Les années glorieuses où les banques pouvaient faire des profits substantiels sans se fatiguer
semblent révolues. Maintenant, le climat est redevenu “normal”, c’est-à-dire fortement concurrentiel. Mais les plus fortes s’adaptent rapidement.
Le secteur bancaire libanais se trouve de plus en plus confronté à la concurrence de grands groupes bancaires internationaux attirés dans la région par les perspectives de paix et le potentiel prometteur de marchés de capitaux encore relativement peu exploités.
Non seulement ces grandes banques internationales ont-elles la capacité, de par leur renommée et de par leurs moyens, de récupérer une partie de la clientèle des banques libanaises, mais elles disposent surtout des moyens permettant des opérations de grande envergure et des prises de risque qui ne pourraient être supportées que par un nombre très limité d’institutions financières locales, voire même uniquement par des consortiums de banques.
Face à ce défi, la concentration sectorielle s’impose comme la voie incontournable de survie et de croissance des banques locales.
En effet, les fusions et acquisitions entre banques, locales et étrangères, se multiplient depuis quelques années, produisant des entités plus solides et plus aptes à se développer dans un environnement fortement concurrentiel. D’ailleurs, plusieurs banques étrangères soucieuses de s’introduire sur le marché ont déjà trouvé dans l’impératif de concentration un moyen approprié pour atteindre leurs objectifs. Elles opèrent souvent via l’achat d’une petite ou moyenne banque locale ou à capital mixte.
Les analystes estiment que le Liban ne devrait plus compter qu’environ 45 banques d’ici à quelques années contre 70 actuellement. Le secteur est en ce moment constitué de 70 banques, et l’on estime que le pays n’aurait guère besoin de plus d’une trentaine dans le long terme.
La course aux clients
De nos jours, la croissance d’une banque dépend bien moins de la taille du réseau de branches dont elle dispose que de sa capacité à développer des niches de marché où elle bénéficie d’avantages comparatifs. Bien entendu, la présence territoriale demeure un atout, mais les développements dans le monde de la banque et la menace de la concurrence imposent de nouvelles règles du jeu et, par conséquent, des stratégies de développement plus élaborées.
De manière générale, les institutions fondent de plus en plus leurs schémas de croissance sur l’élargissement de leur base de clientèle. Bien qu’elles continuent à se disputer les gros portefeuilles et les grandes entreprises du secteur privé, notamment en offrant des services financiers spécialisés et personnalisés de grande qualité (private banking, investment banking, etc.), les plus grandes banques de la place abandonnent peu à peu leurs politiques plutôt sélectives pour concentrer leurs efforts sur l’attraction des petits clients, des consommateurs en général et des résidents non encore bancarisés.
La banque libanaise se démocratise donc, parallèlement à une augmentation et une diversification des besoins financiers dans le pays. Les institutions les plus grandes et les plus agressives élaborent, par exemple, des gammes de plus en plus étoffées de produits de “retail” destinés à combler des besoins individuels de consommation (ordinateur, auto, abonnement à l’Internet), de logement, d’assurance, etc.
Seulement, dans cette course à la clientèle, l’élément “risque” prend une importance de premier plan dans le cadre de la gestion bancaire. En effet, il est à craindre que certaines banques “négligent”, dans leur élan de croissance, l’accumulation de risques liés à un portefeuille d’engagements mal évalués et/ou insuffisamment couverts.
Cette composante “risque” doit constamment être prise en compte et maintenue sous contrôle dans le cadre de la gestion bancaire, autant au niveau de l’institution qu’au niveau du secteur. À ce titre, la Banque du Liban joue un rôle majeur de régulateur sectoriel, un véritable garde-fou.
Instruments
de la communication
De plus en plus, à l’instar des produits de consommation, les produits bancaires se vendent, et tous les outils modernes du monde de la communication sont mis à bien dans cet objectif. Les banques de la place les plus agressives, locales ou étrangères, n’épargnent plus les efforts pour marquer des points contre les concurrents. La course aux parts de marché justifie des stratégies de communication de plus en plus élaborées et un professionnalisme croissant en la matière.
Le consommateur est soumis à un matraquage publicitaire. Où que vous soyez, on finit toujours par vous atteindre pour prêcher les innombrables avantages d’une formule de crédit bancaire, les atouts incontestés d’un plan d’épargne, ou encore le prix ultracompétitif d’un ordinateur ou d’un abonnement Internet.
Bien entendu, la médiatisation et la publicité présentent l’avantage certain de faire connaître les “nouveautés” bancaires à une clientèle potentielle généralement mal renseignée en matière de produits et de services financiers. Il n’empêche que les méthodes de marketing sont le plus souvent sélectives quant à l’information procurée à premier abord au consommateur ciblé ; la plus grande vigilance s’impose donc avant d’apposer sa signature sur un contrat.
La concurrence acharnée qui caractérise le marché bancaire aujourd’hui a induit un resserrement des marges, et il devient très difficile d’attirer et de garder son client uniquement à partir de rabais sur les taux débiteurs et de générosité relative en matière de taux créditeurs. Même si elles continuent à miser sur les taux d’intérêt comme attrait majeur, les banques jouent de plus en plus la carte de la qualité pour rassurer le client, et peut-être même un peu le flatter. La fidélité, ça s’entretient...
L’idéal de la qualité
Les banquiers locaux commencent donc tout juste à développer la qualité du service, une grandeur sans doute assez subjective. Du sourire de la personne au guichet à l’efficacité dans l’exécution des opérations, les efforts redoublent pour fidéliser un client traditionnellement infidèle.
Sur le plan de l’efficacité et la rationalisation des opérations, les banques sont en train de se doter de départements spécialisés en gestion des risques, en analyse des crédits, en marketing, comme de salles de marchés parfois de la plus haute sophistication. Et le tout est peuplé d’équipes spécialisées, souvent hautement qualifiées.
En effet, un intérêt grandissant est porté aux ressources humaines, dorénavant perçues comme étant le premier reflet de la qualité supérieure du service. Les cycles de formation continue, réguliers dans les grandes banques étrangères, sont prévus de plus en plus souvent dans les banques libanaises. On n’hésite plus non plus à supporter la note pour compter parmi les siens des “seniors” au passé professionnel prestigieux.
Si, dans les petites banques et celles de taille moyenne, le coût de l’argent reste le meilleur moyen pour contourner la concurrence, cela est moins le cas dans les grandes institutions bancaires, notamment celles non arabes. Celles-ci avancent généralement que la sécurité, la qualité, le prestige et le réseau international qu’elles offrent justifient des taux moins alléchants, que ce soit au placement ou à l’emprunt.
Diversification
et innovations
La banque libanaise met ses pendules à l’heure. Il semblerait que le modèle à suivre soit celui de la banque “globale” ou “universelle”. Bref, la banque qui offre presque tout ce qui s’apparente aux besoins financiers du client, produits et services.
On remarque surtout une lutte pour récupérer les clients susceptibles d’être des débiteurs de bonne qualité pour des prêts de montants limités.
Par exemple, les PME (petites et moyennes entreprises) sont en train de bénéficier d’un intérêt particulier et croissant. Leurs difficultés d’accès au financement bancaire, faute de garanties, sont de notoriété publique. Leurs besoins financiers sont de plus en plus importants. Du coup, quelques banques ont choisi de relever le défi en proposant des formules de crédit spécialement taillées à la mesure de ces entités particulières qui représentent non moins de 95 % des entreprises libanaises. Les quelques initiatives devraient bientôt porter leurs fruits, et peut-être chambouler la répartition des avantages comparatifs et des parts de marché, d’ailleurs en pleine mutation.
De même, les prêts aux particuliers se multiplient et vont du traditionnel prêt personnel aux plus rigides prêts à la consommation de produits spécifiques (auto, ordinateur), et même aux cartes de crédit revolving, qui deviennent de plus en plus courantes. Sur le plan des plans d’épargne, il existe pour le moment essentiellement des plans de retraite et des plans destinés à financer les études des enfants.
En outre, les produits bancaires deviennent de moins en moins traditionnels, et un nombre croissant de banques proposent des services annexes du type agence de voyages, broker d’assurance, ou encore services divers annexés à un produit bancaire (connexion Internet, assurance voyage, dépannage auto, services bancaires au téléphone, etc.). Ce type de produits sert autant à fidéliser un client récent qu’à en attirer de nouveaux.
Partenariats hybrides
Bien qu’elles soient en train d’élargir leur palette de produits et de services offerts, les banques sont toujours des institutions financières régies par des lois très strictes. Elles ne peuvent donc assurer, à elles seules, l’ensemble des structures, des montages, et parfois même des équipements (des ordinateurs par exemple) nécessaires pour lancer un nouveau produit.
Partenariats et joint-ventures sont donc en train de se multiplier entre banques et compagnies non bancaires pour le lancement de produits hybrides vendus aux guichets des banques commerciales. C’est, par exemple, le cas des alliances Banque Audi/Inconet pour le produit “Net Account” ou encore SGLEB/SNA pour les produits “Sogévie” et “Sogétude”.
Les alliances stratégiques entre banques commerciales et institutions financières se multiplient d’ailleurs aussi, étant donné surtout l’impératif pour les banques de pouvoir opérer sur les marchés financiers, de développer leurs gammes de services financiers ainsi que de diversifier leurs placements. On note à titre d’exemple les rapprochements entre la Banque Audi et Middle East Capital Group, ou encore entre la Société Générale Libano-Européenne de Banque et Fidus.
Il existe aussi des partenariats intrasectoriels qui incarnent souvent l’effort national face à une concurrence étrangère dont l’énorme potentiel constitue une menace non négligeable pour les banques locales. Ainsi, le réseau Interbank Payment Network (Bankernet) de distributeurs automatiques de billets (DAB) est le fruit d’une alliance entre 4 banques, et 20 autres y sont affiliées. Le DAB représente en fait un attrait supplémentaire pour “récupérer” des clients et augmenter les rentrées bancaires. Leur marché est d’ailleurs très prometteur depuis que la BDL a récemment allégé les restrictions sur les emplacements géographiques des distributeurs.
En outre, mis à part les alliances à l’intérieur du pays, plusieurs banques sont en train de développer des alliances et des partenariats régionaux (surtout en Jordanie, en Égypte et dans les Émirats arabes unis), dans le cadre de stratégies de développement régional de plus en plus élaborées, étant donné les perspectives de paix et de développement régionales. Le développement de réseaux régionaux ne fera d’ailleurs que renforcer la position du Liban en tant que place financière régionale et alimenterait les marchés de capitaux et les investissements croisés tant souhaités depuis la fin des hostilités dans le pays.
Tout pousse aujourd’hui à croire que la concurrence dans le secteur bancaire restera en effervescence dans les années qui suivent, au bonheur, d’ailleurs, des clients. Le nombre de concurrents, lui, a par contre toutes les chances d’être plus réduit.