Oubliez les taxis hélés, les chauffards enfumés et mal rasés et les aléas “à la tête du client”,
le nouveau business des réseaux taxi prouve son efficacité… et sa rentabilité.

Vous arrivez d’un long voyage, vous pointez à la station des taxis jaunes de l’aéroport plein de bonne volonté… et vous avez toutes les chances de tomber sur un compteur taximètre qui fonctionne mal, un forfait course plus cher qu’à Paris, tout ça dans une atmosphère de racket organisé. Néanmoins, vous avez une autre solution, celle d’appeler un des réseaux des taxis urbains réputés pour leur sérieux.
La prolifération remarquable des compagnies de taxis se confirme. À côté des anciennes comme Lebanon Taxi instaurée à Hamra (1955) ou Gardénia Taxi à Hazmieh (1970), d’autres compagnies sont apparues sur le marché comme Geryes Taxi (qui se développe puisqu’elle existe depuis 1970), Charlie Taxi (1992), Safe Taxi, New Taxi, Viva Taxi, Auto Tour et la toute dernière, Allô Taxi. Mais comment sont organisés ces conglomérats ?
Une telle affaire peut se constituer grâce à un partenariat entre le propriétaire du bureau, du nom commercial et du permis d’une part, et les chauffeurs, eux-mêmes propriétaires des voitures. Ceux-ci se soumettent aux règlements de fonctionnement du bureau et paient en contrepartie un tarif mensuel : forfait fixé à l’avance ou pourcentage sur le revenu. Dans le cas de Charlie Taxi, le directeur Charles Harb explique que le chauffeur s’engage à posséder une voiture Mercedes de 1990 et plus, parler au moins une langue étrangère, informer le bureau de l’horaire choisi (jour ou nuit) et enfin porter un uniforme. En échange, il devra payer 10 à 15 % de son chiffre d’affaires par mois.
Élias Geryes, patron du réseau de même nom, adopte une formule mixte : partenariat avec un nombre de chauffeurs, auxquels s’ajoutent des salariés conduisant des voitures appartenant au bureau.
En revanche, les anciennes compagnies comme Lebanon Taxi consistent en une “affaire de famille” dans laquelle le propriétaire du bureau est également celui des voitures.
Un fonctionnement original est né sur le marché libanais avec la compagnie Allô Taxi : l’investissement a porté, entre autres, sur l’achat des voitures. Mais les chauffeurs engagés ne sont ni propriétaires ni salariés, mais en quelque sorte des «gérants vendant les services de la société». L’explication réside dans l’absence de loi réglementant le secteur. En effet, chez Allô Taxi, on s’explique : «Les salariés seraient mal contrôlés et donc, pour motiver les chauffeurs, un régime spécial a été adopté : l’entretien de la voiture est à la charge du bureau, l’essence est à leur propre charge. Ils s’engagent alors à payer une somme forfaitaire de 325 $ par semaine et le reste des bénéfices leur revient». Seuls trois chauffeurs salariés sont appelés à circuler si la demande augmente. Les chauffeurs doivent toutefois répondre à des qualifications précises : être jeunes, présentables, porter l’uniforme, parler au moins une langue étrangère, présenter des certificats médicaux et un casier judiciaire vierge. Enfin, toute l’équipe doit suivre un stage de formation et participer à des réunions périodiques.

Télécoms et ordres de mission

À côté des frais d’installation (véhicules, local, permis délivré par la municipalité, nom commercial), toutes les compagnies s’accordent à affirmer que «l’investissement principal reste une clientèle fidélisée».
Allô Taxi a démarré avec un investissement de 500 000 $. Alors que dans le cas d’un partenariat, un minimum de 50 000 $ est nécessaire, affirme Charles Harb, de Charlie Taxi, en précisant «qu’il faut compter avec les frais d’installation du système de télécommunications dans toutes les voitures». Ainsi, les chauffeurs sont en contact permanent avec le bureau et les véhicules facilement localisés. À titre supplémentaire, le cellulaire s’avère d’une grande utilité en cas de surcharge du réseau. Certaines agences comme Gardénia Taxi se suffisent du portable.
D’autre part, une compagnie de taxis investit généralement dans un parc de stationnement. Mais un véhicule en circulation peut parfois être appelé à répondre à la demande d’un nouveau client. Chez Charlie Taxi, il est permis de prendre un client en route. Ceci est fréquent dans le cas d’un partenariat où le chauffeur est propriétaire de la voiture. Mais il devra quand même en informer le bureau et préciser sa destination. «Charlie Taxi dispose dans différents points, comme Beyrouth, Jounieh, Jbeil et Broummana, de parkings pour recevoir les voitures en attente». Chez Allô Taxi, grâce aux contrats établis avec certains hôtels comme le Phoenicia ou le Summerland, des voitures sont stationnées à la sortie de ces hôtels. Leur nombre varie en fonction de la taille et des activités de l’hôtel. Une fois la voiture en circulation, elle informe l’agence de la direction prise. Le bureau, ou “dispatching center”, concentre les informations et distribue les ordres. Dans le cas de Allô Taxi, les voitures ne sont jamais au parking. Certes, quelques voitures sont garées au siège de la compagnie pour répondre à toute demande supplémentaire. Mais en tout état de cause, les clients ne sont pris que sur ordre du bureau et après son accord. La compagnie s’explique : «Nous avons contracté une assurance tous risques pour chaque voiture ainsi qu’une assurance pour les passagers, alors nous sommes en droit d’être informés». De même chez Geryes Taxi, les chauffeurs n’entament une course que sur ordre du bureau.
Taximètre traficoté ?

Contrairement à d’autres pays où le taximètre est adopté, les taxis au Liban ne sont pas équipés de compteurs. «La clientèle libanaise n’est pas encore habituée à ce système». Ainsi, les compagnies ont opté pour une tarification forfaitaire en fonction de la distance et des horaires. Geryes Taxi et Lebanon Taxi offrent un tableau des tarifs applicables avec une variation des prix entre le jour et la nuit. Chez Charlie Taxi, la même tarification est appliquée 24 heures sur 24, les prix sont parfois modifiés en fonction de la demande : «Un client réservant la voiture une journée entière paie un prix forfaitaire global et celui qui la loue pour 5 heures paiera un tarif par heure. Le client est plus à l’aise avec le système du forfait. Les taximètres présentent des prix aléatoires et parfois plus chers que le forfait». Chez Geryes Taxi, on va jusqu’à parler d’une tricherie dans l’utilisation des compteurs en service au Liban, de là ils préfèrent fixer le prix au préalable.
Allô Taxi, quant à lui, offre le choix : la tarification fixe ou le taximètre. Dans ce cas, le compteur démarre à 4 000 LL. Les premiers 15 km valent 1 250 LL par km ; les seconds 15 km à 1 000 LL par km et les troisièmes 15 km à 750 LL par km. La tarification de nuit, de 20 heures à 6 heures, augmente de 20 %. Cette formule est rarement choisie par les Libanais, mais connaît un succès auprès des touristes.

Évolution contradictoire

Même si les compagnies de taxis prolifèrent, certains établissements de banlieue connaissent des difficultés.
Charlie Taxi a débuté avec 3 voitures en 1992 et lancé en même temps sa campagne publicitaire. Aujourd’hui, il dispose de quelque 30 voitures réparties sur le territoire libanais : «La plus grande évolution du chiffre d’affaires s’est manifestée ces trois dernières années».
Geryes Taxi a débuté avec 10 voitures pour arriver à 50 voitures, sans compter les limousines et minibus. En 20 ans, son activité s’est beaucoup développée et Élias Geryes affirme : «Après les trois bureaux déjà ouverts à Achrafieh, Hazmieh et Zalka, nous comptons ouvrir un quatrième bureau. Mais nous évitons d’élargir trop notre activité, car elle serait trop difficile à gérer et le service clientèle risquerait d’être affecté…». Chez Lebanon Taxi, Mohamed Nsouli précise que les activités se sont diversifiées : à part les taxis, se sont développées les sections mariage, voyage en Syrie, bus et bientôt location de voitures.
Par contre, les petits établissements en dehors de Beyrouth ont vu leur activité régresser. Ayant débuté avec 35 voitures, Gardénia Taxi se retrouve actuellement avec 5 à 6 voitures. Ce bureau doit aussi assumer les frais d’entretien, l’essence, le parc de stationnement.
Allô Taxi a vu son activité évoluer rapidement. À part les clients individuels, la compagnie travaille à travers trois créneaux. D’une part, une coopération avec certains hôtels a permis à la compagnie d’accroître son activité (actuellement 7 hôtels) et d’arriver à quelque 3 000 clients par mois. D’autre part, les 35 voitures et les 5 limousines Mercedes 600 de la compagnie sont mises au service de sociétés privées, à travers des contrats. Le bureau distribue des “voucher booklets”, sorte de carnet fidélité. Les employés d’une telle société remplissent un feuillet du carnet pour chaque trajet effectué. Le paiement se fait à la fin du mois. En troisième lieu, des accords ponctuels sont conclus avec les organisateurs d’événements touristiques, concerts ou spectacles, comme par exemple la Bacardi Night. De nombreux projets sont actuellement en étude pour le proche avenir tels qu’une carte fidélité pour les clients habituels, la possibilité de payer par carte de crédit…
D’ailleurs, à chaque compagnie sa formule fidélité, qui ressemble parfois aux “miles” des compagnies aériennes.

Libanais et peu de touristes

Quel est le profil général de la clientèle ? Les touristes sûrement, mais aussi quelles catégories de Libanais ?
Chez Geryes Taxi, les touristes représentent 5 % de sa clientèle totale (près de 6 000 clients réguliers). Chez Lebanon Taxi, la clientèle est principalement libanaise. Celle de Charlie Taxi se répartit comme suit : 12 % de touristes, 35 % d’adolescents (moins de 18 ans), 20 % de dames âgées et 33 % de personnes utilisant l’agence “par commodité”. Cette catégorie regroupe les gens qui disposent d’une voiture mais qui veulent éviter les problèmes de stationnement ou les embouteillages… L’agence assure, par ailleurs, le transport régulier des écoliers et des employés à travers des accords annuels.
Grâce aux contrats avec les hôtels, la part des touristes utilisant l’agence Allô Taxi s’élève à 46 %, mais certains entrent en contact individuel avec l’agence par fax, Internet ou à l’arrivée à l’aéroport. La clientèle libanaise est constituée d’abord de personnes non motorisées comme les adolescents, ou élèves pour les transports scolaires, et d’autre part de personnes qui préfèrent éviter de conduire en ville. Après avoir lancé une campagne publicitaire contre l’alcool au volant “Don’t drink and drive”, l’agence cherche à sensibiliser la clientèle en l’encourageant à prendre un taxi pour rentrer après une soirée un peu trop arrosée…
Malgré le nombre croissant de compagnies, celles qui sont sur le marché affirment qu’une telle affaire est certainement rentable si elle est bien gérée et offre de multiples opportunités. Ainsi, les professionnels considèrent que le marché libanais est loin d’être saturé et que le secteur demeure un vaste terrain prêt à être exploité… Il faut dire que la clientèle potentielle se méfie de plus en plus des taxis-service avec leur imperturbable “payez ce que vous voulez”…