Ils sont une dizaine, plus ou moins. Des pionniers libanais qui commencent par générer
un business du luxe et construire un secteur d’activité à haute valeur ajoutée.
Fashion TV, 22h30, tous les soirs, des créateurs libanais sont présents à travers leurs défilés. Des noms comme Élie Saab, Georges Hobeika, Fouad Sarkis, Zuhair Murad ou encore Robert Abi Nader (récemment promu “homme de l’année”). Du coup, ils sont internationalisés et s’affirment dans un domaine que l’on croyait hermétique.
Car la haute couture, ce n’est pas du “prêt-à-porter”. Techniquement, elle s’adapte à toutes les imperfections du corps, où la coupe et le tissu sont exclusifs. Sur mesure, la robe ne peut être répétée que deux fois, au profit des femmes qui veulent être uniques pour une soirée ou à un mariage. Tandis que pour le prêt-à-porter, le vêtement est répété selon diverses tailles et des goûts plutôt standards.
Certains couturiers libanais sont donc en train de s’affirmer sur le marché international de la mode. Diplômés pour la plupart de la Chambre syndicale de la couture parisienne, ils ont entamé leur carrière en effectuant des stages dans des maisons de couture renommées.
Les passages obligés
Robert Abi Nader a fait ses premiers pas chez Dior et Montana. Janine Asmar a fait son stage chez Nina Ricci : «Il faut commencer au bas de l’échelle et perfectionner chaque étape du métier. Ainsi, on peut connaître les diverses facettes de la profession : les croquis, la couture, la sélection du tissu…».
Zuhair Murad, très jeune, a ouvert son atelier au Liban, il y a 6 ans. En 1999, il a fait sa première apparition sur les podiums italiens où il a jusqu’à maintenant présenté 5 défilés. Actuellement, Zuhair Murad a une boutique en Arabie saoudite et une en construction à Dubaï. Dans ses projets d’avenir, il prévoit d’ouvrir une chaîne de boutiques dans plusieurs pays européens, et puis à New York, au Koweït et à Hong Kong. «L’expérience internationale permet de s’ouvrir à différents systèmes de travail et peut s’avérer bénéfique pour chaque designer qui veut élargir ses horizons», affirme Zuhair Murad.
Robert Abi Nader, lui, a été étudiant à l’école privée de la Chambre syndicale, et a réussi à devenir membre de la semaine internationale à Paris où de grands défilés sont présentés tous les six mois. En juillet 1997, R. Abi Nader a présenté une collection au Carrousel du Louvre avec de grands couturiers. Quant à sa dernière collection printemps/été, présentée en janvier, «elle a obtenu un grand succès». D’après lui, si la presse spécialisée apprécie le travail du couturier, il aura les faveurs de tout le monde. Les clients de Robert Abi Nader viennent aussi du monde arabe, où la demande est beaucoup plus élevée. «Au Liban, précise-t-il, le marché de la haute couture est très limité, car les clientes, en général, préfèrent se ravitailler en haute couture française ou italienne».
Grâce à ses relations et à un capital élevé, Zuhair Murad s’inscrit chaque six mois à la Chambre syndicale de la mode de Milan. Le coût de cette inscription s’élève à 5 000 $, sans compter les frais du défilé et de la promotion. Cette inscription lui permet de présenter ses collections à Milan. Avant toute collection, une réunion de consultations entre les grands couturiers se tient pour définir les tendances de la prochaine saison.
Janine Asmar, elle, a été approchée pour présenter un défilé à l’une des plus grandes expositions de mode, celle d’Igedo à Düsseldorf, en Allemagne. Si elle n’a jamais présenté des défilés à Paris ou à Milan, elle a des clientes à New York et à Dubaï qui représentent 45 % de son chiffre d’affaires, alors que le reste, 55 %, est au Liban.
Investissements de luxe
Robert Abi Nader estime que les débuts dans la haute couture sont toujours très durs, quel que soit le talent. Mais, si ce marché de luxe n’est pas un business à profit, il est indispensable pour l’image de marque et le prestige. En réalité, c’est dans le marché du prêt-à-porter de luxe que le profit est intéressant grâce à la production de série. Dans cet ordre d’idées, il compte présenter sa première ligne de prêt-à-porter de luxe très prochainement.
L’expérience de grands couturiers français, qui sont passés de la haute couture au prêt-à-porter de luxe, confirme la profitable règle de ce business.
«L’investissement dans la capitale de la mode, Paris, coûte 20 à 30 fois plus qu’au Liban, précise Robert Abi Nader. Pour pouvoir réussir dans la haute couture de niveau international, il faut compter au minimum 300 000 $».
Mais, un défilé de niveau international présenté à Paris peut être aussi beaucoup plus coûteux. Ça peut aller jusqu’à 1 000 000 $, précise Robert Abi Nader. Ceci inclut un hôtel prestigieux, l’équipe professionnelle, les habilleuses, les chaises à louer, les journalistes de la mode à payer et l’attaché de presse qui, bien à l’avance, s’occupe du lancement médiatique du défilé. Les mannequins sont sélectionnés dans les meilleures agences. L’agence Ford en est un exemple. La rémunération par défilé varie entre 7 000 et 10 000 FF pour un mannequin peu connu. «Un top model est payé jusqu’à 50 000 $ par défilé, explique Janine Asmar, mais sa présence dans un défilé est une propulsion directe dans le cadre international». Au Liban, à titre de comparaison, la rémunération des mannequins varie entre 200 et 600 $.
Pour les autres frais, il faut prendre en considération les salaires des employés fixes. «Les salaires des personnes payées pour chaque modèle conçu varient entre 500 et 2 000 $ selon leur expertise», précise Janine Asmar. Robert Abi Nader paie ses couturiers approximativement 500 $ par pièce. Dans les ateliers libanais, près de 200 couturiers travaillent dans la haute couture, mais leur nombre dépend de la demande.
Autrement dit, c’est un secteur de luxe avec une rentrée indirecte du profit. Ces millions de dollars dépensés chaque année sont le prix à payer pour une prestigieuse image de la maison de couture.
D’ailleurs, les maisons de couture de ces designers libanais sont luxueuses et de goût très raffiné. «Je vends des robes haut de gamme, donc les clientes doivent être entourées par un décor luxueux, explique Zuhair Murad. Seules les clientes très aisées viendront payer une robe sur mesure entre 3 000 et 18 000 $».
Quelle que soit la notoriété du designer, Maalouli Group, agent de FTV au Liban, propose des offres aux designers libanais qui veulent présenter leurs collections sur cette chaîne pendant au moins un mois. Une tranche horaire est consacrée à 22h30 aux couturiers libanais. Une minute de diffusion coûte 150 $ (voir tableau). Cependant, la présentation d’un défilé à Paris ou à Milan permet automatiquement sa diffusion sur FTV. C’est le cas pour Zuhair Murad et Robert Abi Nader.
Débutants : pour quelques milliers de dollars
Un jeune designer peut bien commencer avec un petit budget de quelques milliers de dollars. Cela lui paiera un premier défilé local assez modeste. «Avec un tel départ, il lui faudra 10 ans minimum pour percer sur le marché international de la haute couture, justifie Janine Asmar. Mais si on a le talent et le capital, on achète le temps». Elle, d’ailleurs, vient d’une famille aisée et a fait ses études de mode dans la prestigieuse école privée de la Chambre syndicale de Paris.
Un recours à une aide financière, où un groupe rachète le nom et le talent du designer et finance ses lancements médiatiques, ses défilés et son parcours, peut s’avérer une solution. «Mais plus de pression et moins de flexibilité sont les désavantages de cette méthode», explique Robert Abi Nader. Cette concentration devient pratiquement la règle dans ce monde fermé de la haute couture (voir encadré). Mais nos grands couturiers ne semblent pas pour le moment séduits par de telles affiliations. C’est que leur marché de prédilection reste, pour la plupart, les pays du Golfe, là où justement ils peuvent s’imposer sans l’aide des grands groupes français du luxe.
D’autre part, il faut bien préciser que, dans ce domaine, le capital ne suffit pas pour grandir. Il faut beaucoup d’expérience, de la persévérance, du professionnalisme, une bonne gestion du capital et… bien sûr du talent.