Château Ksara
Du couvent à l’industrie

S. L.

Cave à Ksara, vignobes à Ksara Taanayel, Tal Dnoub, Mansoura, Kanafar. 297 hectares
Date de création : 1857
Production : 2 200 000 bouteilles
Exportation : 45 %
Chiffre d’affaires 2008 : 11 millions de dollars
Investissement : plus de 15 millions de dollars
Répartition du capital : Groupe Kassar 36,5 %, Khalil Sara 17 %, Groupe Sayegh 10 %, Groupe Chaoui 36,5%
Gamme de prix : entre 5 et 35 dollars

La maison Ksara est fondée en 1857 par des pères jésuites qui produisent leur propre vin de messe avant de prendre conscience du potentiel de la terre libanaise. Important des cépages de France, ils augmentent progressivement leur production. L’actuel président de la marque, Zafer Chaoui, se plaît à décrire quatre étapes déterminantes dans l’histoire de Château Ksara. D’abord, la découverte au milieu du XIXe siècle des caves creusées dans la roche à l’époque romaine. Ensuite, l’obtention par la congrégation de plusieurs dizaines d’hectares, près de son exploitation, donnés en compensation par l’Empire ottoman à la suite de l’assassinat de plusieurs frères jésuites dans la Békaa. Une étape « qui a marqué le passage de la petite production de vin d’origine à une production industrielle », explique Zafer Chaoui. En plus, il évoque l’extension des caves réalisée par les familles réfugiées à Ksara durant la Première Guerre mondiale. Elles atteignent désormais presque 2 km de long et sont un atout touristique majeur pour la marque, dont une petite part du marketing s’appuie sur les visites à la cave.
Enfin, la vente de Château Ksara à un groupe d’investisseurs libanais en 1972, après le concile Vatican II des années 1960 qui encourage les monastères et missions du monde entier à vendre leurs commerces. Certains de ces investisseurs ont revendu leurs parts depuis, mais la famille Chaoui, le groupe Kassar et Khalil Sara, présents depuis le début, détiennent actuellement 90 % des parts, le reste étant la propriété de la famille Sayegh.
Les actionnaires décident d’investir massivement dans la cave après la guerre civile. Depuis 1990, plus de 15 millions de dollars ont été injectés dans la société. En 2005, l’entreprise, dont la priorité est de rester numéro un sur le marché du vin libanais, développe un plan d’expansion et veut produire 2 700 000 bouteilles à l’horizon 2011. Elle assure son approvisionnement en raisin et signe des contrats à long terme, entre 25 et 40 ans, avec différents propriétaires terriens. Le contrat prévoit que Ksara se charge de planter les pieds de vigne et d’assurer le suivi technique, tandis que le loyer est indexé sur le prix du raisin.
Même s’il est rattrapé, voire dépassé qualitativement, par beaucoup de jeunes producteurs récents qui ont fait le choix d’un vin haut de gamme, Zafer Chaoui n’a pas peur de la comparaison : « Nous sommes les plus grands, les plus anciens et nous avons les meilleurs équipements. » Le PDG peut en tout cas compter sur les actionnaires. Bien que multipliant les activités parallèlement (lui-même vend des produits pharmaceutiques, du papier et est actionnaire de la Banque libano-française), ils acceptent chaque année de réinvestir les bénéfices réalisés par Château Ksara.
L’entreprise qui emploie 110 personnes exporte vers 32 pays, et plus particulièrement la Syrie, mais aussi la France, les États-Unis. La marque représente 33 % des sorties de bouteilles libanaises, selon les chiffres des Douanes. La société souhaite renforcer sa présence à l’étranger, notamment en s’installant durablement dans les grandes surfaces et les restaurants par la sélection de distributeurs de premier ordre, la participation régulière à des salons et concours, ainsi que des visites fréquentes aux plus grands acheteurs.
Domaine des Tourelles
Deux familles pour un patrimoine

S. L.

Cave à Chtaura et vignobles autour, 35 hectares
Date de création : 1868
Production : 200 000 bouteilles/an Exportation : 38 % de la production Investissement : plus de 200 000 dollars depuis le rachat en 2000
Répartition du capital : 50 % Nayla Kanaan Issa el-Khoury, 50 % Élie F. Issa
Gamme de prix : entre 7 et 35 dollars
L’histoire du Domaine des Tourelles remonte au XIXe siècle. Installé à Chtaura dans la Békaa, François-Eugène Brun, ingénieur agronome français, fonde en 1868 l’hostellerie Brun et une distillerie vinicole. « C’est la première cave commerciale du Liban, puisque seul Ksara existait mais était alors tenu par des moines jésuites qui n’avaient pas le droit de vendre leur production », explique Christiane Issa, fille de l’actuel propriétaire, en charge de la communication. À l’époque, le vin Domaine des Tourelles était surtout vendu aux soldats français stationnés dans la région. La maison acquiert aussi une bonne réputation grâce à son arak, très apprécié localement bien que fabriqué par un Français.
En 2000, Pierre Brun, le descendant de François-Eugène (troisième génération) qui avait poursuivi l’exploitation, décède sans enfants. La cave ferme durant trois mois et deux héritiers sont retrouvés après étude de l’arbre généalogique. Tous deux vivent à l’étranger et souhaitent vendre le domaine. Anciens et reconnus sur le marché, la cave et le vignoble intéressent tout le monde et notamment les grandes maisons comme Château Ksara. C’est finalement Nayla Kanaan Issa el-Khoury, avocate, et Élie F. Issa, ingénieur, deux amis proches de Pierre Brun, qui rachètent la maison pour sauvegarder la cave et l’esprit dans lequel la famille Brun l’avait édifiée. Le montant de la transaction n’est pas communiqué. Depuis, plus de 200 000 dollars ont été investis, « dans du matériel moderne, mais compatible avec le mode de production artisanale », explique Élie F. Issa. « Notre philosophie tient en trois parties : pas de grandes quantités, pas de publicité, pas de ventes en supermarché », résume Christiane Issa, fille d’Élie. Elle jouait dans le jardin de la propriété de Pierre Brun quand elle était petite et est désormais en charge des visites et de la communication de la cave. L’affaire reste familiale et s’appuie sur un positionnement de vin haut de gamme ainsi que sur la renommée de son arak, l’un des meilleurs du pays selon plusieurs critiques. Le Domaine des Tourelles produisait il y a encore 10 ans, « 80 % d’arak, 20 % de vin. Aujourd’hui, leur part respective dans notre chiffre d’affaires est équilibrée : 50-50 », explique Élie Issa. Mais les modes de distribution eux demeurent différents : pour écouler l’arak, le domaine a recours à un distributeur, tandis que pour le vin, le domaine se charge lui-même de la vente. « Pour le vin, nous avons encore besoin de convaincre. Nous préférons donc le faire par nous-mêmes », ajoute-t-il. Au Liban, les bouteilles sont vendues à la cave du Domaine des Tourelles et dans des restaurants comme le Relais de l’Entrecôte à Beyrouth, par exemple. À l’étranger, la cave, qui exporte près de 40 % de sa production, s’appuie sur des distributeurs qui placent ses bouteilles dans les restaurants, les hôtels et chez les cavistes. Davantage que la diaspora, elle vise les connaisseurs et les amateurs de vins.
Les enfants des deux familles sont impliqués : Émile, fils de Nayla Issa el-Khoury, travaille au domaine, tout comme la sœur de Christiane, photographe qui s’occupe notamment des brochures, et leur frère, œnologue qui vient de prendre le relais de Jean-Michel Fernandez, ancien œnologue de Château Kefraya. « Tout est artisanal, même le collage des étiquettes, sourit Christiane Issa. On respecte la tradition.

Domaine Wardy
Le vin du ministre

S. L.

Cave à Zahlé, vignobles dans la vallée de la Békaa Aïnata, Deir el-Ahmar, Bechwat, Zahlé, Kab Élias, Aana, Mansoura 120 hectares
Dates de création : 1893 Production 2009 : 500 000 bouteilles Ventes : 350 000 à 400 000 bouteilles Exportation : 70 % de la production Répartition du capital : Solifed, 4 actionnaires : deux frères Sélim et Aziz Wardé et deux cousins Khalil et Sami Wardé
Gamme de prix : entre 6 et 50 dollars
Le Domaine Wardy est issu de l'achat progressif des domaines de deux familles productrices d'arak et de vin depuis la fin des années 1890, les Ghantous et les Abou Raad, par deux frères, Aziz et Georges Wardé. Ils achètent la cave et les terrains, certains plantés, d’autres nus, pour un montant non divulgué et commencent à moderniser l’équipement. La marque en tant que telle est créée en 1997 et est lancée sur le marché libanais deux ans plus tard, avec cinq vins différents. La société mère, Solifed (Société libanaise de fermentation et de distillation), produit également de l'arak, du vinaigre et toutes sortes de boissons alcoolisées. « La branche vin a été rentable très rapidement, puisque nous ne partions pas de zéro », explique Sélim Wardé, le fils de Aziz Wardé, qui est l’un des quatre actionnaires et dirige l’entreprise (NDLR : l’interview a été réalisée avant que Sélim Wardé ne soit nommé ministre). Domaine Wardy représente environ 40 % du chiffre d’affaires de Solifed.
La cave exporte 70 % de sa production notamment vers la France, la Suède, le Canada et les États-Unis, grâce à des sociétés de distribution sous contrat. Pour se faire une place sur le marché libanais, Domaine Wardy cherche constamment à innover, notamment en termes de packaging. Par exemple, en 2002, la marque lance un “vin de Noël” dont seule la bouteille, spécialement dessinée pour les fêtes, diffère ainsi que des formats “mini-bar”. La cave s’appuie également sur Bocti, l’un des plus grands distributeurs du pays. Il vise autant les restaurants que les supermarchés. Enfin, elle se revendique comme « la pionnière des monocépages », des vins destinés à attirer des clients qui souhaitent goûter les différentes variétés isolément. Elle emploie 42 personnes à plein-temps pour sa filière vin et s'est adjoint les services d'un consultant français. La moitié du raisin est produite sur des terrains situés dans la Békaa et appartenant à la cave, le reste est acheté à des producteurs sous contrat de 5 à 12 ans.


Château Ka L’outsider qui s’impose

S. L.

Cave à Chtaura, vignes près de Baalbeck (Douris, Majdalan, Taibé), 100 hectares
Date de création : 1919 Production : 200 000 à 250 000 bouteilles/an Exportation : 25 % de la production Ventes : 60 à 70 % de la production Investissement : environ 5 millions d’euros Répartition du capital : Akram Kassatly et son fils Gamme de prix : entre 6 et 20 dollars
La production de Kassatly a commencé avec le père d’Akram Kassatly, actuel président de la marque, qui achetait du raisin pour faire son propre vin. « Je suis né dans une bouteille, sourit le patron de Château Ka. Quand mes copains allaient jouer, moi je nettoyais les bouteilles, j'aidais mon père... »
À la fin des années 1960, le jeune Akram part faire des études d'œnologie à Dijon, avant de revenir construire une nouvelle cave avec son frère Nabil, à Chtaura, en 1974. La production s'arrête avec la guerre et reprend en 2004. Cette année-là, Akram Kassatly achète quelques hectares non loin de Baalbeck pour poursuivre sa passion. « Le vin est un produit prestigieux, souligne-t-il. Ce n'est pas de la limonade. »
Et il s'y connaît en limonade, entre le début de la guerre et 2004, la société Kassatly Chtaura, créée à l’origine pour faire du vin, s'est développée sur le marché des boissons gazeuses et énergisantes comme Buzz et Freez, des jus de fruits et des sirops. Elle est aussi devenue un acteur important au Liban sur le marché des liqueurs locales. L’entreprise, qui emploie plus de 100 personnes et fait également des confitures pour les hôtels et les compagnies d’aviation, refuse de communiquer son chiffre d’affaires. Ces activités lui ont ouvert les portes des supermarchés et des distributeurs, lui permettant d'écouler sa production de vin. À l’inverse de la plupart des producteurs de vin libanais, Château Ka vend majoritairement sa production sur le marché intérieur et n’en exporte que 25 %. Akram Kassatly concède en revanche avoir de grandes difficultés pour être présent dans les restaurants, évoquant une « guerre marketing avec les grands ».
Il vinifie près de 250 000 bouteilles par an et souhaite atteindre les 500 000 cols, soit la capacité maximale de sa cave. Pas plus, pour conserver l’image de qualité, « différent du vin de table », qu’il tente de construire autour de son vin. Depuis 2000, date à laquelle son frère lui a revendu ses parts dans l’entreprise, Akram Kassatly travaille en partenariat avec son fils, Nayef, qui "moins romantique et passionné que (lui)", n'a pas toujours envie d'investir les gains réalisés sur les autres activités dans le vin. « Il est peut-être plus réaliste aussi », sourit Akram Kassatly, avouant avoir investi près de cinq millions de dollars dans une activité pas encore rentable. Mais il ajoute : « Certains vont au casino, d'autres s'achètent de belles voitures, moi, je fais du vin. »

Nakad
Un avenir très incertain

S. L.

Localisation : cave à Jdita, 100 hectares cultivés en propre dans la région de la Békaa
Production : 250 000 bouteilles
Exportation : 60 %
Date de création : 1923
Répartition du capital : quatre frères : Sélim, Bassam, Samir et Sami Nakad

L’une des plus vieilles caves de vin au Liban (1923), au bord du précipice ? La raison : une grave mésentente, dont on ignore la cause exacte, entre les quatre frères Nakad, propriétaires du domaine à parts égales. Faute d’un compromis, le sort de la cave est aujourd’hui entre les mains de la justice. En attendant, Nakad a stoppé toute activité.
Pourtant, le passage de relais entre la première et la deuxième génération s’était effectué en douceur. Le fondateur, Joseph, à l’origine un cordonnier, producteur d’arak et de vin doux, qui avait eu l’idée de produire du vin pour satisfaire la demande des soldats français casernés au Liban, avait choisi son fils aîné Sélim pour lui succéder à la tête du domaine.
C’est à Jdita (Zahlé) que se trouvent la cave et les chais. Lorsque Sélim et ses trois frères s’entendaient encore, entre 245 000 et 265 000 tonnes de raisins y étaient vinifiées par an. Soit près de 250 000 bouteilles. Cette production, stable depuis une dizaine d’années (avant la guerre civile et l’occupation israélienne du Sud, Nakad aurait produit jusqu’à un million de bouteilles par an), était réalisée grâce aux terrains possédés par le domaine, une centaine d’hectares en propre à Jdita. Plus de la moitié des raisins étaient toutefois achetés à des producteurs de la Békaa sous contrat. Ces viticulteurs recevaient les cépages, achetés en France, qu’ils cultivaient eux-mêmes. Les vendanges étant assurées par Nakad, qui employait dix personnes à plein-temps toute l’année.
60 % de la production était réservée à l’exportation, vers la Suède et la France. Nakad élaborait huit vins différents, trois rouge (80 % de la production), deux blanc, un rosé et un vin doux. Nakad se concentrait sur une production de qualité : des rendements limités à 750 kg par acre ; un élevage de cépages nobles (comme la Syrah ou le Tempranillo) avec, pour résultat, un vin de terroir, que Sélim Nakad déclarait « vouloir être au plus près de la nature ».

Château Victor
La passion du grand-père

S. L.

Localisation : Mansoura, Kefraya-Village, Niha, Baalbeck ; cave à Mtein dans la région du Metn, 80 hectares
Date de création : 1950
Production 2009 : 400 000 bouteilles/an
Exportation : 20 %
Répartition du capital : familiale
Gamme de prix : entre 2,80 et 15 dollars

Château Victor est le résultat de la transmission d’une passion : du grand-père Youssef Abou Sleiman qui, après avoir commencé à produire un peu d’arak, a obtenu la licence de production de vin en 1950 au petit-fils, Joseph Abou Sleiman, qui a commencé la construction d’une nouvelle cave dans le village de Mtein (Metn) et l’expansion de la production en 1996. Parti de la petite installation sous la maison familiale, Château Victor, qui produit actuellement 400 000 bouteilles par an compte atteindre les 1,5 million de cols, soit la capacité totale de la cave quand elle sera entièrement terminée. Aujourd’hui, Joseph Abou Sleiman achète l’intégralité du raisin qu’il vinifie, mais il envisage de planter des vignes tout autour de sa cave sur les terres familiales, d’une superficie de 5 hectares environ.
« Mais on grandit pas à pas », confie son épouse Cynthia, infirmière, qui l’a rejoint dans le métier il y a deux ans. « Ce sont des investissements qui coûtent cher », justifie-t-elle. En 13 ans, les Abou Sleiman ont déjà injecté près de quatre millions de dollars dans l’exploitation.
Le couple démarche lui-même des distributeurs au Liban. La marque est référencée dans les supermarchés Spinneys et Charcutier Aoun ainsi que dans quelques restaurants comme La Cigale ou Burj el-Hammam. Château Victor espère compter parmi les bouteilles de la cave spécialisée Aziz dès cette année. Près de 20 % de la production est vendue à l’export, en Irak et en Syrie uniquement, par des commerçants libanais ayant des boutiques sur place.
Mais la cave étrenne une nouvelle stratégie. « Nous avons une image moyenne pour le moment », explique Cynthia Abou Sleiman. Pour se distinguer, Château Victor lance une nouvelle gamme de vins appelée “Oumsiat”. Des vins d’assemblage (Syrah, Cabernet-Sauvignon, Grenache et Carignan) élaborés grâce au conseil de l’œnologue consultant David Ciry, ancien de la Cave Wardy, et de l’œnologue Bassir el-Amy qui travaille en permanence au domaine. Cette gamme vieillit en fûts. La bouteille et l’étiquette sont, elles aussi, différentes et plus fines. Le positionnement et les prix ne sont pas encore bien définis, mais Château Victor cherche déjà un distributeur. Cette année, les Abou Sleiman partent aussi à l’attaque du marché français, en se rendant pour la première fois au Salon vinicole de Montpellier en février prochain. Ils y participeront sur le stand du producteur français, le “Domaines Paul Mas”, avec qui ils finalisent un accord, qui comprendra probablement la commercialisation réciproque du vin de l’un dans le pays de l’autre. Le couple espère que ses investissements seront rentables d’ici à cinq ans.

Château Kefraya
L’incontournable

S. L.

Cave et vignobles à Kefraya-Village, 425 hectares
Date de création : 1979
Production : 2 millions de bouteilles
Exportation : 40 à 45 % de la production
Chiffre d’affaires 2008 : 8 millions de dollars
Répartition du capital : 50 000 actions réparties entre :
28 300 Walid K. Joumblatt
9 700 Bustros Holding
6 500 Fattal Holding
5 000 Consolidated Company for Agriculture
300 Bahige Rachid Abou Hamzé
100 Touma Toufic Arida
100 Michel de Bustros
Gamme de prix : entre 5 et 70 dollars

Au début des années 1950, Michel de Bustros, issu d’une famille patricienne beyrouthine, entame un immense projet de plantation viticole dans le village de Kefraya, dans la Békaa, par passion pour l’agriculture. Après de grands travaux de préparation de la terre, dont il a hérité, à coup de bulldozers et de terrassements, le domaine atteint les 300 hectares peu avant la guerre civile. Plus de la moitié des terres appartiennent à Château Kefraya, le reste est sous contrat. La cave achète aux vignerons la production qu’elle supervise elle-même. Au départ, le fruit des vendanges est destiné à des coopératives agricoles, ce n’est qu’en 1979 que Michel de Bustros décide de faire son propre vin et institue Château Kefraya comme une société de production vinicole et lance son premier millésime.
Durant la guerre, Michel de Bustros ne quitte pas son exploitation, il raconte même comment il faisait des allers-retours à Beyrouth pour livrer les caisses de vin, en passant par Saïda puis la mer quand la route était coupée. La production ne s’arrête pas, l’année 1982 est même excellente. Sa cave, ultramoderne, est construite en trois étapes jusqu’en 2000 et est actuellement en cours de rénovation. Elle se veut à la pointe de la technique avec des équipements très avancés et notamment le tri optique du raisin. Elle se trouve « parmi les 10 caves les mieux dotées au monde », souligne Émile Majdalani, directeur commercial de Château Kefraya, qui refuse de communiquer les montants investis.
Déjà très bien implanté au Liban, puisqu’il se partage les 2/3 du marché local avec Ksara, Château Kefraya cherche à améliorer son positionnement afin de toucher de nouveaux clients mais aussi de faire face à la concurrence croissante. Kefraya remplace progressivement ses vignes par des cépages nobles au gré des renouvellements de parcelles.
Château Kefraya emploie 75 personnes à plein-temps et cherche à développer une identité personnelle en faisant figurer chaque année un tableau d’artiste libanais sur ses étiquettes.
Mais Château Kefraya s’active aussi sur le marché international. À l’export, la cave convoite le haut de gamme des pays où il s’introduit, comme la France, la Jordanie, la Syrie ou encore les États-Unis et vise en priorité les caves spécialisées et les hôtels ou restaurants. Kefraya est présent dans plus de 35 pays et sur les cinq continents. Une fierté pour son directeur commercial, qui avoue n’avoir plus peur de dire n’avoir « que 30 ans ». Après l’introduction toute récente de la marque sur le marché latino-américain, la maison regarde maintenant vers l’Inde et la Chine.
Et si, à cause de la crise, l’objectif d’équilibre « 50-50 » entre ventes locales et exportation n’a pas été atteint cette année, « ce n’est que partie remise », sourit, confiant, Émile Majdalani.

Heritage
Être référencé comme vin du monde

S. L.

Cave à Kab Élias, vignobles Kefraya-Village, Mansoura, Zahlé, 60 hectares
Date de création : 1997
Production 2009 : 500 000 bouteilles/an
Exportation : 60 %
Ventes en 2008 : 80 %
Investissement : 4 milliards de dollars
Répartition du capital : famille Touma
Gamme de prix : entre 4 et 25 dollars

Avec un grand-père dans le business de la distillerie de l’arak et un père copropriétaire de la société Arak Touma, le Dr Dargham Touma, alias “Docteur D”, se sentait destiné à faire du vin, à l’instar de son frère, fondateur de la cave Clos St.Thomas. En 1997, il crée sa propre société de production vinicole, Heritage, avec son père et ses deux frères. Première production : 5 000 bouteilles. Aujourd’hui, la famille en produit plus de 500 000 par an. Se plaçant parmi les plus grands producteurs de vin au Liban, elle voit plus grand encore : elle compte atteindre le million de cols d’ici à deux ans, soit la capacité maximale de sa cave. Seules 10 % des vignes lui appartiennent, le reste du raisin provient de terres sous contrat de 15 ans. Dargham Touma qui a investi plus de quatre millions de dollars depuis 1997 estime en effet que son seuil de rentabilité sera atteint quand il vendra un million de bouteilles par an. Il espère y parvenir d’ici trois ou quatre ans.
Sur le marché libanais, Heritage mise surtout sur les supermarchés et les épiceries. Il est son propre distributeur. « Nous n’avons pas de distributeur assez fort pour nous appuyer auprès des restaurants », explique Dargham Touma, directeur des ventes, soulignant la rude compétition avec les grandes maisons comme Ksara et Kefraya. La cave est aussi présente sur le marché extérieur et exporte 60 % de sa production. En France par exemple, Heritage s’appuie sur ses réseaux personnels tandis qu’aux États-Unis, elle compte sur les services d’une société de distribution.
Dargham Touma essaye de voir plus loin que ses concurrents : « Le marché de la diaspora libanaise va vite être saturé, donc nous misons sur autre chose que les restaurants libanais à Paris ou à Londres. » Heritage tente de négocier avec les grandes surfaces européennes comme Champion en France pour être référencé comme vin du monde. La société emploie une vingtaine de personnes à plein-temps, dont le Dr Touma, titulaire d’un doctorat d’œnologie obtenu aux États-Unis, et ses deux frères, respectivement en charge du management et de l’export.

Cave Kouroum
Sur la terre des grands

S. L.

Localisation : cave et vignoble à Kefraya-Village, 200 hectares
Date de création : 1997
Production : 500 000 bouteilles
Exportation : 55 % de la production
Chiffre d’affaires 2008 : un million de dollars
Investissement : plus de 7 millions de dollars
Répartition du capital : 90 % Bassim Rahhal, 5 % fille de Bassim, 5 % son frère
Gamme de prix : entre 2,60 et 22 dollars

« Un nouveau vignoble sur une terre ancienne » ou comment grandir à côté d’un géant. La Cave Kouroum n’est pas située n’importe où : elle étale ses quelque 200 hectares de vignes autour du village de Kefraya, dont la majorité des terres est jalousement gardée par la marque de vin éponyme.
L’histoire commence en 1997, alors que le père et le grand-père de l’actuel propriétaire Bassim Rahhal, se retrouvent avec plus de 400 tonnes de raisin sur les bras tout comme plusieurs de leurs voisins producteurs viticoles. Les grandes maisons comme Château Ksara ou Kefraya, à qui ils vendaient les récoltes depuis deux générations sans contrats particuliers, n’avaient pas les moyens de les leur acheter à cause de la crise économique. Bassim Rahhal se lance alors dans la vinification, avec l’aide d’Yves Morard, un œnologue avignonnais, ancien de Château Kefraya, qu’il embauche. Ils créent Cave Kouroum. Entre l’achat et la location de matériel auprès des caves environnantes, la première cuvée, de 400 000 bouteilles, lui coûte près de 100 000 dollars.
En 1999, Vinexpo, à Bordeaux, leur donne des ailes. Cave Kouroum y remporte un trophée d’argent parmi les vins libanais et prend conscience de son potentiel, notamment à l’export. La même année, Bassim Rahhal commence l’aménagement de sa cave. Il vise la modernité, et achète ce qui existe de plus évolué en France et en Italie. En tout, près de sept millions de dollars sont investis, provenant notamment de la vente de quelques-unes de ses propriétés dans la Békaa. L’inauguration de la cave a lieu en mai 2001. Avec 7 200 m², elle a l’une des plus grandes capacités du Liban, soit un million de litres traités chaque année et la possibilité d’en stocker trois millions.
Avec de telles possibilités de production, la stratégie de distribution de Cave Kouroum est expansive. Son créneau : « Le meilleur rapport qualité/prix », explique Ibrahim Serhal, responsable des ventes à l’international mais, surtout, l’entreprise s’adapte aux pays d’exportation. Pour être compétitive à l’international, Cave Kouroum vend avec de très faibles marges, voire à perte dans certains cas. Les bouteilles sont commercialisées entre 2,6 et 8 dollars alors que, sur le marché local, les prix sont compris entre 5 et 22 dollars. Cave Kouroum exporte 55 % de sa production, principalement en Europe, mais aussi sur le continent américain et en Asie depuis peu de temps. Son vin est présent dans les restaurants libanais, mais cherche aussi à toucher les consommateurs de vins internationaux. La Cave s’appuie sur des distributeurs dans tous les pays où elle est exportée. Elle tente aussi d’attirer de nouveaux clients en développant des vins monocépages.
Si l’entreprise se porte plutôt bien, ce n’est pas toujours facile de côtoyer Château Kefraya. À ses débuts, le nom choisi par Bassim Rahhal était “Cave Kouroum de Kefraya”, tant parce que c’est le village d’implantation du vignoble que pour profiter de la notoriété du concurrent. Le but était aussi de créer une appellation d’origine contrôlée “Kefraya”, un projet refusé jusque-là par Château Kefraya qui, pour défendre sa propre marque, intente un procès à son voisin. La confrontation judiciaire se résout finalement à l’issue d’une conciliation : Cave Kouroum abandonne la mention Kefraya dans son nom et la conserve uniquement pour expliquer la localisation géographique du domaine. « De toutes façons, on est assez bien implantés pour ne pas avoir besoin du nom », glisse Ibrahim Serhal. Dernière fierté, pas encore utilisée en termes de marketing, Bassim Rahhal est le seul producteur de vin musulman du Liban.

Clos St.Thomas
Une diversification réussie

S. L.

Localisation : coteaux de Kefraya, Kab Élias, 65 hectares (dont 50 % en propriété, le reste sous contrat)
Date de création : 1997
Production 2009 : 650 000 bouteilles/an
Exportation : 70 %
Ventes en 2008 : près de 650 000 bouteilles
Investissement : 4 milliards de dollars
Répartition du capital : familiale
Gamme de prix : entre 6 et 80 dollars

La famille Touma, à l’origine de Clos St.Thomas, produit de l’arak depuis 1888. Saïd Touma, l’actuel propriétaire et directeur de l’entreprise, décide, au début des années 1990, d’utiliser toute son expérience dans la distillerie et la fermentation pour produire du vin, sa passion. Tout en continuant la production d’arak avec ses frères, il plante des vignes en 1990, sur près de 30 hectares qui lui appartiennent, et crée sa propre société, distincte du business familial. En tout, jusqu’à aujourd’hui la famille a investi plus de 4 millions de dollars dans la production de vin . Il réalise sa première récolte en 1998. Avec une production annuelle de près de 650 000 bouteilles, Clos St.Thomas fait partie des grands producteurs de vin libanais. Mais Saïd Touma ne compte pas s’arrêter là et plante chaque année de nouveaux terrains. Il compte aussi, pour 50 % de ses récoltes, sur du raisin qu’il achète à des viticulteurs de la région sous contrat. Certains louent simplement leurs terres et Clos St.Thomas s’occupe de tout tandis que d’autres vendent les grappes mais gèrent l’entretien de la vigne.
Seule 30 % de la production est vendue au Liban, au travers des canaux traditionnels et notamment des restaurants. Le reste des bouteilles de Clos St.Thomas est exporté vers l’Europe, le Canada mais aussi le Japon et quelques pays arabes. Nathalie Touma, l’une des filles du fondateur en charge du marketing et de l’export, explique se rendre à tous les salons internationaux possibles afin de démarcher les connaisseurs étrangers et toucher un nouveau public. Elle cherche à séduire restaurateurs et critiques qui, à leur tour, feront connaître le vin. L’entreprise réunit toute la famille Touma, les deux sœurs de Nathalie travaillant respectivement au management et comme chimiste pour le laboratoire et la cave ; le frère, quant à lui, est l’ingénieur agronome et l’œnologue de Clos St.Thomas.

Coteau d’Héliopolis
La vigne de l’espoir

M. R.

Localisation : autour d’Aïnata (Deir el-Ahmar), 11 villages (9 chrétiens ; 3 musulmans)
Date de création : 2000
Récolte 2009 : 260 tonnes
Ventes en 2008 : intégralité de la récolte à l’exception de 7 tonnes conservées pour la production (5 à 6 000 bouteilles) de la Coopérative
Investissement : donateurs, Conseil général de l’Oise
Gamme de prix : entre 1,05 (plaine) et 1,35 dollar (coteaux) le kilo de raisin

La vigne existe depuis longtemps autour d’Aïnata. En témoignent des lieux-dits comme celui de « kouroum » (vignobles en arabe), situé dans le piémont de la montagne sur laquelle se niche le village. Mais pendant les années 50, le phylloxera a tout détruit. Ne laissant aux paysans qu’une alternative : la culture du cannabis pour subvenir à leur besoin. En 1991, la région de Baalbeck abritait ainsi quelque 15 000 hectares de haschisch et 5 000 de pavot. Industrie prospère pendant la guerre (54 000 personnes en dehors des saisonniers y travaillaient), le “secteur” a commencé à faire face à des difficultés quand le gouvernement libanais a voulu reprendre en main le destin des régions délaissées. « Auparavant, nous cultivions tous du haschisch pour la plue-value induite. Aux alentours de 4 000 dollars par hectare planté. Mais nous n’étions jamais assurés de percevoir l’argent quand nous vendions au trafiquant. Il fallait souvent de très longs mois pour récupérer notre dû », fait valoir Georges, un paysan d’Aïnata, passé depuis à la vigne et qui possède des troupeaux de brebis et de chèvres. À partir de 1993, l’État donne l’ordre de détruire les cultures illicites, mais sans proposer aucune culture de substitution aux agriculteurs. Conséquence : la région, connue pour sa situation déjà désastreuse en matière d’infrastructures et de services, s’enfonce un peu plus dans la misère, poussant ses paysans à l’exode vers Beyrouth. « Aïnata est un village où l’on compte 120 maisons. L’hiver seule une vingtaine sont occupées ; l’été une quarantaine », reprend Georges.
C’est dans ce contexte qu’intervient le projet de la Coopérative des Coteaux d’Héliopolis. L’idée est simple : remplacer le cannabis par la culture de la vigne. Le projet germe, en fait, dans la tête de deux hommes Serge Carmantran, un coopérant français travaillant sur l’agriculture dans la région de Zahlé, et le chirurgien Sami Rahmé, originaire d’Aïnata, désireux de « faire quelque chose pour sa région. Première gageure : fédérer les villageois autour d’une Coopérative. Deuxième exploit : les persuader que la vigne pourra répondre à leurs besoins. « La vigne n’est pas fragile. C’est par la frontière syrienne que transitent les productions agricoles de la région. Or, dès qu’un problème apparaît, la frontière est fermée et les productions pourrissent sur pied. Avec la vigne, la demande est intérieure et ce risque est nul », explique Diana Salamé, l’œnologue bénévole de la Coopérative. Les premiers plans de vigne sont offerts en 2000 par le Conseil de l’Oise. Le succès est immédiat. Aujourd’hui, 200 à 250 agriculteurs y sont engagés. « Nous ne possédons souvent que de petites parcelles, un hectare ou deux à la fois. Pour ces surfaces, seule une culture à forte valeur ajoutée peut être rentable. Auparavant, le tabac jouait ce rôle quand la main-d’œuvre était familiale. Aujourd’hui, c’est la vigne : sa culture se rentabilise à hauteur de 6 000 dollars l’hectare et le paiement est immédiat. On a en partie enrayé la vente des terrains et l’exode économique », poursuit Georges.
La région est particulièrement adaptée à la vigne : les terrains sont presque tous situés sur les coteaux, entre 800 et 1 800 m d’altitude. Le climat est assez sec, le sol caillouteux et argilo-calcaire, les rendements limités. « Nous arrosons les deux premières années. Ensuite, plus du tout », explique Sami Rahmé, qui gère la présidence de la Coopérative comme bénévole. Pour Bernard Burschty, chroniqueur vin au Figaro, qui participait à la dégustation organisée par Le Commerce du Levant, pas de doute : « On est devant un terroir exceptionnel à comparer avec la Bourgogne et des régions viticoles comme Meursault ou Pommard. » C’est ce qui explique que les raisins récoltés soient aussi à haut potentiel œnologique. Goûtant le vin de la Coopérative, le chroniqueur du vin constate vite : « Il y a une qualité des matières premières tout aussi exceptionnelle. On voit nettement que les paysans connaissent leur métier, malgré le manque de moyens qui les oblige, par exemple, à ne pas palisser la vigne. Les bases sont là pour de très grands vins. » Lorsqu’un agriculteur demande à intégrer le programme de la Coopérative (il existe une liste d’attente), les 1 500 premiers plants de vigne lui sont offerts. Les 1 500 suivants lui sont octroyés sous la forme d’un prêt bonifié : le futur vigneron a dix ans pour les rembourser. Sans surprise, les cépages cultivés sont d’origine française : Syrah, Cabernet-Sauvignon Caladoc pour les rouges ; Viogner pour les blancs. La Coopérative d’Héliopolis a longtemps vendu son raisin en exclusivité au Domaine Wardy. En 2008, dernière année de leur partenariat, les ventes de raisins au Domaine Wardy ont représenté un chiffre d’affaires approximatif de 270 000 dollars. Cette année, la Coopérative a choisi de travailler avec Lebanon Mountains, le projet du groupe Debbané-Saïkali en association avec Carlos Ghosn (voir article consacré au projet Ixsir). Mais surtout, la Coopérative se penche sur la seconde phase de son développement aujourd’hui que la culture du cannabis a largement diminué dans la région : la création de sa propre cave. Une étude a été réalisée pour permettre sa montée en puissance progressive, selon que les coopérants choisissent de toujours vendre une partie de leur raisin à des domaines viticoles ou de conserver la totalité de leur production pour eux-mêmes. « Nous envisageons de monter une cave par “module”. Dans sa phase “un”, un investissement d’un million de dollars est nécessaire et dans sa phase “trois” de pleine puissance trois millions de dollars. » Une création à petit pas, car Sami Rahmé ne veut surtout pas prendre le risque de mettre en péril les revenus des coopérants. « Cette année, nous avons réservé 7 tonnes pour notre propre vinification. Nous cherchons des financements : les coopérants doivent rester majoritaires dans le capital de la nouvelle cave. Les coopérants participeront de leurs propres deniers. Des ONG nous ont déjà donné leur feu vert pour également nous financer. Mais 49 % du capital de la future cave peut être ouvert à des partenaires commerciaux. »

Coteaux du Liban
Bientôt sur le marché libanais

S. L.

Cave à Haouch el-Oumara, vignoble sur les coteaux de Zahlé, 10 hectares
Date de création : 2000
Production : 100 000 bouteilles/an
Exportation : 100 %
Capital : NC
Répartition du capital : Nicolas Abou Khater
Gamme de prix : entre 4 et 10 dollars (pas encore de prix fixés pour le marché local)

Coteaux du Liban est une affaire personnelle, la construction de Nicolas Abou Khater, décédé accidentellement cette année. Œnologue, fils d’un propriétaire viticole qui vendait son raisin et consultant pour d’autres, il avait fondé sa propre cave en 2000, à Haouch el-Oumara, en s’appuyant sur ses économies et quelques crédits. Il gérait tout depuis le plant jusqu’à la bouteille, sans que l’affaire ne soit encore rentable. Elle produit quelque 100 000 cols par an, mais a une capacité de 150 à 200 000 bouteilles annuelles. Un chiffre qu’espère atteindre Roula Abou Khater, la veuve du fondateur. Elle a repris le flambeau, avec l’aide d’un œnologue. Coteaux du Liban produit cinq vins rouges, dont deux monocépages, un vin blanc ainsi qu’un rosé.
Pour le moment, toute la production de Coteaux du Liban est exportée. Vers l’Europe d’abord, mais aussi vers l’Asie, en Chine, en Malaisie, à Singapour... La cave avance doucement, au gré des contacts obtenus dans des salons internationaux. Elle prend les commandes des boutiques et des restaurants et envoie des colis groupés selon les pays. Pour la cave, le défi de cette année est le lancement du vin sur le marché libanais. Rien n’est fixé, mais Roula Abou Khater cherche un distributeur libanais, grâce auquel elle espère être présente dans les supermarchés, malgré la concurrence. À l’origine diplômée de musicologie et professeur de piano, la nouvelle propriétaire de Coteaux du Liban explique avec émotion qu’elle veut avant tout conserver la qualité du vin et continuer « le rêve de (son) mari, qui était de montrer la plus belle image possible du vin libanais dans le monde entier ». Pour cela, elle est aidée de trois employés à plein-temps et compte sur la hausse progressive des ventes pour pouvoir réinvestir et s’agrandir. À l’heure actuelle, la cave réalise un chiffre d’affaires de 60 000 dollars par an, ce qui lui assure un équilibre financier.

Château Khoury
Des cépages “alsaciens” au Liban

S. L.

Localisation : cave et vignoble sur les coteaux de Zahlé, 15 hectares
Date de création : 2002
Production : 50 000 bouteilles/an
Exportation : 20 % de la production
Ventes en 2008 : 60 % de la production
Investissement : 1,5 milliard de dollars
Répartition du capital : familiale
Gamme de prix : entre 7 et 18 dollars (bientôt une bouteille à 20 dollars)

En 1995, sur les conseils d’un ami français qui a étudié le terroir, Raymond et Brigitte el-Khoury, tous deux médecins, plantent des vignes sur leur 15 hectares de terrain situé à 1 300 mètres, sur les coteaux de Zahlé, puis vendent le raisin à différentes grandes maisons vinicoles libanaises. En 2002, voyant le prix du raisin rester stable et relativement faible, ils décident de se mettre à leur compte tant parce qu’ils pensaient pouvoir gagner plus à long terme en créant eux-mêmes la valeur ajoutée que « parce qu’ils ont pris conscience de leur très bon potentiel », explique Jean-Paul el-Khoury, leur fils et l’œnologue de Château Khoury depuis 2004. Aujourd’hui, la famille espère que l’exploitation sera rentable d’ici cinq à dix ans et, en attendant, continue de vivre sur les revenus du laboratoire médical du couple et leurs honoraires de médecins.
L’affaire mobilise six personnes à plein-temps dont les enfants de Raymond et Brigitte el-Khoury. Alsacienne, Brigitte a tenté, dès le départ, de planter des cépages de sa région, comme le Gewürztraminer, un cépage à grappes roses, essentiellement utilisé en Alsace pour produire le vin blanc du même nom, le Pinot gris (avec lequel on fait de très grands crus), voire le riesling. « Nous avons été favorablement surpris du résultat », confie Jean-Paul, qui reconnaît que planter au Liban des cépages adaptés à l’est de la France relevait du pari fou. Mais ces cépages se sont visiblement très bien adaptés : leur Pinot noir 2008 notamment est une très belle réussite. Cette originalité revendiquée leur permet de cultiver une particularité sur un marché très concurrentiel. « Cela nous aide beaucoup d’avoir un goût différent, nos vins se vendent sans marketing, ni budget publicitaire », explique Jean Paul el-Khoury. Château Khoury, qui produit aussi de l’arak et des eaux de vie de fruits en très petites quantités, voudrait atteindre les 80 000 bouteilles. « Mais pas tout de suite », explique Jean-Paul el-Khoury, qui souligne que, de toutes façons, Château Khoury « cherche à rester à (son) échelle ». Dans ses cartons, la famille a aussi le projet de construire un petit hôtel type chambre d’hôtes, à côté de la cave, pour promouvoir son vin dans une ambiance qui lui corresponde.

Château Marsyas
Le positionnement terroir du groupe Johnny Saadé

S. L.

Cave et vignobles à Kefraya-Village, 55 hectares
Date de création : 2005
Production : 50 000 bouteilles
Exportation : 0 %
Investissement : 25 millions de dollars
Répartition du capital : 100 % Johnny Saadé Holdings
Gamme de prix : entre 12 et 20 dollars

Déjà présent dans l’immobilier et le tourisme (à travers l’agence de voyages Wild Discovery), le groupe Johnny Saadé s’est lancé, il y a peu, dans le vin. En 1998, le fondateur du groupe, Johnny Saadé, envisage d’acheter un vignoble en France « par passion pour la terre et plus spécifiquement pour le vin ». Finalement, il préfère investir dans sa région d’origine. Après avoir ratissé la région en quête de « terroirs d’exception », il plante les premiers pieds en Syrie, sur une parcelle de 20 hectares achetée dans le Jebel el-Ansadans, l’arrière-pays de Lattaquié. En tout, quatre millions de dollars ont été investis, entre l’achat des terres et la construction de la cave... Au Liban, c’est dans le village de Kefraya, dans la plaine de la Békaa (autrefois dénommée “plaine de Marsyas” d’où le nom du château), à 900 mètres d’altitude, que l’opportunité de créer un vignoble surgit. « C’est une terre au sous-sol calcaire, qui parfois affleure, chauffée à blanc par le soleil, idéale pour la vigne », avance Négib Moutran, directeur commercial des vins Marsyas. Le groupe achète 55 hectares en 2005 avec un investissement total de 25 millions de dollars, ce qui inclut l’achat du terrain, la création de la cave et du chais (dessiné par l’architecte français Gilles Perraudin), mais aussi un projet de musée du vin et un hôtel de charme dans les vignes. Les deux vignobles produisent chacun un vin rouge et un vin blanc, d’assemblage, mais ils sont bien distincts. Le premier millésime libanais est sorti sur le marché en avril 2009. Le Château Marsyas 2007, mélange de Syrah (50 %), de Cabernet-Sauvignon (25 %) et de Merlot (25 %), s’inscrit déjà dans les bons vins mondiaux. La cuvée syrienne, elle, se fait attendre. Stéphane Derenoncourt, étoile montante de l’œnologie internationale, les conseille. Adepte d’une vinification naturelle et chantre du biodynamisme, Stéphane Derenoncourt vise un vin d’exception qui pourrait concurrencer les très grands vins mondiaux. « Il n’accepte jamais un projet s’il n’est pas certain des qualités du terroir », fait valoir un expert français. Une ambition qui demande encore du travail.
Avec un objectif affiché de 250 000 à 300 000 bouteilles par an, Château Marsyas vise clairement l’exportation. Dès sa première année, il tente de conquérir les papilles de la France et du Canada et d’Angleterre.
Pour les deux vignobles, c’est la même philosophie : « La qua-li-té », reprennent successivement Karim et Sandro Saadé, les deux frères désormais à la tête du groupe, qui soulignent toute la patience qui leur a fallu depuis plus de dix ans pour obtenir un produit satisfaisant à leurs yeux. Ce qu’ils vendent, c’est « un positionnement et une identité », « un vin de terroir ». Les frères Saadé s’appuient sur leurs contacts tant pour que leur vin soit vendu dans les grands hôtels et restaurants, ainsi que dans les caves spécialisées. Pour mettre en valeur leur travail, ils militent pour la création d’appellations d’origine contrôlée au Liban, « pour qu’on puisse enfin savoir ce que l’on boit ». La boisson noble occupe « une place de cœur au sein du groupe », qui ne souhaite pas communiquer le délai dans lequel il espère être rentable.

Domaine de Baal Une cave écolo
S. L.

Cave et vignoble sur les coteaux de Zahlé, 5 hectares en production, 3 hectares à planter
Date de création : 2006 (raisin planté depuis 1994) Production : 10 000 à 12 000 bouteilles/an Exportation : 60 % de la production Ventes en 2008 : (premier millésime lancé fin 2008, donc pas encore de stat)
Investissement : près de 900 000 dollars Répartition du capital : 100 % personnel Gamme de prix : entre 18 et 25 dollars
Diplômé d’une école de commerce et fort de sept ans d’expériences à St-Émilion, un domaine dans lequel il est passé d’ouvrier à responsable du grand cru classé Château La Couspaude, Sébastien Khoury crée le Domaine de Baal en 2006. À partir d’un vignoble de trois hectares planté par son père en 1994 sur les coteaux de Zahlé, il décide de faire son vin. Il emprunte, investit près de 900 000 dollars et estime qu’il lui faudra « quatre à cinq ans pour devenir rentable ». Puis, il agrandit son vignoble en achetant deux hectares supplémentaires. Sa passion pour cette boisson noble a commencé à Bordeaux, où il a grandi entre une mère française et un père libanais. « Je passais devant Mouton Rothschild et Pontet Canet pour aller au lycée et beaucoup d’amis de mes parents étaient œnologues », raconte-t-il.
Par convictions personnelles, le vin qu’il produit est issu de l’agriculture biologique. Sébastien Khoury organise « des lâchés de coccinelles », qui aident à lutter naturellement contre les pucerons notamment et lui évitent l’utilisation de pesticides. Afin de le faire valoir, il postule au label “bio” fin 2007. En cours de processus, la certification de son vignoble par l’IMC (Institut méditerranéen de certification, un organisme italien), devrait intervenir d’ici à la fin de l’année prochaine et valider son engagement. Mais il ajoute « faire du bio au Liban, ce n’est pas un exploit, car les vignes y ont très peu de maladies ».
La cave aussi est écologique, construite en pierre de taille avec des toits végétaux. Ce souci du respect de la nature lui vient tout droit de ses parents : « Mon père est le premier à avoir créé le “club des amis de la nature” avant la guerre », raconte Sébastien Khoury. Ce créneau, il compte également l’exploiter en construisant, avec l’aide d’un associé, un petit hôtel de 7 à 8 chambres et son restaurant gastronomique, probablement orienté sur le thème du bio. Les travaux devraient commencer l’an prochain pour un coût d’environ 800 000 dollars.
Domaine de Baal produit environ 10 000 bouteilles par an et compte atteindre les 20 000, soit la capacité totale de la cave qu’il a construite. Mais ce sera le plafond, pour conserver la qualité de son vin et donc, aussi, son positionnement sur le marché. De même, Domaine de Baal ne compte qu’un vin blanc et un vin rouge, car le terroir est le même, de l’argile rouge sur de la roche calcaire, « pas de quoi multiplier les assemblages », explique le propriétaire. La cave exporte près de 60 % de sa production, notamment en France et à Bordeaux « grâce à l’aide d’amis sur place » et à un distributeur.
En plus de sa production, Sébastien Khoury fait du consulting pour d’autres propriétés et multiplie les projets autour de sa cave. Il souhaite également organiser des rencontres “arts et vin” sur son domaine, avec des expositions de photos ou de peintures, du théâtre ou encore de la musique dès l’an prochain… Un autre moyen de se faire connaître et de créer une ambiance autour du nom de son domaine. « Si on fait du vin, c'est avant tout pour que ce soit convivial ! »

Massaya
La cave libano-française

S. L.

Cave et vignobles à Taanayel (Békaa), 40 hectares
Date de création : 1998
Production : 300 000 bouteilles/an Exportation : 80 % de la production Investissement : 12 millions de dollars
Répartition du capital : 35 % pour les frères Brunier et Dominique Hébrard, le reste appartient aux familles Ghosn et Saïkaly
Gamme de prix : entre 6 et 20 dollars rouge classique

Les frères Sami et Ramzi Ghosn ont commencé à produire de l’arak en 1994 et du vin en 1998. Les deux fois, on ne les a pas pris au sérieux. « On disait c’est un caprice de fils à papa », raconte Ramzi Ghosn, fier d’avoir réussi à démontrer le contraire. À l’origine, il souhaitait redonner vie à la propriété familiale située à Taanayel, dans la Békaa, et abandonnée durant la guerre. Sami Ghosn, architecte aux États-Unis, revient le premier, avant d’être rejoint par son frère, alors dans l’agroalimentaire à Paris. Ils investissent quelque 300 000 dollars pour lancer une distillerie et achètent le raisin. L’arak marche bien grâce à la qualité de sa fabrication traditionnelle et au design innovant de sa désormais fameuse bouteille bleue, dont Massaya vend 45 000 litres par an. L’arak compte pour 35 % dans le chiffre d’affaires. « Mais 10 % de notre chiffre d’affaires provient de l’hôtel installé sur la propriété. 55 % de la vente de nos vins. » Les frères Ghosn sont incités à réinvestir. Depuis le début, « près de 12 millions de dollars ont été investis », explique Sami Ghosn. Convaincus qu’ils peuvent apporter de la valeur ajoutée sur un marché constitué, à l’époque, que de « trois ou quatre producteurs sérieux », les frères lancent le vin Massaya.
Cette fois, ils montent l’affaire avec deux familles françaises, rencontrées au gré de dégustations ou grâce à des amis communs, qui détiennent près de 40 % des parts. Une association qui permet aux deux frères libanais de bénéficier du savoir-faire français. « Ils nous apportent 300 ans d’expérience », souligne Ramzi Ghosn, et pas n’importe laquelle. Daniel et Frédéric Brunier sont propriétaires du Vieux Télégraphe à Château Neuf du Pape et Dominique Hebrard est l’un des anciens propriétaires du Cheval Blanc, deux grands vignobles français de renom. Pour Ramzi Ghosn, c’est leur atout pour pénétrer le marché : « On a une vraie crédibilité, ce n’est pas comme si on avait seulement fait un stage à l’étranger ou embauché un œnologue français », martèle-t-il. Pour les Français, c’était l’occasion d’exporter leur savoir-faire sur un nouveau terrain, tout en faisant plus original que la majorité de leurs collègues qui s’en allaient vers l’Argentine ou l’Australie. La vinification est assurée par Ramzi Ghosn et les associés viennent au Liban plusieurs fois par an, notamment au moment de décider des assemblages.
Sur les 40 hectares d’où provient leur raisin, un tiers leur appartient, un tiers est en fermage, avec supervision de la cave, et un tiers est acheté.
Massaya exporte 80 % de sa production à l’étranger, notamment en France, en Suède, au Canada, aux États-Unis mais aussi à Dubaï, grâce à des distributeurs, et est présent dans des enseignes de renom comme Fauchon ou la Grande Épicerie de Paris en France. La cave vise « l’amateur de vin curieux et non pas le marché ethnique », explique Ramzi Ghosn, qui démarche lui-même les cavistes, restaurants et connaisseurs des pays où il souhaite s’implanter. À l’international, le vin Massaya n’est jamais vendu dans les supermarchés et est positionné comme “vin de l’Ancien Monde” sur les menus, en écho aux “vins du Nouveau Monde”, venus d’Australie ou d’Argentine. Sur le marché local en revanche, la cave est présente dans les supermarchés, grâce à son distributeur multinational Diageo. En parallèle, les frères Ghosn conservent d’autres activités, notamment dans l’immobilier et la vente de produits pharmaceutiques, au sein desquelles ils sont impliqués financièrement mais pas dans la gestion.
Massaya est rentable depuis peu. « On nous avait prévenu qu’il fallait attendre au moins dix ans, raconte Sami Ghosn. Et ça s’est vérifié. »