Les Allemands sont sérieux, pragmatiques, disciplinés, assidus. Bref, ils ont des caractéristiques
qui ne siéent pas à tous les Libanais. Malgré cela, tout n’est pas si problématique.
«Les sociétés allemandes redoutent de s’implanter au Liban». Voilà ce que constate le représentant d’une société allemande qui n’a pas voulu être cité. Serait-ce la mauvaise expérience de Hochtief avec le CDR qui fait hésiter les sociétés allemandes concernant l’entreprise de projets au Liban ? En tout cas, cet avis ne fait pas l’unanimité.
Des agents de sociétés allemandes, ainsi que des compagnies allemandes établies au Liban, parlent de leur propre cheminement en affaires commerciales dans des secteurs très variés. Comment établir le contact avec une société allemande ? Comment cela se passe-t-il ? Quels sont les problèmes auxquels il faut faire face ?…
Établir le contact
Pour l’activité des compagnies aériennes, ce sont les ministres des Transports des deux pays concernés qui concluent un accord sur le nombre de vols et autres détails, observe Sarkis Amoghlian, responsable de la clientèle à la Lufthansa. En effet, en 1956, le choix de s’installer à Beyrouth, qui était un “hub”, a été tout à fait naturel : «En 1981, et suite à la situation de guerre, la société a arrêté ses opérations au Liban, pour les reprendre en 1997».
En ce qui concerne les agents, le contact peut s’établir directement comme dans le cas de Tamer Group, Techno Cars, ou encore Kettaneh. Pour Tamer Group, créé en 1895 et représentant actuellement plus de 60 sociétés allemandes, «le contact s’est fait directement, à travers des recherches effectuées par nos départements commerciaux spécialisés». Pour Jean Tamer, PDG du groupe, à notre époque, il est conseillé de prendre contact avec une société allemande, en passant par Internet, ce qui permet d’obtenir toutes les informations nécessaires. Le groupe représente au Liban Henkel pour les matières premières (produits chimiques pour les industries de détergents, cosmétiques, peinture), Siemens Nixdorf (qui produit des ordinateurs, des équipements médicaux et des distributeurs automatiques), Mont-Blanc, Lancaster, Ravensburger… «Notre groupe couvre toute la région et nos affaires sont beaucoup plus importantes à l’extérieur qu’au Liban», explique M. Tamer.
Quant aux Établissements F. A. Kettaneh, établis au Liban depuis 1922, ils sont agents, entre autres, de Siemens, plus particulièrement les télécoms et l’infrastructure électrique (les centrales, les cellulaires et le “power engineering”), et ce depuis 1952. «En ce temps-là, la famille Kettaneh avait de très bons contacts en Allemagne», explique Fadi Sawaya, directeur de la division Siemens.
Une autre méthode peut consister à sélectionner une société donnée à partir d’un annuaire, choisir les produits allemands qu’on désire commercialiser et puis établir le contact. C’est ainsi qu’a fait Moussalem Bros, société établie en 1958 et qui représente depuis 1994 Zott, une société allemande qui produit des fromages, des yogourts et des flancs. «Nous importons de chez Zott de l’Émenthal (fromage), du yogourt (Mertinger), des flancs vanille et chocolat, explique Mounir Moussalem, directeur de la société. Nous en sommes les distributeurs dans 1 500 points de vente».
Toutes ces sociétés sont plus ou moins régulièrement “inspectées” et ont pour rôle d’informer leurs partenaires allemands sur la situation du marché libanais. Certaines décisions se prennent en commun et d’autres en Allemagne. Explications et détails sur le mode de fonctionnement de ces sociétés.
La Lufthansa satisfaite
Pour la Lufthansa, l’expérience est plus que réussie : «Nous ne sommes confrontés à aucun problème au Liban. En été, les vols sont quotidiens, l’avion quitte l’Allemagne à 21 heures et arrive à Beyrouth à 1 heure du matin. Nous sommes très bien acceptés et nous entretenons d’excellentes relations avec la Middle East Airlines qui forme ses pilotes, à travers des stages, à la Lufthansa en Allemagne». La société au Liban est soumise à plusieurs types d’inspections pour vérifier que les standards de qualité de la compagnie sont respectés. «Nous sommes extrêmement confiants en l’avenir du Liban, conclut M. Amoghlian. Nous avons des projets pour augmenter nos effectifs et développer notre réseau de vente dans le pays».
métaux et produits
chimiques
«Certains Allemands n’ont pas pu se faire à la mentalité des Libanais et à leur façon de traiter en affaires», raconte Mohamed Jaber, représentant de la Thyssenkrupp Stahlunion M.E. Cette société allemande est leader en Europe dans le commerce de métaux pour la construction ou à usage général. Établie au Liban depuis 1948, elle s’occupe aussi de la Syrie et de la Jordanie (le siège central de ces trois pays étant au Liban). L’année dernière, la société avait 130 000 tonnes de chiffres de vente comparés à 220 000 tonnes (40 millions $) de septembre à août 2000. Notre rôle est de fournir à la société en Allemagne des informations sur l’état du marché au Liban et de prendre les commandes pour eux. Les décisions en ce qui concerne les contrats et les prix sont prises en Allemagne. Nous sommes par ailleurs les agents de Thyssen France qui produit des métaux spéciaux et qui a ses entrepôts en France», déclare M. Jaber.
Quant à Obegi Chemicals SAL, fondée au Liban depuis 1949, elle est agent de plusieurs sociétés chimiques allemandes dont la plus importante est la BASF.
«La société fournit de la matière première à l’industrie du packaging, du papier, du textile, du cuir, du meuble et de la peinture», explique le directeur Yordan Obegi. Chemicals a un délégué qui travaille au sein de la société mère et qui couvre la région du Levant : Liban, Syrie, Jordanie. De plus, observe M. Obegi, «on nous envoie des commerciaux et des techniciens une fois tous les deux mois ou à la demande. Nos fournisseurs tiennent compte à la fois de notre avis, de celui de leur délégué local et des clients pour établir leur stratégie commerciale».
télécoms, électricité
ou voitures
Les produits électriques et télécoms importés par Kettaneh sont bien sûr fabriqués entièrement en Allemagne. En ce qui concerne les projets publics, ce sont surtout des adjudications que l’EDL lance. Elle choisit les meilleures offres et conclut un contrat de fourniture avec eux, explique M. Sawaya. «Les Allemands peuvent également venir nous assister au Liban pour négocier des projets importants. Quant aux produits de consommation de type cellulaire, nous recevons des visites régulières 2 à 3 fois par an et nous préparons un plan de travail que nous discutons ensemble».
Pour sa part, Techno Cars SAL, agent d’Opel, qui a été fondée en 1993, ne rencontre aucun problème avec ses partenaires allemands. Techno Cars importe environ 200 à 250 voitures par an, explique son directeur général, Nadim Hakim : «Les Allemands qui sont extrêmement stricts nous rendent visite toutes les six semaines pour un back-up technique». Les décisions se prennent entre l’Allemagne et Dubaï, vu que GM, constructeur d’Opel, a un bureau régional de représentation à Dubaï. «Nous préparons ici l’étude de marché, et sur base de celle-ci ils adoptent une politique générale». À noter que l’année s’annonce bien pour Opel : tous les modèles 2000 ont été vendus.
Les machines industrielles
Techmo Industries, quant à elle, a été fondée en 1960. «Elle livre des usines clés en main, ce qui comprend, entre autres, le design de l’usine, l’étude de faisabilité, l’achat des machines. Cette société collabore avec des bureaux d’ingénierie allemands et importe des machines. Elle représente une dizaine de sociétés allemandes comme Karcher qui construit des machines de nettoyage industriel. «Depuis une trentaine d’années, l’industrie était en plein essor au Liban et les besoins en machines spécialisées étaient immenses. Nous avons donc contacté des sociétés allemandes qui avaient des solutions à ces besoins et nous avons développé nos relations avec elles pour ensuite devenir leurs agents exclusifs dans la région», explique Élias Assouad, président du Assouad Group.
Cependant, la situation au Liban a connu des changements considérables en 30 ans et certaines sociétés allemandes, ou leurs partenaires, n’ont plus la même satisfaction.
En résumé, l’industrie stagne. «Le Liban consomme peu de produits par rapport aux autres pays de la région, car il n’est pas très industrialisé», déclare M. Obegi.
Tous les problèmes que rencontrent les industriels libanais (coût de l’électricité, des carburants industriels, de la main-d’œuvre, les taxes) se répercutent donc sur l’activité de la société qui fournit la matière première à nombre d’industriels locaux : «À cause de la crise actuelle, nous constatons des retards de paiement des factures ; ce phénomène fait boule de neige. Nous aimerions entretenir une activité plus forte au Liban ; toutefois, nous sommes tributaires de notre clientèle industrielle».
Instabilité économique
«Nous avons parfois des ennuis avec des clients non fiables, que ce soit au Liban, en Syrie ou en Jordanie. Ils essaient de baisser les prix sur lesquels nous nous étions entendus au préalable, explique M. Jaber. D’autre part, nous représentons aussi Thyssen Rheinstahl Technik, spécialisée dans la gestion des projets, mais actuellement nous n’avons malheureusement pas de projets au Liban».
Mis à part la fiabilité des clients dont se plaint M. Jaber, on ne peut que remarquer les ennuis quotidiens dont nous fait part, avec irritation, Jean Tamer. «Les relations commerciales entre l’Allemagne et le Liban sont très bonnes, mais il faut que les Allemands soient patients avec les Libanais», s’exclame-t-il. En effet, «nous sommes confrontés à toutes sortes de problèmes qui vont de l’instabilité économique au transport de la marchandise, aux droits de douane, à la mentalité de l’administration… et tout ceci génère des retards interminables». Résultat des courses : «Il y a des frais supplémentaires en temps et en argent ; vous désinvestissez votre temps dans des formalités administratives».
On ne peut guère non plus ignorer la concurrence comme l’a expérimentée Mounir Moussalem : «Il n’est pas facile de pénétrer le marché libanais qui est envahi par une marchandise qui arrive du monde entier, surtout en ce qui concerne l’agroalimentaire. Il faut avoir des produits de bonne qualité et à bon prix».
du côté des partenariats
Un des exemples les plus frappants et les plus réussis d’un partenariat entre le Liban et l’Allemagne, qui dure depuis des dizaines d’années, est celui de Wella et autres produits du groupe Sarraf.
Un autre exemple plus récent est celui de la SLEE (Société libanaise d’expansion économique) qui produit localement la fragrance qui sert à fabriquer les parfums ou à parfumer les toilettes, en partenariat depuis 4 ans avec les Allemands (la société DROM). Cette fragrance est réexportée en Allemagne et dans d’autres pays. Au départ, relate M. Tamer, «les Allemands étaient très étonnés que nous leur suggérions le Liban qui aligne beaucoup de désavantages, tels que les complications dans l’importation d’échantillons, dans les droits de douane et dans l’administration archaïque… Ils ont donc eu confiance en nous et non pas dans notre administration ou notre économie».
Le rapport qualité/prix
M. Obegi observe qu’actuellement, «l’euro étant assez faible, l’industriel libanais peut acheter davantage de produits européens et allemands en particulier». Ceci aide donc à maintenir des relations commerciales plutôt bonnes entre l’Allemagne et le Liban. À noter que la société importe pour plusieurs millions de dollars.
Les produits allemands sont réputés pour être de bonne qualité chez les Libanais. Cependant, les produits de consommation courante ne sont pas aussi bien cotés que la machinerie, les équipements médicaux ou les voitures, comme Mercedes et BMW, qui sont extrêmement demandées au Liban. Reste cependant un domaine des relations bilatérales sur lequel nos interlocuteurs libanais ont insisté : c’est celui du tourisme. L’Allemagne fournit le plus grand contingent de voyageurs-touristes à l’étranger, en Europe, avec en plus un pouvoir d’achat élevé. Mais il semble que nos produits touristiques ne soient pas encore adaptés à leurs besoins.