
Il faut monter loin dans le caza de Bcharré, sur la route des cèdres, pour débusquer ce micro vignoble d’1,2 hectare. Planté sur les terres du village de Beit Menzer, à 1.300 mètres d’altitude, Château Saadé est l’œuvre d’un couple : Edmond et Paulette Saadé, expatriés à Caracas (Venezuela) presque toute leur vie. Le couple a engagé quelque 100.000 dollars pour voir renaître ce vignoble de montagne. Aujourd'hui, ils entament les démarches pour déposer la marque.
La dislocation de cette famille de la diaspora libanaise est la raison qui les a poussés à planter des vignes sur les terres de sable rouge du village natal d’Edmond Saadé. « Nous voulions récréer du lien avec le Liban pour nos enfants et nos petits enfants. Et faire quelque chose de ces terres ».
Car la dispersion de cette famille n’est pas chose nouvelle. Elle démarre avec le grand-père, Challita, qui quitte Beit Menzer en 1880 pour tenter de réussir dans le nouveau monde. Il fera d’ailleurs fortune dans les plantations de café et le raffinage du sucre de canne au Brésil. Le père, Joseph, le suit s'installant lui aussi au Brésil avant de rentrer au Liban; son fils, Edmond, élevé entre le Liban et les Etats-Unis, fera une carrière d’économiste dans différentes grandes entreprises américaines et sud-américaines ainsi que des organisations internationales européennes. Aujourd’hui, lui et sa femme vivent à Caracas, ne venant au Liban que pour de trop courtes vacances.
La famille a toujours fait du vin en amateur. Joseph, le père, produisait un vin doux, sans compter l’arak ou la mélasse (debs). « Toutes les terres étaient plantées de merwah et de marini, deux cépages autochtones », explique Edmond Saadé, en pointant son regard vers les terrasses aujourd'hui abandonnées, qui se dessinent toujours sur les collines environnantes.
De là à passer à la culture de raisin de cuve ? Pour cet « amant du vin », ainsi qu’il le dit, traduisant en français une expression idiomatique de l’espagnol, le chemin semble évident. « Notre idée était de redonner vie à une partie de ces terres désertées ». Le pari est tenu : Amis et famille se rejoignent pour ramasser les raisins début octobre. « Nous sommes sans doute les derniers à vendanger du fait du climat de Bcharré ».
Mais ce projet familial se professionnalise à partir de 2007-2008 avec l’arrivée d’un œnologue-conseil qui assure la vinification. Planté uniquement de cépages rouges (cabernet-sauvignon, merlot et syrah), avec prochainement quelques plants de Malbec « à titre d’expérimentation », le domaine a une production minimaliste, de l’ordre de 3.000 bouteilles par an. La volonté d’Edmond Saadé est de produire un vin le plus naturel possible, qui exprime la terre. « Je crois profondément que l’on est ce que l’on mange. Et qu’il faut à tout prix respecter son environnement ».
Château Saadé 2008, en vente à la cave uniquement, est une belle réussite : la robe est d’une violine sombre ; le nez porte le souvenir de foins coupés, caractéristique des belles syrahs ; la bouche se veut d’une rare souplesse. « On peut faire ici un vin différent. Plus léger, plus aéré ». Pour le millésime 2008, c’est d’ores et déjà acquis.