissions,
recentrage
sur l’Asie
Fermé Perusahaan Souverain Govt. of Indonesia Ijara Indonésie Dol. 15/04/2009 650 millions 8,8 % 5 ans 30 %
Penerbit Indonesia International Sukuk - 23/04/2009 d’investisseurs
Européens
et Américains
Fermé IDB Trust Services Corporate Islamic Wakala Arabie Dol. 16/09/09 850 millions 3,172 % 5 ans Taux de
Limited Development saoudite souscription: 2,4x,
Bank Sukuk Moody’s: Aaa,
S&P: AAA
Fermé TDIC Sukuk Limited Quasi-souv. TDIC Sukuk Ijara EAU Dol. 13/10/09 1 milliard Swaps 5 ans Émission de
+ 2,30 % sukuk fait suite au
titre conventionnel
Annoncé BDL Souverain Lebanon Sukuk Murabaha Liban LL N/A 301 - 500 - 4 mois
millions - 3 ans
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