Les jours où l’on faisait facilement fortune dans le Golfe sont révolus. Mais Dubaï, Djeddah et Koweït City sont encore à l’affût d’une main-d’œuvre étrangère. Et les Libanais demeurent bien placés.
Manque d’opportunités, cherté de vie, instabilité économique et politique : autant de facteurs pour convaincre un certain nombre de Libanais de plier bagage. Proches, les pays arabes offrent plus de facilités que l’Europe et les États-Unis. Souffrant toujours d’une carence dans leur main-d’œuvre nationale, les entreprises du Golfe recrutent régulièrement et sont familières avec la procédure à suivre et les papiers à fournir. Certains pays comme l’Arabie saoudite, tentent bien de nationaliser leur main-d’œuvre. Mais pratiquement, cette politique, appelée “saoudisation”, cède le terrain devant les besoins croissants des entreprises nationales et étrangères, qui y sont implantées. De plus, les difficultés d’obtention de visa et de cartes de séjour ne sont plus ce qu’elles étaient pendant la guerre. Depuis l’avènement de M. Hariri en 1992, il suffit d’avoir un contrat de travail pour finaliser les formalités.
Une activité lucrative
Les atouts des pays du Golfe ne se limitent pas aux salaires qu’ils proposent. Les avantages et les possibilités d’épargne encouragent le Libanais à tenter l’expérience. En outre, les secteurs technologiques, industriels, commerciaux et touristiques ne cessent de se développer grâce à la présence croissante des multinationales. On y va donc pour acquérir une ouverture et une expérience internationales. Et cerise sur le gâteau : les salaires ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu.
Par ailleurs, la recherche d’un emploi dans ces pays est facilitée : les annonces dans les quotidiens prolifèrent et de nombreux cabinets libanais se sont spécialisés dans le recrutement pour le compte d’entreprises établies dans les pays du Golfe. Cette activité s’est avérée d’ailleurs lucrative pour l’intermédiaire libanais chargé de trouver la perle rare. À titre d’exemple, la société Career Trak déclare ne travailler que sur les “gros paquets”. Cette stratégie lui permet d’encaisser entre 10 000 et 17 000 $ pour un directeur général placé dans un pays arabe. Les bureaux libanais de recrutement sont désormais connus dans les pays du Golfe. Et de nombreuses entreprises ont recours à leurs services pour allécher la main-d’œuvre qualifiée. Une main-d’œuvre qui, selon l’avis de plusieurs cabinets, se fait rare au Liban. Les Libanais préférant s’établir en Europe ou aux États-Unis. Cependant, quand ils recherchent la proximité, c’est à Dubaï qu’ils désirent surtout se rendre.
Pays de prédilection
Dubaï est un émirat où il fait bon vivre. Sorties et loisirs y sont garantis. Telle est la remarque que les différents recruteurs se pressent toujours de faire. Et pourtant, les salaires y sont plus bas que dans le reste des pays du Golfe. Certes, à Dubaï, on vit mieux, mais on dépense plus et donc on épargne moins. Les demandes d’emploi étant supérieures aux offres, les salaires ont fini par céder. Dans les pays où la vie est, dit-on, plus difficile, tels qu’en Arabie saoudite ou au Koweït, l’échelle des salaires est certainement supérieure (voir cadre). Certains recruteurs expliquent cette différence comme étant «une indemnité pour compenser la difficulté de vie». Ce qui explique que la majorité des personnes qui s’installent en Arabie sont mariées. Les données fournies par le ministère des Affaires étrangères confirment que la majorité de la main-d’œuvre libanaise expatriée est installée dans le royaume.
Chez Consulting and Investment Ressources, Nada Khayat el-Nachef parle d’une nouvelle expansion économique en Arabie saoudite qui a fait augmenter les salaires depuis 4 ans. Vu la hausse du salaire de base, le royaume constitue donc le premier client de plusieurs bureaux de recrutement libanais. Tel est le cas de la société Near East Consulting Group qui exerce depuis 1985 ce type d’activités, et de Career Trak dont 90 % des recrutés sont placés dans les pays du Golfe. Talonnant de très près le royaume saoudien, le Koweït offre également actuellement de multiples opportunités. Environ 70 % des personnes recrutées par Beirut Consult l’année passée se sont installées dans ce pays, selon son directeur Touma Khoury.
Troisième réserve de gaz naturel au monde, le Qatar est un pays qui attire les investissements, donc les étrangers. La majorité des clients de Business Services Office (BSO) sont des entreprises qatariennes. Nabil Sebaaly, directeur général, insiste sur la qualité de vie à Qatar «qui n’a rien à envier à celle de Dubaï». Mais la présence libanaise y est encore à ses débuts.
La concurrence asiatique
Comparés aux Européens et aux Américains, les Libanais sont souvent moins chers pour l’entreprise qui les embauche. C’est une des raisons pour lesquelles les pays du Golfe n’ont pas cessé de séduire la main-d’œuvre libanaise. Cette dernière est prisée pour les multiples qualités qui lui sont traditionnellement attribuées : flexibilité, ouverture d’esprit, niveau d’éducation, sens des affaires, compétences linguistiques et communicatives et capacité d’adaptation.
Les fonctions que les recruteurs cherchent généralement à remplir sont : directeurs de branches, ingénieurs informatiques avec compétences spécialisées, directeurs financiers, directeurs de ventes et vendeurs seniors. Le secteur où l’on retrouve une grande proportion de Libanais est celui des services, selon Nicolas Hage de Career Trak. Ils sont ainsi fortement présents dans l’assurance, les hôtels, les centres de loisirs et le secteur des ventes. Dans le domaine de la publicité et des médias, les Libanais exercent même une forme de monopole.
Toutefois, il ne faut pas se leurrer. Le Libanais n’est pas l’unique objet de convoitise. Égyptiens, Pakistanais et Indiens lui font concurrence. Moins chère et de plus en plus qualifiée, la main-d’œuvre asiatique constitue un immense potentiel humain pour les pays du Golfe. Peut-être pas pour les postes de cadres commerciaux et dirigeants. Mais les Libanais sont accusés par certains recruteurs d’être excessivement exigeants. En outre, certains cabinets avouent avoir du mal à trouver une main-d’œuvre suffisamment professionnelle et qualifiée dans le pays. Nicolas Hage, de Career Trak, confirme : sur 1 000 candidats qui se présentent pour un poste de responsabilité, le recruteur n’en retient que 25. Par ailleurs, les pays du Golfe recherchent des experts de la haute technologie et de l’industrie. Or, les professionnels dans ces domaines restent peu nombreux au Liban.
C’est pour cela d’ailleurs que les bureaux de recrutement mettent à la disposition des entreprises et des candidats des sites Web spécialisés qui deviennent de plus en plus nombreux (par exemple, careerlebanon.com).
Expérience difficilement
monnayable
Dans l’environnement du Golfe, un salarié libanais peut bien trouver sa place, mais les conditions de vie sont souvent dures, surtout pour le cadre moyen, ingénieur, technicien supérieur ou encore journaliste. Parlons-en de ces conditions. «On est loin de l’indolence méditerranéenne, reconnaît Kamal Frangi, avocat, ayant travaillé pour quelque temps en Arabie saoudite. C’est plutôt le travail intensif à l’américaine, avec horaires prolongés, peu de congés et une grande liberté accordée à l’employeur pour mettre fin au contrat de travail». En fait, seul ce contrat de travail est la base de la relation entre employeur et employé. Il définit toutes les conditions : horaires, congés, résiliation du contrat… Le Libanais se discipline, mais là ne s’arrête pas l’effort. La vie sur place est assez compliquée : logement difficile, surtout si la famille est de l’aventure, auquel cas s’ajoutent les frais de scolarité très élevés. De plus, la femme jouit de peu de liberté. Et l’alcool, là où il est interdit, se négocie cher au marché noir.
Sur le plan de la carrière, qu’apporte l’expérience de travail dans les pays du Golfe ? Cette expérience est difficilement monnayable, sauf pour ceux qui ont travaillé dans des entreprises internationales. C’est ce facteur qui peut constituer un plus dans un CV.
Sinon, la course d’obstacles risque d’être épuisante, ce qui pousse nombre d’expatriés revenus au pays à placer leurs économies, accumulées, dans une affaire personnelle avec tous les risques que cela comporte. Surtout que l’environnement des affaires est très différent entre un Golfe largement acquis aux normes anglo-saxonnes et un Liban encore chaotique.