La circulaire n° 135 instaure un mécanisme permettant aux banques de rééchelonner les dettes de leurs clients afin de limiter la hausse des créances douteuses tout en soutenant le tissu productif.

Dans un contexte de stagnation économique et de risque de hausse des créances douteuses, la Banque du Liban (BDL) a mis en place un mécanisme pour aider les banques qui le souhaitent à rééchelonner la dette de leurs clients en difficulté en réduisant le taux d’intérêt et en allongeant l’échéance pour une période allant jusqu’à sept ans. La circulaire (n° 135 du 26 octobre) porte sur trois types de prêts susceptibles d’être réaménagés : “les prêts à suivre et à régulariser”, considérés dans le langage bancaire comme des crédits encore performants, mais avec quelques signes d’essoufflement en termes de remboursement ; les prêts “sous la normale”, dont le client continue d’honorer uniquement le montant principal ; ainsi que les “créances douteuses” qui font référence à une situation d’irrégularité, voire d’arrêt de paiement du capital et des intérêts. Ces deux derniers types de crédits appartiennent à la catégorie des prêts “non performants” ou “improductifs”. « L’objectif est d’anticiper d’éventuels litiges ou de les régler sans avoir recours aux tribunaux, où le traitement des plaintes et le recouvrement des crédits peuvent parfois traîner plusieurs années », souligne Samir Hammoud, directeur de la Commission de contrôle bancaire (CCB).
« La BDL cherche également à éviter une croissance des prêts non performants inscrits au bilan des banques, car cela implique pour elles de mobiliser davantage de ressources sous forme de réserves obligatoires, et affecte par conséquent leurs ratios de performance, de liquidité et de profitabilité », ajoute-t-il.
Selon lui, cette nouvelle réglementation répond à une logique prudentielle car, il n’y a pas feu en la demeure : les créances douteuses représentaient 3,55 % du total des prêts fin octobre, contre 3,59 % fin 2014 et plus de 12 % avant 2007.
Un ratio qui risque cependant de se détériorer étant donné la situation économique. La croissance étant quasi nulle, de plus en plus d’entreprises ont désormais du mal à honorer leurs engagements bancaires. C’est la raison pour laquelle la BDL a étendu le champ de la circulaire aux prêts dits performants, mais assortis de signaux négatifs. « Il s’agit d’éviter que ces derniers ne se transforment en créances improductives », souligne Samir Hammoud. 
L’objectif est parallèlement de soutenir les entreprises endettées. « Si leur dette est réaménagée, ces dernières pourront dégager des ressources, réviser leur stratégie, voire réduire le coût de leur dette », précise-t-il.
Car la circulaire n° 135 prévoit aussi une forme de mise sous tutelle du client. La banque peut, en effet, réclamer « des amendements au niveau de la gestion de l’entreprise », selon l’article 8 de la circulaire, voire imposer le choix d’un « membre spécifique au sein du conseil d’administration ou d’un directeur financier jusqu’à la fin de la période de remboursement ». Malgré ses avantages, le champ d’action de la circulaire 135 reste relativement limité. Elle ne couvre pas par exemple les crédits à la consommation ou les crédits personnels – notamment ceux accordés aux cadres du secteur bancaire, ni les prêts subventionnés par l’État. Ces restrictions devraient faire l’objet d’un amendement ou d’une nouvelle circulaire, précise Robert Merhi, du département juridique de la BDL, sans préciser de date. Les autorités bancaires regrettent, par ailleurs, qu’une loi n’ait pas été votée en ce sens. En l’absence du législateur, la BDL joue, en effet, au pompier, mais toute circulaire n’a pas force de loi, disent-ils. « À Singapour, en Malaisie ou au Royaume-Uni, parmi d’autres, la tendance est désormais à établir un dispositif législatif pour favoriser les règlements à l’amiable, de plus en plus promus par la Banque mondiale », souligne Samir Hammoud. En attendant, la circulaire est officiellement bien accueillie par les banques, même si aucune donnée ne permet encore d’en mesurer l’impact. « Il s’agit d’une décision saine visant à anticiper une crise systémique (…) Certes, la situation est encore gérable, mais elle pourrait se détériorer », dit un banquier interrogé par Le Commerce du Levant. « Ce dispositif va, en outre, aider les banques à maintenir une structurelle bilancielle en phase avec les normes internationales à un moment où les taux d’intérêt ont tendance à augmenter, alors que l’économie stagne. »

Un mécanisme subventionné
Le mécanisme proposé par la BDL pour rééchelonner les dettes des entreprises en difficulté suppose un accord “à l’amiable” entre les parties concernées ouvrant la voie aux avantages subventionnés par la BDL. La circulaire 135 prévoit une période de négociation entre la banque et son client de trois mois, renouvelable une seule fois. « Si le client est endetté auprès de plusieurs banques, les deux tiers des établissements concernés doivent accorder leur aval pour que la démarche soit amorcée », explique Robert Merhi, du département légal de la BDL. Celles-ci doivent, en outre, détenir non moins de 60 % du montant global de la dette. La détentrice de la créance majoritaire est chargée de suivre le dossier pour les autres. Le rééchelonnement n’exclut pas d’augmenter l’encours total de la dette, si cela permet de « dynamiser l’activité économique » de l’entreprise. Les nouveaux prêts sont intégrés au montant total à rééchelonner. Outre le fait de contribuer à assainir leur bilan, les banques bénéficient d’un soutien financier non négligeable : elles sont autorisées à « escompter 50 % du montant de la dette auprès de la BDL », ce qui correspond à une « avance de 50 % accordée par la Banque centrale aux établissements concernés (…). En contrepartie, la BDL applique un taux de débit aux banques qui ne doit pas être inférieur à celui appliqué par la banque au client », précise Robert Merhi. Il s’agit d’une manière indirecte d’injecter des liquidités au sein des banques mais aussi de les libérer d’une partie de leurs obligations en matière de constitution de réserves. La BDL se réserve cependant le droit de “récupérer” à tout moment le montant escompté, notamment en cas de retard ou de défaut de paiement de la part des clients, et ce « même avant l’exécution des garanties » obtenues par les banques pour couvrir les dettes rééchelonnées (article 10).