Entre le “bodyguard” à l’américaine et les excités à bord d’une Range sur nos routes, on peut trouver de vrais professionnels de la sécurité privée. Un créneau qui se développe.

«Il ne s’agit pas d’habiller des hommes et de les envoyer chez le client», déclare d’emblée Lotfallah Yazigi, PDG de Securitas, l’une des premières sociétés de sécurité privée au Liban. Le métier de gardiennage est en fait un long processus de formation, voire d’éducation. «La sécurité n’est pas synonyme de force, mais de prévention et de surveillance, précise Nabil Nammour, directeur de SCAP, autre société spécialisée. Le gardien a pour rôle de veiller au règlement d’un établissement donné et d’empêcher les intrus d’y pénétrer. Dans les usines, il est surtout chargé de prévenir les défaillances techniques».
Il ne faut donc point confondre gardien et policier. «Notre domaine d’action ne dépasse pas la propriété privée, affirme Lotfallah Yazigi. La rue ne nous appartient pas. Nous sommes des auxiliaires des forces de l’État».
Pratiquement, les gardiens alertent les services publics du moindre danger. Les sociétés de sécurité disposent à cet effet d’un centre de coordination (chambre d’opération). Ce centre est équipé d’un poste de transmission qui contrôle toutes les activités sur le terrain et reçoit les signaux d’alarme ou d’alerte de toute provenance.
«En fait, l’État ne peut offrir à ses citoyens qu’une sécurité publique répartie également entre tous. Toute personne qui a besoin d’une sécurité supplémentaire pour son domaine privé doit faire appel à un professionnel de la sécurité», explique Lotfallah Yazigi, également juriste de formation. «Les gens peuvent croire que la police est censée être tout le temps présente, souligne Nabil Nammour. Or, cela n’est pas toujours vrai». Malgré une méfiance qui s’est manifestée au début, il existe depuis 1995 une parfaite coordination entre les gardiens et les services de l’État, confirment les deux responsables.
Les sociétés de gardiennage et de surveillance sont apparues au Liban depuis 1985. Pour pouvoir opérer sur le terrain, ces sociétés, outre l’inscription au registre commercial, doivent suivre une procédure spéciale pour obtenir une autorisation du ministère de l’Intérieur. La réglementation a été mise à jour par un décret ministériel datant de 1995. Une liste de formulaires à remplir ainsi que des permis provisoires puis définitifs… sont nécessaires pour qu’une société soit conforme aux normes et pouvoir opérer sur le terrain. Lotfallah Yazigi précise que «depuis quelques mois le ministère de l’Intérieur a créé un organisme spécifique pour contrôler et encadrer les sociétés privées de sécurité. Cet organisme est chargé du suivi, de la surveillance et de la saine évolution du travail de ces sociétés. Ce qui constitue une bonne chose».
Une dizaine de sociétés sont aujourd’hui opérationnelles. SCAP et Securitas sont les plus anciennes, suivies par la Future Security. Outre le gardiennage, elles proposent un service de transport de fonds et de conseil en sécurité. Détenue par un holding suisse de sécurité, qui porte le même nom, Securitas propose également un service de protection rapprochée (gardes du corps) et peut fournir elle-même le matériel de sécurité (systèmes d’alarme). Mais finalement, gardiens, gardes du corps ou convoyeurs, comment choisit-on ces hommes de confiance ?

Un métier à part entière

«Les gardiens sont recrutés par recommandation, explique Nabil Nammour. La société n’a pas recours à des annonces dans les journaux. La recommandation offre une garantie morale. Le contexte familial et social du candidat est primordial. Sa réputation rentre aussi en jeu». Idem à Securitas où les gardiens doivent avoir une moralité irréprochable. «Nous conduisons des enquêtes avec l’aide des services de l’État pour nous assurer de l’honnêteté des postulants». En outre, Securitas refuse toute personne ayant eu une affiliation politique ou idéologique. «Notre travail est sacré, justifie Lotfallah Yazigi. Il a ses normes et ses règles. Nous vendons une confiance et une crédibilité qui nous interdisent de prendre des risques».
Les personnes recrutées doivent également répondre à certains critères objectifs : avoir entre 20 et 30 ans, être de nationalité libanaise, jouir d’une bonne condition physique, et même chez certains être titulaires du bac et parler couramment le français ou l’anglais.
Une fois recrutés, les futurs gardiens doivent suivre une formation spécifique. Cours théoriques et pratiques se succèdent. Certifiée ISO 9001, Securitas dispose d’un espace de 2 000 m2 pour former ses gardiens. Arts martiaux, cours de communication, de bienséance, de droit, de sauvetage font partie de cette éducation. Tout cela tend à prouver que le gardiennage est un métier que l’on apprend et que l’on épouse, non pas un petit boulot de passage. «30 % de nos gardiens travaillent à la SCAP depuis 15 ans», confirme Nabil Nammour.
Les gardiens de Securitas sont soumis à un régime qui n’est pas sans rappeler l’organisation militaire. «On est même plus sévère qu’à l’armée, affirme Lotfallah Yazigi. Un képi mal porté, un pantalon mal repassé entraînent une réduction du salaire à la fin du mois». Pour veiller à l’application de ces règles, des officiers à la retraite sont recrutés pour remplir les fonctions d’inspecteurs. Ces derniers assurent des rondes régulières et surveillent le travail des gardiens.
Sur le terrain, les gardiens de la SCAP ne portent pas d’armes alors que ceux de Securitas dissimulent sous leur costume une arme à but dissuasif. «Si nous utilisons des armes, c’est pour protéger les biens et les personnes qui nous sont confiés», explique Lotfallah Yazigi. Securitas dispose actuellement de plusieurs centaines de gardes. La SCAP a déjà à son actif plus de 200 employés. Parmi eux, une quinzaine de filles qui travaillent en tant que gardiennes en particulier dans les hôpitaux où le contact humain est plus délicat.
Cependant, ces règles strictes imposées par les sociétés sérieuses ne sont pas nécessairement appliquées par tout le secteur. Même si ce n’est pas avoué, certaines sociétés de sécurité sont effectivement des émanations d’anciennes milices.

Le prix de la sécurité

La sécurité a évidemment un prix. Chez Securitas, un service de 8 heures par jour sera facturé à partir de 600 $. «La concurrence nouvelle a essayé de casser les prix. Nous avons alors riposté en baissant nos tarifs pour leur tenir tête. En outre, cette baisse coïncidait avec une situation où les clients rognent sur la plus petite dépense». Conséquence logique : les bénéfices de Securitas sont presque nuls.
Chez SCAP, on ne fait pas de compromis sur les prix. Un service de 24 heures sur 24 s’élève à 25 000 $ par an, «il y va du bien-être du gardien». Son salaire moyen s’élève à 400 $ par mois pour 8 heures de travail quotidien. Il est assuré à la CNSS et bénéficie d’une assurance complémentaire et de subventions scolaires. Chez Securitas, le garde est payé en moyenne 350 $ pour un plein temps et a droit à des avantages presque similaires.
Les services que proposent ces sociétés comprennent, entre autres, le gardiennage, le système de contrôle permanent à travers la chambre d’opération et l’assurance contre les risques professionnels. Mais c’est au client de choisir la formule qui convient à son budget. Et c’est en fonction de ce budget que la responsabilité de la société est déterminée. Les coûts sont alors partagés en cas de problèmes. «L’important est que les entreprises apprennent à consacrer un budget annuel pour la sécurité et qu’elles acceptent de sous-traiter ce service aux professionnels», précise Lotfallah Yazigi.

Un potentiel inexploité

Jusqu’au début des années 90, les entreprises libanaises se méfiaient encore des services proposés par les sociétés de gardiennage. Elles ne faisaient confiance qu’à leurs propres hommes. «En temps de guerre, se souvient Lotfallah Yazigi, certains miliciens faisaient de facto ce travail dans leurs différentes zones de contrôle. Les clients pouvaient difficilement traiter avec Securitas. En outre, certains confiaient encore leurs entreprises à la Providence ou à Mar Élias. Depuis 4 ou 5 ans, la question de la sécurité est devenue systématique. Securitas signe des contrats toutes les semaines».
Depuis 6 à 7 ans, la demande est donc croissante. Banques, hôpitaux et usines ont recours aux services de gardiennage. La SCAP a aujourd’hui une trentaine de gros clients. Par exemple, la société couvre les 30 branches de la Banque Libano-Française. Securitas déclare avoir quelques centaines de clients répartis entre les secteurs bancaire, commercial et hôtelier. La société suisse assure aussi la protection de plusieurs résidences privées, en particulier dans la région de Rabieh et les entrées de l’ambassade suisse.
Mais un autre marché se profile à l’horizon. «Les sociétés de gardiennage peuvent aussi, à titre d’exemple, être mandatées par des municipalités pour assurer la sécurité d’une région, affirme Lotfallah Yazigi. En cas de problèmes, la société sera sanctionnée par simple rupture de contrat et paiement de la prime d’assurance. On évitera ainsi les pénibles procédures administratives appliquées dans le secteur public». Toutefois, cette délégation de pouvoirs n’est pas encore tout à fait concevable au Liban, même si Securitas semble frayer un chemin dans cette direction.
En effet, certaines municipalités pensent sérieusement sous-traiter la sécurité de leurs communes d’une façon régulière ou à l’occasion d’événements particuliers. L’affaire reste donc à suivre.