L’humour et le sens de l’autodérision des Libanais font fureur sur les réseaux sociaux. Sur le drapeau national, un pneu remplace désormais le cèdre. Le nouveau symbole national inspire les designers qui le déclinent à l’envi. Le résultat témoigne d’une très belle créativité. Une créativité qui est l’une des richesses du Liban : celle de ses jeunes polyglottes, creusets de cultures diverses, pleins d’allant et d’enthousiasme. En louant cette inventivité se rend-on compte cependant du sens de ce nouveau symbole ? Il est celui de la résignation. Remplacer le cèdre par le pneu, c’est renoncer à l’idée même d’un État. Se replier un peu plus encore vers la sphère privée, seul terrain pertinent pour chacun, s’organiser pour satisfaire seul au mieux ses besoins (en eau, en électricité, en sécurité…) et accepter l’anarchie comme une donnée de son environnement. Il faudrait des sociologues pour comprendre ce que les observateurs de passage ne manquent pas de souligner ébahis : « Comment pouvez-vous accepter de vivre ainsi ? » Pourquoi la mobilisation, véritable moyen de pression populaire à travers des grèves, des manifestations, qui vont au-delà de la protestation plus ou moins violente, est-elle impossible au Liban ? Pourquoi chacun se contente-t-il de réactions d’humeur d’autant plus cyniques ou véhémentes qu’elles s’accompagnent du sentiment de frustration lié à la conviction préalable qu’elles sont inutiles ? Chacun a son explication, sa grille de lecture : le confessionnalisme, le clientélisme, l’émigration, l’économie de rente, les influences régionales… Certes, mais après ?