Le scandale des Panama papers accentue la pression internationale pour lutter contre les paradis fiscaux et pourrait à nouveau contraindre le Liban à assouplir davantage encore son secret bancaire – voire y renoncer totalement. Explications.

Malgré les efforts législatifs réalisés dans l’urgence en fin d’année 2015, le Liban risque-t-il d’être considéré comme un mouton noir par la communauté internationale en matière de protection des fraudeurs fiscaux ? C’est ce qu’affirme le quotidien Le Monde dans son édition du 16 avril selon laquelle, « Panama, Vanuatu et Liban sont menacés de figurer sur la liste noire des paradis fiscaux non coopératifs de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) qui sera établie en juillet, à la demande du G20 (groupe des vingt pays les plus riches) ».
Alors que la logique des listes noires – le Liban en avait été rayé en 2002 – avait été un temps abandonnée pour favoriser la promotion des efforts demandés à chaque juridiction par le Forum mondial de l’OCDE au moment de sa restructuration en 2009, c’est le scandale des Panama papers qui a remis ce mode d’action au goût du jour. Répondant favorablement à une demande des ministres des Finances du G5 (France, Allemagne, Italie, Espagne et Grande-Bretagne), le G20 réuni le 15 avril à Washington a demandé à l’OCDE d’établir une telle liste pour sa réunion prévue en juillet.
« Nous faisons les frais d’un durcissement des pressions après le scandale des Panama papers », confirme une source très bien informée sous couvert d’anonymat. Sachant que le récent train législatif adopté par le Liban n’avait en tout cas pas été jugé suffisant par l’OCDE. Selon des informations recoupées par Le Commerce du Levant, dans un rapport d’évaluation des dernières mesures législatives envoyé à la mi-mars à Beyrouth, cette dernière demande des efforts additionnels et fixe un délai en ce sens pour le 5 août 2016. « Début août est la date limite pour la notification de toute mesure législative nouvelle avant son examen par la réunion du groupe de travail des pairs qui aura lieu fin septembre », confirme au Commerce du Levant  Andrew Auerbach, chef de l’unité des revues par les pairs du Forum mondial sur la transparence et l’échange d’informations fiscales, sans toutefois vouloir en dire davantage.
De source bien informée, Le Commerce du Levant a appris que les autorités libanaises auraient accepté, dans un courrier datant de la mi-avril, de procéder à de nouveaux amendements, mais n’a pas été en mesure d’en connaître la nature exacte, le ministère des Finances n’ayant pas donné suite à une demande d’entretien sur ce point. Le président du Parlement, Nabih Berry, a en tout cas d’ores et déjà pavé la voie à l’organisation d’une nouvelle séance législative “de nécessité”.

Le sort du secret bancaire

Il faut dire que le sujet est particulièrement sensible au Liban où c’est rien moins que le secret bancaire, pierre angulaire du système financier du pays depuis son introduction en 1956, qui est en jeu. Or, depuis les dérives des politiques publiques depuis la fin de la guerre de 1975-1990, ce système financier est considéré comme le poumon du pays, malgré tous les coûts économiques et sociaux majeurs induits par le modèle sur lequel il repose. Le rythme de croissance des dépôts bancaires est ainsi devenu l’un des indicateurs-clés surveillés par les analystes du Liban pour évaluer sa solidité financière et cet indicateur est étroitement lié à la confiance qu’inspire le secteur. « Accéder immédiatement à la totalité des demandes de l’OCDE représenterait un véritable séisme en l’état actuel des choses pour le Liban », estime l’avocat fiscaliste Karim Daher, qui souligne les efforts importants réalisés « par tous les acteurs – Banque du Liban, Association des banques, ministère des Finances –, malgré la situation très particulière et précaire dans laquelle il se trouve ».

Nouvelle demande au Liban

Dans un entretien téléphonique, Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, se veut pourtant très clair : « Nous allons demander au Liban de s’engager à procéder à l’échange automatique d’informations fiscales d’ici à 2018. » La situation du Liban est particulière, concède le directeur, « c’est pourquoi ces derniers temps je me suis davantage consacré à Panama qu’au Liban, mais il est désormais temps de réagir. Il n’est tout simplement plus tolérable que le mauvais argent puisse encore avoir des places financières où se cacher. Or sur la question du secret bancaire et des actions au porteur, il n’y a pas eu de progrès suffisants côté libanais ».
Pascal Saint-Amans rappelle que le Liban, même s’il n’appartient pas au premier groupe concerné par le Forum mondial, à savoir les centres financiers développés de l’OCDE et le G20, a été identifié comme l’un des pays pertinents pour la mise en œuvre de règles sur l’échange de renseignements fiscaux et les données bancaires, étant donné la loi sur le secret bancaire et le fait qu’il soit un centre financier. Invité à faire partie du Forum mondial en 2010, le Liban a alors refusé. « Nous avons malgré tout décidé de procéder à un examen par les pairs, qui n’était pas bon », souligne le directeur. Par la suite, le Liban ne s’est a fortiori pas impliqué dans le processus lancé en 2014 destiné à mettre en place un processus d’échanges automatiques des informations fiscales et bancaires qui concerne aujourd’hui une centaine de juridictions.
Les efforts du Liban se sont jusque-là concentrés sur l’obligation de montrer patte blanche, en cédant le moins possible sur le fond, à savoir la préservation du secret bancaire. Mais la pression internationale est réelle et efficace. C’est ainsi que, sous le seul effet d’un premier délai imposé par le Forum mondial au 15 décembre 2015 pour le lancement d’une deuxième évaluation de son système législatif, une série de lois sont passées dans l’urgence fin 2015.
Quatre projets de loi déposés au Parlement en 2012 ont ainsi été examinés les 12 et 13 novembre 2015 au cours d’une séance exceptionnelle convoquée au motif de la “nécessité”, ce alors que les députés ne légiféraient pas depuis des mois et ne légifèrent pas depuis. Quatre lois ont été adoptées et une cinquième modifiant le code de procédures fiscales – pour instaurer et organiser la déclaration de la propriété des actions au porteur et leur cession – a été renvoyée au ministère des Finances (après obtention d’une prolongation du délai de l’OCDE au 29 janvier). Après amendements, le texte a finalement été approuvé le 19 janvier 2016 par la commission de l’Administration et de la Justice du Parlement. Il est assorti d’une recommandation d’annuler les actions au porteur dans un délai d’un an, mais ne répond pas immédiatement sur ce point aux exigences sans appel du Forum mondial. « S’il n’existe pas de mécanisme permettant d’identifier les actionnaires d’une société, c’est un problème. La question des actions au porteur est très importante pour le Forum mondial », explique Andrew Auerbach au Commerce du Levant. Le nouveau système fait la distinction entre les institutions financières (FLS) et les entités non financières (NFE), exactement comme la Fatca, la loi américaine entrée en vigueur en juillet 2014 qui oblige les banques à signaler au fisc américain tous les contribuables susceptibles de vouloir échapper à l’impôt américain. Le mécanisme du Forum mondial, parfois rebaptisé Gatca, cible principalement ces dernières pour débusquer les vrais bénéficiaires des actifs ou de ceux qui les contrôlent (“Controling Persons”) par le biais de trusts ou de prête-noms à travers la méthode du “look-through”, précise Karim Daher.
Sur ce point, comme sur le mécanisme d’échange d’informations nouvellement inscrites dans la législation libanaise, les efforts du Liban ont été jugés insuffisants, explique-t-on sous couvert d’anonymat, côté libanais.

Obligation de déclarer le liquide

La première loi adoptée fin novembre, portant le numéro 42, introduit l’obligation de déclarer aux douanes toute somme supérieure ou égale à 15 000 dollars (ou son équivalent dans d’autres devises) transportée en numéraire (espèces, chèques, titres, etc.) lors du passage des frontières libanaises. L’obligation de déclaration concerne “toute personne” au singulier qui franchit la frontière, ce qui laisse une possibilité d’interprétation extensive de manière à multiplier la somme par tous les membres d’une même famille, même mineurs. Les modalités d’application doivent encore faire l’objet d’un décret du Conseil des ministres.
Les informations recueillies par les autorités douanières concernant les sommes déclarées aux frontières sont inscrites dans un registre sécurisé et confidentiel auquel seule la Commission spéciale d’investigation (CSI), qui relève de la Banque du Liban, peut accéder directement. En cas de soupçons de fausse déclaration, les douanes peuvent saisir les sommes transportées en attendant des clarifications supplémentaires après en avoir informé le procureur général près la Cour de cassation et la CSI. Les fausses déclarations, que ce soit sur les montants ou sur l’origine des fonds, sont passibles d’une amende pouvant atteindre 10 millions de livres et de poursuites pénales dans le cadre de la loi sur la lutte contre le blanchiment numéro 318.

Échange d’informations fiscales

Le deuxième texte adopté, la loi 43, autorise l’échange intergouvernemental d’informations fiscales. Il permet à un pays tiers de demander au ministère libanais des Finances des informations fiscales concernant une personne physique ou morale, au cas où cette dernière fait l’objet de soupçons sérieux de fraude ou d’évasion fiscale. Cet échange est néanmoins conditionné par l’existence d’une convention fiscale bilatérale, ou Traité multilatéral pour l’échange d’informations en matière de fraude et d’évasion fiscales, dûment ratifié et promulgué par le Parlement.
La demande doit être fondée sur des accusations réelles ou des preuves tangibles. Lorsque les informations requises sont couvertes par la loi du secret bancaire du 3 septembre 1956, ou par l’article 151 du Code de la monnaie et du crédit, la demande est transmise à la CSI, à qui revient la décision de lever le secret bancaire. Si la commission décide d’accéder à la demande, elle doit en notifier par écrit la personne concernée et celle-ci peut saisir le Conseil d’État dans un délai de 15 jours. Ce dernier doit rendre une décision dans un délai de trois mois. À défaut la CSI pourra exécuter les procédures requises. C’est notamment cette procédure qui est jugée peu satisfaisante par l’OCDE pour laquelle, le standard minimum qui est désormais exigé est celui de l’échange automatique d’informations.
En matière d’échange d’informations fiscales, le cadre actuel prévoit une évaluation des pays en trois étapes, rappelle l’avocat fiscaliste Karim Daher, la dernière étape étant l’échange automatique d’informations. « Beaucoup de pays, dont la Suisse, ont été initialement réfractaires à la procédure d’échange automatique, tout en acceptant d’instaurer une levée du secret bancaire à la demande. Mais le Forum mondial ne s’en satisfait plus et exige désormais l’échange automatique en vertu de traités bilatéraux ou multilatéraux. La Suisse, comme d’autres, a fini par s’y plier. L’échéance est en 2018 », souligne Karim Daher.

Extension de la définition légale du blanchiment

Le troisième texte de loi amende la loi 318 de 2001 en définissant le blanchiment comme un crime en soi et oblige désormais les professions soumises au secret professionnel (notaires, avocats, banquiers, etc.) de signaler à la CSI leurs soupçons en la matière. Il élargit en outre son champ pour y inclure, entre autres, le financement des organisations terroristes, la corruption et le trafic d’influence, ou encore les infractions relatives à la propriété intellectuelle, ainsi que la fraude et l’évasion fiscales. Le nombre d’infractions passe de sept à 21.

Actions au porteur

Enfin, une quatrième loi, portant le numéro 47, ajoute à l’article 26 du code de commerce l’obligation faite aux sociétés immatriculées au Liban de divulguer le nom de ses associés, ainsi que le nombre d’actions ou de parts détenues. Il s’agit en réalité d’un amendement de forme, car il est aujourd’hui impossible d’enregistrer une société au registre du commerce sans mentionner l’identité de ses actionnaires et leur nationalité, explique Karim Daher.
En revanche, le projet de loi numéro 12059, du 24/5/2014, visant à modifier les articles 23, 29, 32 et 107 de la loi n° 44 du 11/11/2008 sur les procédures fiscales a suscité une vive opposition de différents ordres professionnels et a été renvoyé en commissions pour plus d’études. Présenté par le ministère des Finances, le texte exigeait que toute personne physique résidente procède personnellement, dans un délai de deux mois suivant la promulgation de la loi, à la déclaration de toutes les actions de sociétés libanaises en sa possession, sous peine d’une pénalité de 300 000 livres par an. Il était aussi prévu que toute transaction concernant ces actions soit notifiée au fisc dans un délai de deux mois. (Voir les détails dans la prochaine édition de la Revue fiscale libanaise). Le projet de loi amendé a finalement été adopté le 18 janvier 2016 par la commission de l’Administration et de la Justice, mais attend encore de passer en séance plénière. Il prévoit que les sociétés concernées continuent de communiquer elles-mêmes l’identité des détenteurs de leurs actions et parts sociales à titre nominatif. Les détenteurs d’actions au porteur qui sont résidents libanais (dont la définition a été introduite dans la loi pour la première fois) sont, quant à eux, tenus de se signaler au fisc avant le 31 mars de chaque année. En plus du registre des actions nominatives, les sociétés par actions (SA et SCA) ont en outre désormais l’obligation de tenir un registre spécifique dans lequel elles enregistrent les noms des détenteurs d’action participant aux assemblées générales annuelles, quelle que soit la nature du titre qu’elles détiennent.
Le projet de loi a été assorti d’une recommandation de la commission de l’Administration et de la Justice en faveur d’une annulation pure et simple des actions au porteur dans un délai acceptable (en principe un an), sachant qu’il s’agit là d’une exigence sans appel du Forum mondial. La Banque centrale a parallèlement émis le 29 février une circulaire (n° 411) limitant considérablement l’intérêt pour une société commerciale d’avoir des actionnaires détenteurs de titre au porteur, sachant que la pratique des plus grandes banques du pays consistait déjà depuis plusieurs années à éviter de traiter avec ce type de clients.

Le Liban a décidé d’adhérer au Forum mondial

«Le Liban vient de nous annoncer son intention d’adhérer au Forum mondial », déclare au Commerce du Levant Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Une information confirmée de source autorisée, mais pas encore annoncée officiellement à Beyrouth. Après un premier refus formulé en 2010, cette fois, « nous avons décidé d’y aller franchement », explique-t-on de même source, sous couvert d’anonymat.
Le Forum mondial est une plate-forme internationale créée en 2001 et restructurée en 2009. Il regroupe aujourd’hui 129 États membres incluant les pays de l’OCDE, le G20 et un certain nombre de places financières jugées « pertinentes ».
C’est à ce titre que le Liban avait été invité en 2010 à y adhérer, car il s’agit d’un centre financier d’une relative importance et qu’il est doté du secret bancaire.
L’objectif principal du Forum mondial est de développer des normes de transparence et d’échange de renseignements à travers le Modèle d’accord sur l’échange de renseignements en matière fiscale élaboré en 2002.
Depuis 2006, il produit une évaluation annuelle du cadre légal et administratif pour la transparence et l’échange d’informations dans une centaine de juridictions.
À la suite d’une réunion à Mexico en 2009, le Forum mondial décide de se restructurer, en acquérant le statut d’organisation à part entière financée par l’OCDE, et de s’élargir. Il lance alors une procédure d’examen par les pairs pour évaluer chaque pays en matière de coopération fiscale. Cette évaluation se fait en trois étapes. La première consiste à évaluer l’existence ou non d’un cadre légal et réglementaire en termes d’échange d’informations sur demande et par suite de la disponibilité et de l’accès à ces renseignements. La seconde consiste à évaluer la mise en œuvre pratique de ce cadre législatif. Et la troisième à mettre en œuvre un échange automatique entre les administrations fiscales parties à cet accord. L’examen ne se limite pas aux membres, mais aussi aux pays jugés pertinents, comme le Liban, pour qui l’enjeu était jusqu’il y a tout récemment de passer de la phase 1 à la phase 2.
En 2014 cependant, un nouveau standard est désormais adopté : la nouvelle norme internationale d’échange automatique et réciproque d’informations appelée Common Reporting Standard (CRS) en anglais. Il concerne la communication systématique, à intervalles réguliers, de “blocs” de renseignements relatifs à diverses catégories de revenu (dividendes, intérêts, redevances, salaires, pensions, etc.), par le pays de la source du revenu au pays de résidence du contribuable.
Ces mesures ont porté leurs fruits avec des pays comme le Luxembourg par exemple qui est passé du statut de « pays faisant très mal » à celui de « pays faisant très bien », selon les propos de Pascal Saint-Amans à la radio française. « Aujourd’hui, tous les pays de l’OCDE, tout le G20 et tous les paradis fiscaux, sauf quatre, ont opté pour l’échange automatique de renseignements bancaires, qui est la vraie fin du secret bancaire et qui va commencer en 2017 ou 2018 », déclare-t-il au Commerce du Levant. « Sur les quatre réfractaires – Nauru, Vanuatu, le Bahreïn et le Panama –, Nauru et Vanuatu ont désormais accepté dans la foulée de pressions liées à la publication des Panama papers. Le Liban ne peut plus être tenu à l’écart. »