La nouvelle taxe qualitative sur le textile importé a soulevé un tollé de la part des commerçants.
Mais à quel point sont-ils réellement lésés.
Les industries du textile et de l’habillement ont applaudi au décret n° 2457 axé sur l’imposition d’une taxe minimum de perception. Cependant, certains commerçants estiment qu’une telle décision signifie la fin de leurs entreprises.
De quoi s’agit-il au juste ? L’État, qui percevait disons 35 % de taxe douanière sur certaines catégories de vêtements, a institué une autre taxe “qualitative”, disons 9 000 LL par kilo. Mais seule une de ces deux taxes, la plus grande, sera perçue. L’objectif est double : éliminer les fausses factures difficiles à vérifier et arrêter le “dumping”, c’est-à-dire l’importation et la vente de produits en dessous de leur prix de revient.
Les premières réactions sont disparates. L’industrie locale est échaudée par le dumping et la fausse facturation, qui rendent en contrepartie sa production trop chère. Elle se trouve parfois obligée de vendre à des prix sacrifiés pour faire face à la concurrence. Exemple : des chemises pour homme importées d’Extrême-Orient sont disponibles en boutique à partir de 10 $ la pièce, tandis qu’une chemise fabriquée au Liban peut coûter 8 $ à la sortie de l’usine.
Le Liban, en fait, importe la plupart des matières premières nécessaires à la production des tissus et du prêt-à-porter. Le transport et les taxes douanières ne sont pas négligeables sans compter la main-d’œuvre locale relativement chère. Tout cela alourdit la facture des industriels, qui n’arrivent pas toujours à être compétitifs sur leur propre marché. Leur chemise pour homme “Made in Lebanon” doit être vendue à partir de 14 $ pour être rentable au commerce de détail.
Les causes du conflit
A priori, il faut éliminer de la scène du conflit les importateurs de grandes marques et de haute couture car leurs prix au détail ne se comparent pas à ceux de la production locale. Il reste en lice les vêtements bon marché, démodés ou usagés, achetés à un prix dérisoire et parfois au kilogramme. Les commerçants ciblant des consommateurs appartenant à la tranche moyenne et celle au-dessous sont les plus touchés. Ils affirment que leurs factures douanières ont passé à deux fois et demie, à quatre et même à six fois plus. Pourquoi ? Simplement parce que le décret en question impose un seuil minimal de perception ad valorem exigible quel que soit le prix apparent sur la facture du fournisseur étranger. La valeur apparente, selon la facture déclarée, sera donc ignorée si le calcul au poids s’avère plus rentable pour les recettes de l’État. C’est-à-dire que, si la somme calculée à partir de la taxe sur le kilo est plus grande que celle calculée à partir de la taxe en pourcentage de la facture, c’est elle qui sera payée par l’importateur.
À titre d’exemple, le vêtement en chaîne sera taxé de 15 000 LL par kilo, le tricot de 9 000 LL par kilo, les chaussettes et collants de 6 000 LL par douzaine.
Les importateurs concernés se plaignent parce que les droits de douane ont haussé de manière exagérée, réduisant ainsi leur marge de profit qui se rapproche de plus en plus des marges appliquées sur la production locale (environ 40 %). Pour illustrer cette donnée, le jean importé bas de gamme et le jean produit localement se vendent au détail à 15 000 LL. Mais la différence se situe au niveau du coût : le jean produit localement coûte à l’usine 6 à 8 $ alors que le jean à l’importation est souvent facturé par le fournisseur à 2,50 $. Ce qui est peu plausible, parce qu’on sait que le mètre de tissu coûte à l’origine 2 $ ; qu’il faut en moyenne 1,20 m pour tailler un pantalon, sans compter 1 $ d’accessoires, plus les frais de confection et de transport. C’est là où la sous-facturation est mise en doute.
L’impact réel de la taxe
D’après les chiffres officiels de l’importation, il apparaît que pour 50 % de l’ensemble des produits la taxe spécifique n’a pas d’impact sur la majoration des taxes douanières. Les articles touchés par un impact élevé se limiteraient à trois genres : la lingerie féminine bas de gamme, les sacs en tissu et les vêtements usagés.
Les dernières statistiques démontrent une augmentation anormale dans l’importation des habits usagés ! Ainsi, l’ensemble des articles vestimentaires importés au Liban totalise environ 18 000 tonnes desquelles 10 000 tonnes (55 %) sont déclarées habits usagés. Cela équivaudrait à dire que plus de la moitié de la population libanaise porte des fripes et que la plupart des boutiques n’offrent que ce genre d’habillement. On peut donc légitimement penser que certains commerçants importent des vêtements neufs, mais les déclarent comme “vêtements usagés” pour bénéficier de la différence du taux d’imposition.
La taxe normale sur les habits usagés est de 15 % au lieu de 35 % sur les autres vêtements. Or, la marchandise déclarée “vêtement usagé” permet de la facturer à un prix moyen apparaissant dans les statistiques comme équivalent à 2 121 LL au kilo. Ce qui rend la protection de 15 % adoptée en temps normal tout à fait dérisoire.
Le nouveau décret est venu imposer un minimum de 3 000 LL au kilo. Bien sûr, ce chiffre paraît énorme si on le compare à 15 % de 2 121 LL (318 LL). Mais, les 3 000 LL sont encore loin de la réalité des 35 % sur un produit régulier.
qui en tire profit ?
Par ailleurs, des ateliers spécialisés, situés dans des régions hors de Beyrouth, regonflent les vêtements usagés à l’aide d’une pompe à air puis les repassent et les conditionnent dans des emballages en nylon pour les exposer à la vente comme neufs à leur sortie d’usine. Certains de ces vêtements sont même revendus plus cher que des produits locaux.
Malgré les remous que ce décret suscite, il n’impose que des droits très modérés permettant aux ateliers et aux usines en activité de survivre.
L’application de ce décret devrait permettre à l’industrie locale de retrouver sa productivité normale et reprendre sa place à l’exportation.
Le retour de la productivité fera certainement baisser les prix à la consommation. Cela s’applique aussi bien aux produits locaux qu’étrangers.
Il est donc impératif de restructurer les secteurs de production avant l’ouverture à la globalisation. Un pays dont la balance commerciale est équilibrée a un avantage certain dans l’ouverture au monde extérieur. Elle lui permettra d’accéder à des marchés supplémentaires et à obliger les marchés d’exportation à s’ouvrir aux produits locaux au même titre qu’elle libère son marché à leur avantage.