Comme en médecine, le droit de la santé au travail fonctionne sur une double base préventive
et curative : le mécanisme imposé pour veiller à la santé des travailleurs est fondé sur un pilier essentiel, celui de la prévention.
La prévention repose sur le contrôle, le suivi, l’amélioration et la répression. Si la prévention échoue, et si donc des accidents du travail ou des maladies professionnelles surviennent, des mesures curatives doivent être prises et des indemnités versées.
Les mécanismes de la prévention qui nous intéressent ici impliquent une organisation interne à l’entreprise et une intervention des autorités publiques. Nous nous limiterons aux mécanismes prévus au sein de l’entreprise. Il faut noter que les textes législatifs et réglementaires applicables à la matière ne sont pas regroupés dans un corpus unique, mais sont éparpillés dans le temps (à partir du mandat français) et dans l’espace (il existe des textes spécifiques et des textes généraux applicables à diverses matières dont celle qui nous intéresse).
De même, il faut savoir que l’origine des textes est tantôt purement libanaise et tantôt internationale, le Liban ayant ratifié plusieurs conventions internationales du travail (Genève).
L’hygiène et la sécurité du travailleur au sein de l’entreprise sont des sujets importants, aussi bien au niveau social qu’au niveau économique. De la santé du travailleur dépend le bien-être de sa famille et le bon fonctionnement de l’entreprise. Que la vision du problème soit humanitaire ou utilitaire, force est de constater que le législateur libanais a accordé beaucoup d’intérêt à la question.
En France, le législateur a, dès la fin du XIXe siècle, affirmé un principe fondamental suivant lequel “c’est l’employeur qui crée le risque”. Ce principe a été consacré, en 1898, dans la première loi française sur les accidents du travail. Ce principe semble également servir de soubassement à la réglementation libanaise.
La prévention au sein de l’entreprise passe par une série de mesures touchant aux locaux et équipements (A), et par des mesures relatives à la personne du travailleur (B). Le tout requiert l’intervention d’un médecin du travail (ou médecin de l’entreprise) (C), et est assorti de sanctions pour en assurer l’efficacité (D).
A) Mesures relatives aux locaux et
équipements
Ces mesures sont imposées par le législateur dans divers textes. Pour n’en citer que les plus importants, signalons les textes suivants :
• Le code des obligations et des contrats s’est préoccupé d’assurer un milieu favorable à la santé du travailleur. Dans son article 647, il impose à l’employeur une obligation d’assurer au travailleur un milieu favorable. Par exemple, l’employeur doit veiller à ce que les locaux présentent toutes les conditions de sécurité et de salubrité nécessaires au bien-être des employés. Que les objets qu’il leur fournit pour les besoins de leur travail ne créent d’autres dangers pour leur vie ou leur santé que le danger que comporte l’exécution normale du travail.
L’employeur doit en outre prendre toutes les mesures rendues indispensables par la nature du travail et les circonstances dans lesquelles le travail est accompli, pour la protection de la vie et de la santé des employés.
• Le code du travail dispose dans ses articles 61 et 62 que les locaux des entreprises doivent être tenus dans un état permanent de propreté et doivent assurer les conditions d’hygiène et de commodité nécessaires aux salariés. Ils doivent être aménagés de manière à garantir la sécurité des salariés. Les machines, les pièces mécaniques, les outils et équipements doivent être installés dans les meilleures conditions possibles de sécurité.
• Le code de la sécurité sociale prévoit dans son article 59 que l’employeur doit prendre toutes les mesures visant à assurer la sécurité et la santé des salariés sur les lieux du travail.
• Le décret relatif à la “réglementation de la protection et de la prévention sanitaires dans tous les établissements soumis au code du travail” (n° 6341 du 24 octobre 51) est un texte fondamental. Il contient deux séries de dispositions consacrées aux mesures d’hygiène des locaux (articles 1 à 11), et à la prévention et à la sécurité (articles 19 à 38). Il y est par exemple prévu que toutes les entreprises doivent veiller à la propreté des locaux et les maintenir dégagés de toutes odeurs néfastes et de tous produits susceptibles de moisissure ; des lavabos et des toilettes fermées doivent être installés suivant des ratios précis (1 pour chaque 25 salariés), avec une ségrégation entres les hommes et les femmes, et également des douches lorsque le ministère du Travail le requiert ; de l’eau potable doit être assurée ; et des instruments de premiers soins doivent être prévus.
De même, les équipements mobiles et les moteurs utilisés dans l’entreprise doivent être entourés d’une barrière protectrice. La sécurité des ascenseurs, monte-charges, escaliers, échelles, passerelles et chaudières doit être assurée. Si le travail est effectué dans des locaux fermés, où des vapeurs dangereuses se dégagent, des mesures de sécurité doivent être prises. Les canalisations contenant de la vapeur sont soumises à des spécifications techniques très strictes et doivent comporter divers instruments de contrôle. Et les travailleurs doivent être protégés de l’humidité se dégageant du sol, des éclats qui peuvent blesser les yeux et de la poussière et de la fumée dégagées par les machines.
• Le Liban a ratifié plusieurs conventions internationales relatives à la protection des travailleurs, notamment celles entrant dans le cadre de la Convention internationale du travail (Genève). Ainsi, par exemple, le décret-loi no 70 du 25 juin 77 a autorisé le gouvernement à ratifier une série de conventions dont nous citerons une seule ici pour illustrer nos propos : la Convention 120 de 1964 relative aux règles sanitaires dans les commerces et bureaux. Cette Convention concerne le travail non manuel qui est effectué dans les commerces et les bureaux. Elle exige que les locaux et les équipements soient bien entretenus et propres. La ventilation doit être suffisante de manière à ce que l’air soit changé ou purifié. La lumière doit être suffisante, et autant que possible naturelle. La température doit être confortable et constante. De l’eau potable, des sanitaires et des vestiaires doivent être assurés. De même, des nécessités de premiers soins doivent être disponibles. Enfin, les locaux doivent être conçus et ordonnés de manière à ce qu’ils n’aient aucun effet néfaste sur la santé des travailleurs.
B) Mesures relatives
à la personne du travailleur
Ces mesures se trouvent principalement dans le code du travail et dans certaines conventions internationales. Des textes isolés sont également intéressants.
• Le code du travail prévoit toute une série de mesures relatives à la personne du salarié : l’employeur remet à chaque salarié un livret qui contient divers renseignements concernant l’identité de celui-ci et les contrôles médicaux auxquels il a été soumis (article 14). L’emploi des mineurs de moins de 13 ans est absolument prohibé. L’emploi de mineurs de 13 à 18 ans est soumis à un examen médical ayant pour objet de s’assurer de la capacité du mineur à effectuer les travaux auxquels il est destiné. Un certificat médical est délivré gratuitement par le ministère de la Santé et doit être renouvelé annuellement jusqu’à l’âge de 18 ans (article 22). Deux listes de travaux sont annexées au code du travail et concernent les mineurs et les femmes, et elles sont dressées par décret pris en Conseil des ministres.
• Les Conventions internationales du travail nos 77, 78 et 115 comportent des mesures relatives à la personne du travailleur . Par exemple, la Convention 115 concerne la protection des travailleurs contre les radiations ionisantes. De manière générale, elle interdit le travail des jeunes de moins de 16 ans dans des milieux les exposant aux radiations. Des instructions claires doivent être données par l’employeur aux travailleurs exposés afin de minimiser leur exposition. Des examens doivent être effectués dans les locaux et sur la personne des travailleurs afin de mesurer le degré d’exposition et des contrôles médicaux périodiques doivent être effectués sur la personne des travailleurs.
C) Intervention
du médecin du travail
Le décret n° 6341 du 24 octobre 51 relatif à la “réglementation de la protection et de la prévention sanitaires dans tous les établissements soumis au code du travail”, tel qu’amendé par le décret n° 10122 du 26 août 55, a été complété (notamment dans ses articles 12 à 17) par le décret n° 4568 du 30 juin 60 relatif à la “désignation d’un médecin dans tous les services publics et les entreprises soumises à la réglementation sur le travail en vue de contrôler la santé des salariés”.
• Les articles 12 à 17 du décret n° 6341 de 1951 concernent ce qui était connu sous la dénomination de “médecin de l’entreprise”, dénomination transformée en “médecin du travail” par le décret n° 4568 du 30 juin 60. Aux termes de ces articles, lorsque le nombre des salariés de l’entreprise dépasse les 20, l’entreprise doit avoir un médecin spécial appelé “le médecin de l’entreprise”. Le nombre d’heures de travail du médecin est proportionnel au nombre des salariés : il doit assurer une heure de travail par mois pour chaque 20 salariés (article 13). Plusieurs entreprises peuvent décider d’établir ensemble une unité médicale commune (article 14). Le médecin de l’entreprise est rémunéré par l’employeur (article 15).
Le médecin de l’entreprise doit contrôler chaque candidat avant son embauche pour s’assurer de son aptitude au travail auquel il est destiné ; effectuer des contrôles périodiques ; décider de la reprise du travail par les salariés malades ou accidentés ; prendre toutes les mesures générales de prévention sanitaire, surtout en ce qui concerne la sécurité, l’éclairage, la ventilation, la qualité de l’eau potable et l’aération ; examiner le salarié avant de le diriger vers un médecin spécialisé ; et contrôler le rapport médical présenté par le salarié atteint d’une maladie non professionnelle pour avoir droit à un congé maladie (en vertu de l’article 41 du code du travail).
• Le décret n° 4568 de 1960, qui a complété les articles 12 à 17 du décret n° 6341 de 1951, comporte les nouveautés suivantes : il y est prévu que le médecin du travail dépend directement du chef de l’entreprise. Mais ceci ne fait pas perdre au médecin son autonomie : le chef de l’entreprise est lié par les avis donnés par le médecin du travail pour autant que ces avis ne contredisent pas les avis techniques donnés par les autorités publiques. Il est également prévu de donner la priorité dans l’embauche aux médecins titulaires d’un diplôme en médecine du travail. Le médecin du travail doit établir deux cartes : une carte d’embauche à conserver avec l’employeur et une carte médicale à conserver avec le médecin du travail qui y consigne le résultat de ses contrôles périodiques et les maladies corporelles ou mentales dont le salarié a été atteint.
Le médecin du travail organise des contrôles périodiques et l’employeur prend en charge les frais de laboratoires et de rayons. Le médecin du travail contrôle tout salarié qui a pris un congé maladie de plus de 10 jours afin de s’assurer de sa guérison et de son aptitude à reprendre son poste. Il pourra donner toutes les suggestions qu’il estime opportunes : repos supplémentaire, allégement provisoire du travail, etc.
Le médecin du travail a un rôle de conseiller technique de la direction de l’entreprise pour tout ce qui concerne la santé et la sécurité des salariés. Il donne son avis sur les mesures prises et propose l’adoption de mesures supplémentaires, et toute modification de l’outil de travail est soumise à sa consultation préalable. Il donne son avis sur la compatibilité de cette modification avec la santé des travailleurs. Enfin, le médecin du travail doit coordonner avec la CNSS pour étudier et appliquer toutes les mesures nécessaires à la protection de la santé des salariés.
• Les articles 40 et 41 du code du travail prévoient que le salarié atteint d’une maladie non professionnelle a droit à un congé maladie dont la longueur varie avec son ancienneté. Ce congé est soumis à un rapport émis par le médecin de l’entreprise ou par le médecin traitant ; dans ce dernier cas, l’employeur est autorisé à faire contrôler le rapport médical par tout médecin de son choix.
D) Régime des responsabilités et des sanctions
Les règles de droit n’ont d’efficacité que si elles sont assorties de sanctions.
• Le code des obligations et des contrats pose des règles générales de responsabilité :
– Les articles 122 et 123 disposent que “tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage injuste oblige son auteur à réparation”, et que l’on “est responsable du dommage causé par sa négligence ou par son imprudence, aussi bien que de celui qui résulte d’un acte positif” (c’est la responsabilité du fait personnel).
– L’article 131 dispose que «le gardien d’une chose inanimée… est responsable des dommages qu’elle occasionne, même pendant le temps où elle ne se trouvait pas effectivement sous sa conduite, son contrôle ou sa direction» (c’est la responsabilité du fait des choses inanimées).
• Pour ce qui est des règles spécifiques au “louage de services ou contrat de travail, et du louage d’industrie ou contrat d’entreprise” prévues dans le code des obligations et des contrats, il faut noter que :
– Les articles 647 et 648 prévoient que l’employeur répond de toute contravention aux dispositions de l’article 647 déjà développées ci-dessus et des accidents ou sinistres dont l’employé est victime dans l’exécution du travail, lorsqu’ils ont pour cause la violation ou l’inobservation par l’employeur des règlements spéciaux relatifs à l’exercice de sa profession.
– Les articles 636 et 637 prévoient que l’employé répond non seulement de sa faute, mais aussi de sa négligence, de son imprudence, de son incompétence ou de son inhabilité. Et il répond également du dommage résultant du défaut d’exécution des instructions qu’il a reçues, lorsqu’elles étaient formelles et qu’il n’avait aucun motif suffisant de ne pas les observer.
• Aux termes de l’article 107 du code du travail, des amendes et des peines d’emprisonnement (jusqu’à 3 mois) sont prévues à l’encontre des contrevenants aux dispositions du code du travail, et aucune circonstance atténuante n’est accordée aux contrevenants ayant reçu une mise en demeure écrite.
• Toute infraction aux dispositions du décret n° 4568 de 1960 est soumise aux sanctions prévues dans l’article 107 du code du travail.