Années 50 : trois frères se lancent dans le commerce de la chaussure. Près d’un demi-siècle plus tard, ils auront prouvé qu’en partant du bon pied, on arrive à bon port.
Le premier Festival du shopping en février 97 a enclenché un phénomène social. Toute la presse en a parlé : le Red Shoe de Hamra, affichant -50 %, a été pris d’assaut par des centaines d’individus. On a dû filtrer les entrées, faire appel à la force publique, pallier rapidement une rupture de stock. Bref, une réussite, encore une, un demi-siècle plus tard.
C’est en 1953 que les frères Khatib inaugurent leur première boutique sur la place de l’Étoile. À cette date, un film américain intitulé “The Red Shoes” passe sur nos écrans. Le décorateur s’en inspire pour donner un nom au nouveau magasin. Les chaussures proviennent alors du travail de plusieurs artisans indépendants. Une année plus tard, la “chaussure rouge” s’installe dans le quartier chic de Beyrouth : Bab Idriss. C’est alors que les trois frères décident de joindre l’industrie au commerce. Dans un atelier situé à Mazraa, des fabricants ayant travaillé chez les grands maîtres arméniens commencent à confectionner des chaussures pour approvisionner la boutique. Mais la ligne Red Shoe n’a pas encore vu le jour.
Les ventes se multiplient et à partir des années 60 l’aîné de la famille, Ali Khatib, commence à explorer le marché italien. À Rome, il entend parler d’un célèbre modéliste napolitain, Mangione. Les deux Méditerranéens se rencontrent, s’entendent et décident de collaborer. La ligne Red Shoe est alors créée. Conçus par l’Italien, les modèles sont exécutés dans une usine à Chiyah en 1962 et se vendent également dans les nouvelles branches de Hamra et de Béchara el-Khoury. Red Shoe s’exporte en Irak et en Jordanie. Le volume de la production atteint à cette époque le chiffre de 300 paires par jour.
La guerre éclate, tout bascule : les boutiques sont détruites ou fermées, l’usine démolie et pillée. La famille Khatib trouve refuge en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Elle y ouvre des magasins de chaussures importées d’Europe. En 1982, une nouvelle usine est fondée à Bchémoun. Une ligne féminine voit le jour. Mais c’est en 1995 que Red Shoe renaît véritablement de ses cendres pour amorcer son expansion actuelle. Cette année-là, une immense usine à Sibline ouvre ses portes.
400 paires par jour
Aujourd’hui, l’usine de Sibline est un centre industriel regroupant environ 240 ouvriers. Une équipe de 6 créateurs est chargée de concevoir les nouveaux modèles, tout en conservant l’esprit du modéliste italien disparu. Depuis 1995, Red Shoe s’est implanté aux quatre coins du pays, avec 10 boutiques. L’aménagement et la décoration des grands magasins, comme celui de Zalka, ont coûté entre 300 000 et 400 000 $.
Même si la consommation connaît une baisse, la production de Red Shoe ne tarit pas. L’usine produit 400 paires par jour, dont 95 % sont vendues au Liban. Les clients de Red Shoe sont, comme l’explique Ali Khatib, «des gens qui appartiennent à la première couche de la classe moyenne».
«On ne vend pas moins, mais on vend moins cher, raconte-t-il. C’est au moment des soldes que nos chiffres de vente explosent». La période hors soldes permet de vendre 50 % de la collection et d’assurer un retour sur investissement. Les remises de prix permettent de couvrir les frais de l’institution. «La machine continue à tourner, tel est l’essentiel. Peu importe actuellement la marge de profits réalisés».
Mais si Red Shoe récolte moins de bénéfices, la société n’a pourtant rien perdu de son renom grâce à trois facteurs : d’abord, un savoir-faire transmis de génération en génération. Ensuite, le choix des matériaux. «Il s’agit d’utiliser les matériaux adéquats pour chaque type de chaussure, explique Ali Khatib. Une chaussure bien faite ne dure pas si les matériaux ne sont pas de bonne qualité». Enfin, le rapport qualité/prix. Un équilibre qui ne rend pas la chaussure accessible à tous, mais Red Shoe «refuse le compromis sur la qualité».
Face à un marché qui se rétrécit, les Khatib sont actuellement à la recherche de nouveaux horizons. «Notre projet actuel est d’opter pour la franchise», explique Ali Khatib. Première mission accomplie à Marbella en Espagne, où un groupe d’investisseurs arabes a récemment inauguré une boutique Red Shoe. Mais c’est le marché syrien qui intéresse les chausseurs libanais à plus d’un titre. «Les barrières douanières entre les deux pays disparaissant progressivement, de belles perspectives pourraient s’ouvrir devant nous».