Avec notamment des voitures, des chaînes hi-fi et des postes de télévision,
le Japon s’est taillé la part du… lionceau au Liban. Histoire d’un commerce bilatéral inégal.
Des sumotoris ou lutteurs de sumos... Voilà une image qui siérait bien aux producteurs japonais. Leurs inventions font des ravages partout. Et l’empire nippon n’en finit pas de récolter des excédents commerciaux avec les États-Unis, la France et l’Allemagne. Au Liban, il est classé sixième dans la liste des sources d’importation avec une part de 4,23 %, selon la Direction générale des douanes. La valeur des biens importés du Japon a atteint, en 1999, environ 240 millions de dollars. Un recul de 11,2 % par rapport à 1998, qui s’inscrit dans une tendance générale à la baisse au niveau des importations depuis deux ans.
En dépit de ces fluctuations, un gouffre béant ne cesse de séparer Beyrouth et Tokyo. En effet, la valeur de nos exportations n’a pas dépassé les 4 millions de dollars depuis 1996. Même si elles ont connu quelques progrès durant les années 90, elles n’ont jamais réussi à dépasser la barre des 6 millions de dollars. Les produits exportés vers le Japon constituent ainsi 0,6 % de la valeur globale de toutes les exportations libanaises. La balance commerciale libanaise affiche donc un score négatif de 236 millions de dollars. On en déduit que la valeur des produits en provenance du Japon est 60 fois plus importante que la valeur des produits exportés vers ce pays. Même si cet écart a toujours été important, la demande des produits japonais ne s’est vraiment développée qu’à la fin des années 80.
Le succès
à quatre roues
C’est entre 1993 et 1994 que les importations en provenance du Japon réalisent leur grand boom, passant de 190 à 253 millions de dollars. Une hausse qui concerne surtout l’industrie automobile japonaise. Voitures et pièces détachées enregistrent une augmentation de 58 millions de dollars en 1994. Quatre ans plus tard, ce secteur absorbe près de 60 % des importations libanaises. Dix marques de voitures japonaises sont exportées vers le Liban. Toyota, Lexus et Mitsubishi en sont des exemples. Les représentations commerciales ont été confiées à des entreprises libanaises qui étaient déjà réputées pour leur expérience dans la vente automobile. Présentes sur le marché libanais depuis 1967, les voitures Toyota et Lexus sont distribuées exclusivement par la société Gemaco. «Dans les années 60, nous vendions déjà des voitures sur les territoires libanais et syrien. À cette époque, les producteurs de Toyota étaient à la recherche d’un agent, ils sont tombés sur nous», raconte Pierre Boustany, directeur de Gemaco, sans autres détails sur les tractations qui ont précédé l’accord.
Et le contact s’établit
La coopération commerciale entre le fournisseur et son agent se développa assez vite. Au début des années 70, Toyota ouvrait un bureau pour le Moyen-Orient dans les locaux de l’agence libanaise. Géré par des Japonais, les domaines d’intervention de ce bureau étaient les ventes, le marketing et le service de réparation. Les routes libanaises constituaient aussi un terrain d’essai pour les nouvelles voitures de marque Toyota. La déflagration de 1975 provoqua la fermeture de ce bureau. Rouvert à Athènes, il ne tarda pas à fermer de nouveau. Cette fois pour de bon.
Autre voiture, autre parcours. Dans les années 70, la société japonaise Mitsubishi avait eu recours aux constructeurs américains de la marque Dodge pour vendre et distribuer leurs voitures sur le marché international. Agent de Dodge au Liban, Michel Eid se vit alors offrir l’agence nippone en 1972. Lorsque l’industrie automobile aux USA connut une crise dans les années 80, la société Eid cessa de recevoir les marques américaines. Elle conserva Mitsubishi.
Hauts et bas
Trente ans plus tard, les voitures nippones se portent plus ou moins bien au Liban. «Notre chiffre d’affaires dépasse les 35 millions de dollars. Nous avons vendu près de 1 600 voitures Toyota en 1998. Mais la hausse du yen, en 1999, a fait tomber ce chiffre à environ 1 000», souligne M. Boustany.
La situation de Mitsubishi semble différente. «Chez nous, la demande croît depuis cinq ans», affirme Dimitri Eid, sans pour autant dévoiler ses ventes. On cite généralement dans le milieu automobile le chiffre de 750 voitures Mitsubishi vendues en 1998. En fait, la société Eid équilibre son chiffre d’affaires par la vente de la marque Galloper, une voiture coréenne fabriquée sous licence Mitsubishi. Puisque les voitures sont le produit de technologies de pointe, les concessionnaires libanais sont régulièrement convoqués à des sessions de formation au Japon ou dans certains pays arabes. Pourquoi pas au Liban ? «C’est envisageable», répond M. Eid. Quant à M. Boustany, il évoque plutôt la proposition déjà faite au producteur japonais de créer au Liban un dépôt régional de pièces détachées Toyota. «Pour le Japon, le Liban offre des promesses dans le secteur des services plutôt que dans celui de la production», dit-il.
Électromécanique nippone
Dans le palmarès des produits importés du Japon, les appareils électroniques viennent en deuxième position avec une part de 21 %. Electronic Office Supplies est distributeur des appareils et produits Casio depuis 1972. En tant qu’agent exclusif de certaines gammes, la société bénéficie d’une priorité sur les autres distributeurs au niveau des commandes. Au niveau des prix, les produits électroniques subissent une dévaluation naturelle après un certain temps, puisqu’ils sont toujours dépassés par une invention plus récente.
Tel n’est pas le cas des montres Seiko qui sont un produit japonais, haut de gamme. «La stratégie appliquée au Liban est différente de celle en vigueur dans le reste des pays arabes. Nous sommes le seul pays de la région à recevoir la collection européenne de Seiko», explique Alain Momdjian, directeur de la société Mepromo, agent exclusif de Seiko depuis 1987.
Intervention directe
Sony Lebanon est une branche de Sony Gulf, une société subsidiaire créée par la société-mère à Dubaï pour couvrir la région du Moyen-Orient et d’Afrique. «Sony ne donne pas d’agence exclusive. Sa politique est de s’implanter dans les différents pays d’exportation à travers la création de branches», explique Pius Parackal, directeur du bureau libanais. Puis d’ajouter : «L’objectif de ces bureaux ne se limite pas à la vente. Leur but est d’apporter une valeur ajoutée en offrant un service de meilleure qualité».
Une stratégie qui semble avoir fait ses preuves. Les chiffres de Sony Lebanon ont augmenté de 25 % entre 1998 et 1999. «Seuls les produits fournis par la branche aux commerçants libanais sont accompagnés d’une garantie officielle», affirme M. Parackal. L’objectif de Sony est de localiser, à moyen terme, la branche et de confier sa gestion à des Libanais. Sur le long terme, Sony pense transformer la branche libanaise en un bureau régional pour servir tous les pays du Levant.
Ferrailles exportées
Sur le plan de l’exportation, le Japon semble porter un intérêt au recyclage des déchets en provenance du Liban. En effet, 59 % des produits exportés libanais vers l’archipel sont des débris de métaux (ferrailles et restes de cuivre). Quelque 15 % sont constitués de produits d’industries chimiques, 12 % de textiles et 6 % de produits alimentaires.
Comparé aux pays de la région, le Liban est le moins favorisé sur le plan du commerce bilatéral. Le Moyen-Orient est le septième fournisseur du Japon. La valeur des produits qu’il exporte vers l’archipel est de 32 milliards de dollars (en 1998), alors que celle du Liban n’est que de 4 millions de dollars. Sans prétendre se mesurer au pétrole, le vin libanais a réussi quand même à percer sur le marché japonais.
Le cas Kefraya
À la question de savoir pourquoi Kefraya a choisi le Japon, Michel de Bustros, directeur de Château Kefraya, répond : «C’est le Japon qui a choisi Kefraya». En fait, c’est dans un salon professionnel à Bordeaux que les Japonais ont découvert le vin libanais. Présents tous les deux ans à ce salon, Kefraya a su convaincre les dégustateurs nippons.
Pour M. de Bustros, le Japon est un marché important et intéressant à plus d’un niveau. D’abord, le pouvoir d’achat des Japonais est élevé. Ensuite, leur consommation de vin augmente depuis quelques années aux dépens des alcools forts (tel que le saké, leur boisson nationale). Trois distributeurs sont vendeurs agréés de Kefraya au Japon. 1 500 caisses de vins Kefraya sont savourées annuellement dans l’archipel. L’ambition de Kefraya n’irait peut-être pas jusqu’à concurrencer les autres vins étrangers en vente au Japon. La part des vins français dans les importations japonaises y est d’ailleurs largement dominante. «L’important est de s’imposer, ne serait-ce que sur une petite échelle…». Exemple à suivre.