Soixante-cinq boutiques réparties sur quatre continents et 10 % de croissance annuelle. L’enseigne familiale cherche à étendre son empire à l’international. On fait les comptes. Et ils sont bons.
Qu’y a-t-il de commun entre la maison Patchi à Hamra, Amman, Dubaï, New York ou Paris, une usine de chocolat à Ryad et un artisanat de fleurs artificielles à Sibline ? Le nom d’un homme, certes, toujours prêt à saisir l’avenir, à innover dans les techniques de la réussite et à se remettre en cause.
Spécialiste des fêtes
Il est tombé dedans quand il était petit : pour Nizar Choucair, le chocolat est une éternelle potion magique, qui lui fournit le courage, le tonus et… les calories nécessaires à décupler son imagination.
Donnez-lui 500 grammes de cacao, 20 cm de papier argenté, une boîte de velours, un ruban et quelques pétales de fleurs en soie, et mille idées trottent dans sa tête. “La Bonbonnière”, de la rue Weygand au centre-ville, c’était déjà en 1966 la concrétisation du premier rêve de l’enfant qui à treize ans quitte les bancs du Collège des Frères de Gemmayzé, et court retrouver ses oncles, les Sidani, qui dirigeaient à l’époque plusieurs pâtisseries de la capitale.
Et c’est très tôt qu’il nourrit la capacité à réagir, en restant à l’écoute d’une clientèle exigeante – parfois même capricieuse – et apprend à flairer les créneaux du succès. Ses atouts pour concurrencer les géants de l’époque ? L’hyperspécialisation de son entreprise embryonnaire qui gravite autour du thème de la fête, de la naissance jusqu’au mariage. Avec l’art de transformer les cérémonies familiales en bonnes affaires !
Quelques années plus tard, il cède ses parts et s’installe dans un 40 mètres carrés du centre Pavillon, à Hamra, avec deux ou trois employés. Le concept Patchi vient de naître. Avantages : une adresse facile, accessible, et une sonorité musicale inspirée du “baci” – baiser en Italie – synonyme de plaisir et de bonheur. L’innovation est l’autre point fort du chocolatier.
Dans sa petite usine de 100 m2, cet homme de goût ne laissait à nul autre que lui-même le soin de mélanger, malaxer et enrober amoureusement ses petits bonbons (jargon des pros pour les chocolats) qui allient la saveur des additifs fins, exotiques et des emballages variés. Et c’est armé de tout ce savoir-faire que le plus petit des grands “chocolatologues” décide en 1975 de pousser ses pions à l’étranger. «J’étais parti à Amman à reculons. Avec le début de la guerre, le marché libanais commençait à s’assoupir». Quelques mois plus tard ce sera l’Arabie saoudite où la première usine de 3 000 m2 est montée en quatre mois. «Il nous fallait aller vite», concède Nizar Choucair.
Bon climat
d’investissement
en Arabie
Pour réussir son pari, il bénéficie du support des autorités, favorables au développement industriel : loyer symbolique estimé à près de 8 dollars par an et une période de grâce de 16 ans non imposable. Il dispose également de plusieurs armes : machines ultramodernes et un management décentralisé qui laisse les coudées franches aux initiatives locales.
Djeddah, Ryad, Dubaï, Koweït, même combat. Ou plutôt mêmes armes de séduction. Une communication agressive : 6 % du chiffre d’affaires sont consacrés à la promotion et à la publicité, “Patchi : l’amour au cœur”, “Le bonheur à la maison”, “Un monde de raffinement”…
Bien vu. La renommée de la maison, synonyme de qualité, traverse les frontières à la conquête des gourmands de quinze pays de par le monde. Cinq usines produisent plus de 1 200 tonnes de chocolat par an vendues exclusivement dans les 65 magasins de 15 pays (voir tableau). La dernière étape de l’internationalisation a conduit, devinez où ? À Paris, place Victor Hugo, à quelques pas de l’un des plus grands chocolatiers français, “Le Nôtre” ! Et le chemin du succès est encore long : Londres, Marbella, Varsovie, Mascate, Paphos, Lattaquié…
Explication : une présence mondiale, une marque globale, une adaptation locale, et tout le professionnalisme du patron-fondateur qui veille à la qualité du produit. Le défi consiste à obtenir une amertume sans âcreté et tout juste assez sucrée pour être mise en valeur, une acidité à peine perceptible et un parfum suffisamment puissant et long en bouche. Résultat de ces réglages de haute précision : 25 variétés présentées sous plus d’une centaine de “looks” différents. Parce qu’il ne faut pas oublier le côté créatif et artisanal de l’emballage, qui peut multiplier les recettes commerciales et les… revenus.
Plus de 1 500 femmes
au foyer
Dans l’usine de “Fiori Venturi” de Sibline, qui emploie une centaine de salariés et engage à domicile à 20 km à la ronde plus de 1 500 femmes au foyer, on manipule la soie, le velours et la dentelle avec le plus grand soin et sous l’œil critique et vigilant de professionnels italiens qui détiennent le tiers des parts. Des roses, du muguet, des orchidées et mille autres variétés de fleurs exotiques qui ajouteront ce “plus” indispensable à combler la vue et les papilles des consommateurs. Succès garanti d’un marché juteux qui voie le prix du kilogramme de chocolat multiplié par deux, voire trois fois ou plus.
Les produits évoluent. Les initiatives aussi. Elles sauront coller à l’air du temps. Le chiffre d’affaires grimpe et d’importants programmes d’investissements sont lancés sous la houlette du père, Nizar, de ses filles et de ses trois fils, Mohamed, Oussama et Hadi, qui se répartissent les charges et les responsabilités. L’aîné planche sur une cinquantaine de nouveaux franchisés en Europe, fort de la collaboration d’un partenariat solide. À 24 ans, le benjamin décide de réinvestir pour doubler la production des usines de Sibline essentiellement destinée à l’export (91 %). De nouvelles unités de 7 500 m2 viendront bientôt s’ajouter à la Royal Silver, Erregi, Venturi, Pino et Sweety. Coût du projet : 5 millions de dollars qui pèseront nécessairement sur les résultats nets de l’année.
Mais à la “Patchi City” de Sibline, le patron garde le sourire. Cet international à passeport libanais continue à franchir les frontières. De son bureau au siège administratif – un bâtiment flambant neuf situé à Caracas dans le quartier chic de Beyrouth –, il revoit ses comptes, calcule ses pertes : un million de dollars en Turquie, trois autres millions en Égypte, un boulet pour le groupe qui se console de la seule notoriété de la marque. Et vérifie le cahier des charges de tous ses partenaires : choix du décor, température intérieure variant entre 16 et 22°…
Rien n’est laissé au hasard
Entouré de ses plus proches collaborateurs, pour ne citer que Hind el-Hachache qui l’assiste depuis 26 ans, Nizar Choucair veille à gérer un empire qui emploie 1 500 salariés sans compter la main-d’œuvre artisanale à domicile. Sa devise ? Multiplier les produits, renouveler les gammes pour réussir à conserver les faveurs des clients. Des faveurs qui, dans son métier, riment nécessairement avec saveur. Cap donc sur la Hollande où il négocie tous les ans l’achat de 300 tonnes de beurre de cacao et de cacao sec dégraissé : forastero, trinitario, sambirano, puerto cabello… Ajoutez deux ou trois centaines de tonnes de poudre de lait et de sucre, et voilà tous les ingrédients de base nécessaires qui font de la maison une référence en matière de chocolat. Mais pas de n’importe quel chocolat. Du cinq étoiles réservé au moment du café dans les salons du Sheraton, du Marriott ou de l’Inter-Continental des pays du Golfe.
Depuis plus d’un quart de siècle, l’homme ne laisse rien au hasard : logistique, politique commerciale, marketing, administration, stratégie d’expansion, il affiche ses plus grandes ambitions avec sérénité. Dans ses boutiques aux tons chocolatés, les maisons Dior, Rosenthal, Versace, Bulgari, Kenzo et Inès de la Fressange offrent un grand choix d’idées cadeaux et de souvenirs.
Mais c’est surtout la griffe de Leila Nassar – l’épouse du président du Conseil constitutionnel – qui fait sa fierté. L’artiste met son talent au service de l’équipe chargée de la peinture sur porcelaine : “Peint à la main pour Patchi”.