Le marché de l’art a toujours fait rêver, surtout lorsque des sommes faramineuses sont atteintes pour un “grand maître”. Ventes aux enchères, foires et galeries sont autant de temples où fortunes et élite intellectuelle semblent faire bon ménage.

Il est vrai qu’il existe une sphère étroite où seuls les plus grands noms d’artistes sont prononcés (Picasso, Matisse, etc.) par quelques youpies ou autres hommes d’affaires en mal de blanchiment d’argent. Mais un autre marché de l’art surtout contemporain a gardé une taille plus humaine. C’est de cette “planète” que nous allons traiter.
Chacun a peut-être été tenté d’acheter un “tableau” pour son aspect décoratif ; une carte postale bien encadrée ou une lithographie tirée d’une aquarelle, pour 10 à 50 $. Toujours dans un but décoratif, l’amateur recherchera plus tard une œuvre originale. Généralement, il vaut mieux d’ailleurs acheter les œuvres de jeunes artistes dont les prix varient entre 100 et 1 000 $, selon le format et la qualité. Puis, séduit par ces jeunes talents, l’apprenti collectionneur-investisseur cherchera quelques artistes, non plus uniquement décoratifs, mais des peintres qui ont révélé un véritable talent.

Le talent confirmé

À travers le curriculum vitae de l’artiste, l’acheteur peut savoir où il a exposé et le nombre de ses expositions. Ce paramètre conforte, à coup sûr, la reconnaissance de l’artiste par les professionnels. Le prix à dépenser alors peut varier de 500 à 1 500 $ par m2 de toile. À ce stade, l’amateur entre dans le “club des collectionneurs”, les réflexes seront alors semblables à ceux du professionnel de l’art.
La valeur d’un tableau est toujours relative, subjective. Mais pour connaître la qualité d’une œuvre, l’acquéreur peut se référer aux expositions. Ainsi, pour avoir une estimation des prix et de leur évolution, il faut tenir compte des expositions passées et de leur prestige. Par exemple, Fiac Paris engendre une surévaluation du peintre beaucoup plus que la foire de Strasbourg. Les jurys à Paris, Bâle, Miami étant beaucoup plus sélectifs que dans des villes secondaires. De même un musée est mieux qu’une foire. À partir de là, on peut estimer que l’artiste est un placement d’avenir. Le collectionneur qui aura payé entre 1 000 et 2 000 $ une œuvre de format standard bénira le jour où cette œuvre sera négociée, pour le moins à quelques dizaines de milliers de dollars. À condition d’être patient.
Dans la cote, il faut tenir compte aussi de la rareté de l’artiste sur un sujet donné ; par exemple, Élie Kanaan est très cher dans sa “période parisienne”. La cote augmente aussi généralement à la mort de l’artiste ou lorsqu’il aura cessé de produire.
Dénicher l’oiseau rare

Un CV ne suffit pas. Il faut une reconnaissance parmi les marchands d’art, les facultés et les artistes eux-mêmes. L’amateur peut visiter des centaines de galeries à Paris, New York, Londres ou Tokyo, mais aussi des musées tels celui de Beaubourg, de New York et autres. Mais peut-être n’aurait-il pas le temps nécessaire pour trouver le bon tableau ?
C’est pourquoi, ont été créées les foires internationales d’art moderne et contemporain, telles celles de Bâle, de Madrid, la Fiac parisienne, ou bien au Liban Artuel-Beyrouth. À travers cette concentration de professionnels, le collectionneur pourra être certain d’une bonne sélection des œuvres et se rendre compte du niveau des prix moyens à qualité et format de peinture équivalents. Dans ces cas, la moyenne d’achat varie selon deux catégories de collectionneurs. La première correspond à un public plus ou moins averti, amateur d’art, qui investira en moyenne 2 000 $ par œuvre. Une autre catégorie de collectionneurs, beaucoup plus avertis, s’intéressera à des œuvres, allant de 10 000 $ à plusieurs centaines de milliers de dollars par tableau.
Sur le marché “secondaire” (hors galeries), dans une vente de particulier à particulier ou lors de ventes aux enchères, généralement les prix sont inférieurs, sauf s’il s’agit d’un tableau exceptionnel ou d’une période rare.
Mais, en tout cas, il faut être prudent quant à la spéculation pure et simple, sans rapport avec la valeur réelle. Comme pour la bourse, une hausse forte et continue à court terme risque de se terminer par un effondrement de la cote.

Phénomène d’ethnocentrisme

Le marché libanais ne fait pas exception au marché universel, même si on doit reconnaître que les prix des artistes libanais, en général, sont souvent surcotés. Cette surévaluation est due à un phénomène d’ethnocentrisme. Ceci est vrai pour les artistes régionaux n’importe où au monde. Ainsi, si vous cherchez à vendre un tableau de l’école de Rouen, vendez-le plutôt à Honfleur qu’à Beyrouth ou même à Paris, où il aura perdu de son intérêt régional. Par contre, un peintre libanais d’excellente réputation au Liban ne sera pas forcément très bien coté au niveau international. Même un peintre libanais installé à Paris depuis longtemps, ses œuvres seront toujours plus chères à Beyrouth. Dans le même ordre d’idées, un étranger (exemple : Georges Cyr) installé pendant des années au Liban sera plus cher à Beyrouth qu’à Paris, surtout pour les tableaux de la période libanaise.
Mais au fait qui sont les valeurs libanaises sûres ?
Au Liban, certains diront que la dernière époque de la grande peinture locale est représentée par les artistes Moustapha Farroukh, César Gemayel, Omar Onsi, Saliba Douaihy, Rachid Wehbé, etc. D’autres soutiendront que c’est au contraire à partir de la période de l’après-guerre (1945) que sont nés des courants et des recherches avant-gardistes. Quoi qu’il en soit, certains peintres ont marqué cette époque située entre l’indépendance du Liban et 1975, tels Michel Mir (1930-1970) et Amine el-Bacha. Aujourd’hui, les peintres libanais subissent encore une large influence de la peinture étrangère. Certains artistes confirmés, tels Wajih Nahlé, Hrair, Jean Khalifé, Paul Guiragossian, Aref Rayess, Wahib Btédini, Juliana Séraphim et Halim Hajj ont fourni à l’art pictural libanais les éléments d’un véritable patrimoine qui ne reste pas dans un seul style, mais tout en se tenant à l’image du Liban. Parmi ces différents styles, s’est affirmée ce que l’on a appelé la cinquième génération de peintres libanais qui a coïncidé avec le retour de la peinture à des bases traditionnelles. Après les délires des années 70, le cadre est beaucoup plus formel. L’inspiration puise ses sources dans les hiéroglyphes, l’art mésopotamien, les traditions du Vieux Beyrouth et la calligraphie arabe. Parmi les principaux peintres illustrant ce mouvement, citons Hussein Madi, Ibrahim Marzouk, Élie Kanaan et Moussa Tiba.
L’ensemble des peintres cités, et d’autres encore, sont évidemment des valeurs sûres.

À chaque génération, son prix

Quant aux jeunes peintres libanais, ils ont été troublés par 17 ans de guerre, ce qui explique peut-être un manque de courant commun qui serait le reflet d’une nouvelle ère libanaise. Le Liban qui souffre encore de mille interrogations produit visiblement des artistes désorientés. De ce creuset fait de désordre et d’angoisse, mais aussi d’espoir, pourraient naître des talents qui devraient s’affirmer dans la prochaine décennie.
Pour l’heure, même si le nombre des œuvres produites est exponentiel, la qualité laisse parfois à désirer. Avant qu’un courant de la jeune peinture libanaise ne soit marquant, peut-être est-il plus juste de parler pour la plupart de courant de mode. Citons parmi les jeunes artistes prometteurs actuels : Jean-Marc Nahas, Youssef Aoun, Joseph Harb, Daisy Abi-Jaber, Georges Merheb, Greta Naufal, Rose Husseiny, Charles Khoury, Mahmoud Zibawi… Ces artistes ont la cote en hausse.
On estime les prix des jeunes talents libanais de 1 500 à 2 500 $ le m2. Alors que pour les premières générations des “confirmés libanais”, la cote est de 3 000 à 10 000 $ pour un format moyen.
L’essentiel dans l’investissement de l’art reste une démarche, avant tout sentimentale et d’intérêt culturel. Achetez donc le tableau que vous inviterez chez vous comme un ami et par bonheur. Vous ferez peut-être fortune, un jour, mais vous ne l’aurez acheté qu’en fonction de vos moyens.