Une compétence et un volontarisme à toute épreuve qui lui valent le respect de tous.
Ni hasard ni héritage : pour ce sage de 64 ans, la banque est un choix.
Sous d’épais verres, le petit œil malin pétille, impénétrable. L’affabilité de son accueil bémolisant une fausse froideur, François Bassil tire le meilleur des êtres et des choses.
Le flair, il l’a dans la peau, et l’humour au coin des lèvres. Avec en plus la modestie. Celle de ceux qui ont façonné leur propre réussite.
Né à Fidar-Jbeil, il cherche très tôt à s’affirmer. Trublion, il va devoir changer d’école à plus d’une reprise. Sa famille possède plusieurs entreprises en association, moitié-moitié, avec Fouad Ferneiné : une compagnie de services agricoles, commerciaux et financiers, une tannerie, une usine de soie, la compagnie de l’électricité de Jbeil…
Il n’a pas 13 ans qu’il passe déjà l’été à travailler dans l’entreprise familiale et y est rémunéré une livre libanaise par jour. Proche des ouvriers, il développe depuis “sa” fibre socialisante. Avec une relation de complicité qui le lie à son père, notable influent dans sa région, et qu’il tient pour modèle.
Attiré tant par les affaires que par la politique, le jeune François décide de suivre des cours de droit à l’université de Louvain en Belgique. Il y achève son apprentissage de la langue française, accepte de petits jobs par-ci, par-là, dévore livres et presses libanaise et internationale, bref absorbe tout savoir et finit par prouver aux siens, hostiles à l’idée de le voir s’expatrier pour poursuivre ses études, qu’il peut voler de ses propres ailes.
Il revient passer ses étés au Liban. Et convainc alors son père d’opérer une restructuration tous azimuts des affaires familiales dans le sens d’une mise en orbite du créneau financier.
Il effectue l’été 58 un stage de 2 mois au Crédit Lyonnais. Les Bassil fondent en 59, ce qui à l’époque n’était qu’un petit comptoir prémonitoire de la banque qui va naître en 1964. Mais la transition n’est pas facile à réaliser. Et le jeune François la supervise de Belgique où il suit, parallèlement à ses cours de droit, des études en sciences commerciales et financières et se familiarise avec la comptabilité.
Au terme de sa 3e année universitaire, il se présente comme candidat aux législatives contre Raymond Eddé dans la circonscription de Jbeil et en sort grand perdant puisqu’il réussit à drainer 2 700 voix contre 6 000 obtenues par le Amid. Un intermède politique avant de revenir en Belgique pour y décrocher son doctorat… et rentrer définitivement au Liban en 1962.
Il faisait tout lui-même
«Je me déplaçais à Beyrouth pour ouvrir des comptes à nos clients et leur apprendre à utiliser leurs carnets de chèques. Tous ces documents produits aujourd’hui électroniquement, je les rédigeais moi-même à la main».
La banque grandissait petit à petit. Une première branche est ouverte à Tripoli. Vers la fin de 1963, le capital passe de 2 millions LL à 5 millions. Le siège est transféré à Beyrouth et la banque baptisée du nom de Byblos. Dans l’intervalle, François s’endette pour le compte de sa famille, pour acheter toutes leurs parts aux Ferneiné qui ne voulaient pas entrer dans la banque.
Les deux familles maintiennent toujours des liens étroits. Michel Ferneiné – aujourd’hui président de la Société financière du Liban –, dit de lui : «François a prouvé une aptitude à viser juste. C’est un banquier entreprenant et rigoureux».
L’activité bancaire, concentrée sur les crédits spécialisés et prêts personnels, commence à être diversifiée à partir de 1963. Byblos s’engage alors dans la niche commerciale et développe le volet international.
Épaulé par son épouse, née Lati, Beyrouthine et fille de banquier, François Bassil va à la conquête d’une plus large clientèle. Même que cela l’entraîne sur le nouveau continent. Hispanophone, il prolonge de 2 mois son voyage de noces en Amérique latine pour établir des liens avec la diaspora libanaise au Brésil, Venezuela, en Colombie et Argentine.
Idem 2 ans après en 1966, mais cette fois-ci il met le cap sur l’Afrique. En 1971, l’actionnariat est ouvert, à hauteur de 6 %, à des personnes extérieures à la famille dont le président Camille Chamoun, proche des Bassil. «Il était le seul membre du conseil d’administration à scruter véritablement les bilans de la banque et discuter de toutes les questions relatives à sa gestion. Il ne ratait aucune des réunions du conseil et ne mélangeait jamais les affaires bancaires et la politique».
La décennie 70 voit l’essor de la banque par le biais d’un réseau d’agences couvrant tout le pays. C’est aussi l’époque où François Bassil, à travers ses contacts internationaux (et en développant le financement du commerce international) surtout avec l’Égypte, le Soudan, l’Arabie saoudite et la Belgique, s’active à poser les assises d’une présence à l’étranger. Un holding est constitué à Luxembourg avec, entre autres associés, Joseph Geagea.
Cette présence va s’affirmer crescendo. Aujourd’hui, la banque “Byblos-Europe” installée à Bruxelles – dans laquelle la Société Générale-France est actionnaire à hauteur de 8 % par un raccourci de fusions – a deux succursales, l’une à Paris et l’autre à Londres. Spécialisée dans le crédit documentaire, elle draine des affaires de plusieurs pays surtout arabes. Sans oublier la branche offshore de Byblos-Liban établie à Limassol, à Chypre. Et à l’effet de se préparer pour la phase post-ouverture syrienne, Byblos sera la 5e banque libanaise à s’implanter dans la zone franche du pays voisin, en début d’année.
Son dada :
les politiques sociales
Convaincu que les banques, principales partenaires sur l’échiquier économique, doivent être impliquées dans une politique sociale, Byblos est la première à se lancer dans les prêts à l’habitat, l’éducation… bref “à contribuer au développement de la classe moyenne dans le pays”. Tant et si bien que cette image est désormais sienne.
Ce “nabab rouge”, serait-on tenté de l’appeler à le voir installé dans son bureau élégamment décoré par Cassati, est animé de l’idéal du “welfare state”. À bien d’égards, il fait penser à ces catholiques de gauche, figures de proue de la “démocratie chrétienne” italienne tel Amintore Fanfani, qui ont œuvré à la recherche d’une troisième voie entre socialisme et capitalisme, fondée sur la collaboration de classes.
Également homme de réflexion, il consacre beaucoup de son temps à la lecture d’ouvrages sociologiques et économiques. Il prévoit de créer, dans les années à venir, «une fondation qui s’occuperait surtout d’éducation dans la région de Jbeil si délaissée par l’État».
«On n’est plus au Liban dans le capitalisme sauvage. Mais on n’est pas encore dans la social-démocratie», constate-t-il.
Progressiste à sa manière, il déplore l’absence de parti opérant comme plate-forme pour une action politique responsable.
S’étant présenté comme candidat indépendant aux dernières législatives, il garde un goût amer de cette expérience. «C’est l’intérêt direct matériel ou sentimental qui continue de guider les choix politiques des Libanais en général». Et exclut de se représenter dans 4 ans «parce qu’à un certain âge, il faut savoir se reposer».
Se reposer signifie goûter aux joies d’être grand-père. Quand ses petits-enfants, de ses 3 enfants (Semaan D.G., Joumana, en charge du marketing à la banque, et Karim, ingénieur) sont chez lui, «j’oublie tout le reste».
Il a le blues de ce Liban d’avant-guerre qui sentait les fleurs d’orangers… et une certaine éthique. Celle imperméable aux griffes des Rastignac de tout genre. La nostalgie de l’amitié, la vraie, et de choyer le souvenir d’un ami, cheikh Boutros el-Khoury qui, pour le soutenir à un moment difficile de la vie de la banque en 1967, était entré provisoirement dans l’actionnariat.
Adepte de l’Internet et de l’Intranet, il est toujours branché “on line”. Et ne se sépare jamais de son portable. Surtout pas quand il est en vacances.
Décoré de l’Ordre de la Couronne belge, désigné par le Saint-Père Chevalier de l’Ordre de Saint-Grégoire le Grand – pour sa contribution à la construction et la reconstruction des églises –, il a présidé par deux fois l’Association des banques.
«Je ne sais pas si c’est un défaut, je suis très dur dans le sens exigeant». Mais il sait reconnaître ses erreurs. «Et c’est en les reconnaissant que je parviens à m’achever», dit-il.