Météorique son parcours. Tant étaient nombreuses les opportunités – et parfois les revanches –
à prendre. Il fait de FTML un pôle d’excellence à rayonnement humain.

Un look de manager new-yorkais au jogging matinal et au costume taillé sur mesure. Rodé dès sa sortie de l’enfance – qui n’avait rien de tendre – à se mesurer aux challenges de toutes natures, Salah Bouraad n’avait d’autres choix que celui de réussir. Jusqu’à en faire une règle de vie. Merveilleuse gageure, parce que sereine : les oubliés de la chance sont bien les favoris de la Providence.
Encore plus, quand ils érigent en lignes de conduite les valeurs spirituelles et humaines.
Élu récemment “manager de l’année” par les anciens du groupe HEC – Liban, Bouraad l’affirme devant ses pairs : «Sans la foi et l’ardeur de tous, le destin d’une entreprise est semblable à celui d’une planète éteinte. Aucune tâche ne se définit, ne s’accomplit dans la solitude des bureaux».
Et de fait, on a rarement vu un chef d’entreprise réussir à souder autour de lui, dans une ambiance professionnelle à l’extrême, une équipe non seulement dévouée mais aussi qui l’aime sincèrement.
Une étiquette de major de promotion qui lui colle à la peau, jusqu’à en agacer certains, cet esprit caustique – mais pas blasé – cultive un humour naturel, insoupçonné de celui qui ne le connaît pas.

L’Alpha-Halthère de Jamhour

Pour avoir été élevé dans l’affection de sa grand-mère paternelle loin d’un père parti travailler en Afrique et d’une mère interdite de visite par les absurdes lois du divorce de l’époque, il connaît le poids redoutable de la solitude – et son apport exceptionnel.
Il en a fallu du cran au petit frileux, débarquant de l’école de son village natal Bickfaya, pour se faire à l’ambiance policée de Notre-Dame de Jamhour. Travailleur acharné, il finit par vaincre sur tous les tableaux, faire plier même le bagarreur le plus costaud du collège… et mériter le surnom “d’Alpha-Halthère”, pour signifier premier de classe et en gymnastique.
Bosseur, il accumule bourses et diplômes : de génie civil de l’École supérieure d’ingénieurs de Beyrouth en 1974, du Centre de hautes études de la construction, CHEC – Paris en 1975, et décroche la mention très honorable lors de la soutenance de sa thèse de doctorat d’État en sciences physiques en 1979 sur les thèmes de la rupture des matériaux. Pas moins. Ses maîtres à Paris VI «soulignent ses qualités pour diriger des chercheurs». De fait, il découvre l’enseignement et s’y attache “pour cette nécessité de se renouveler qu’il implique”. Il est, parallèlement, consultant auprès du bureau VERITAS, spécialisé en contrôle technique, de 1978 à 1983. Ayant aujourd’hui à son actif une vingtaine d’années d’expérience académique tant au Liban qu’à l’étranger, il envisage de renouer l’année prochaine avec l’enseignement, simultanément à son travail.
Paris l’enchante. Il s’y ouvre aux choses et plaisirs de la vie. Faisant le joyeux luron, «on m’a subitement pris pour un émir. Alors que je passais mes week-ends à badigeonner des chambres de bonnes, achetées en économisant sur mes deux bourses, que je revendais. Je me constituais un petit pactole nous offrant à mes amis et moi une trépidante vie de nuit». Devenant familier des rendez-vous de dégustation de vin dans les régions françaises consacrées, il en a gardé le palais du grand connaisseur. Paris lui inculque aussi le goût de la lecture : livres scientifiques, historiques et de médecine. “Fasciné par le corps humain”, il lit toujours, en moyenne, un livre de médecine par mois.
De retour au Liban, il est nommé, par le président Amine Gemayel, vice-président du CDR, Conseil du développement et de la reconstruction, chargé de la planification, du financement et de l’exécution des grands projets. Il assure simultanément le rôle de conseiller du président, PDG de la Société de développement des télécommunications du Liban (SODETEL) et PDG de la Société de développement des télécommunications au Moyen-Orient (SODETEM). Il met ainsi sur pied au CDR la direction des programmes, recrutant plus de 30 spécialistes, supervise trois programmes d’investissement publics, lance une vingtaine de plans directeurs sectoriels, conclut des protocoles financiers, avec notamment l’Union européenne et l’agence américaine USAID de plus de 800 millions $. Mais avec la crise politique qui éclate vers la fin du mandat Gemayel, la livre libanaise bascule… coupant court à la réalisation de la plupart des projets. Le souvenir de deux “grands hommes” de l’époque lui reste en mémoire : Mohamed Atallah président du CDR et David Cookson consultant dépêché à Beyrouth par la puissante boîte Burger-Nathan et qui le propose au poste de “Dean of the College of Design and Planning” à l’université de Colorado-Denver, en 1985. Il est fait sous François Mitterrand, officier de l’Ordre national du mérite.

Les années Cellis

Il s’était, à l’occasion de son activité au CDR, lié d’amitié avec Michel Hirsh, devenu plus tard directeur international du groupe France Télécom, et Claude Loreau, président (toujours à ce poste) des Conseillers du commerce extérieur de la France pour le Moyen-Orient qui connaissait son intégrité pour avoir négocié avec lui le protocole français pour le Liban. La fréquence des cas, où l’on se faisait étriller à l’occasion d’un contrat, faisait dire à ce dernier : «C’est un pays qui mange ses enfants, il ne peut pas survivre». De retour à Paris, il rencontre Hirsh qui s’enquiert de sa carrière. «Le lendemain, je reçois à la maison un projet de contrat pour être conseiller du directeur de l’international au sein du groupe France Télécom». De son côté, Loreau le propose au poste de conseiller du commerce extérieur de la France. Édith Cresson, alors Premier ministre, signe le décret de sa nomination, reconduit déjà 3 fois.
Négociant avec le gouvernement libanais le contrat BOT (Build, Operate and Transfer) qui aboutit à la création de FTML, filiale du groupe France Télécom, il en est, depuis 1994, le PDG. En vertu de ce contrat, FTML est donc chargée de construire et d’exploiter un réseau de télécommunications cellulaires GSM sur tout le territoire libanais. Sous sa gestion, FTML contracte un emprunt de 100 millions $ auprès de la SFI, filiale de la Banque mondiale, et de 18 autres banques conduites par la Société Générale, investis dans l’extention du réseau. «Les ressources humaines constituent le principal actif d’une entreprise et le meilleur retour sur investissement». Ces “ambassadeurs” libanais sont désormais recherchés partout au monde. Ils ont permis à FTML de devenir un pôle d’excellence.
Et il s’agit de l’ancrer encore plus dans l’innovation. La dernière en date, le “mobile banking” totalement sécurisé. «Raison pour laquelle nous développons un produit depuis 9 mois avec la Société Générale, alors que nous aurions pu le faire en un mois». Également dans sa ligne de mire, le lancement du “mobile commerce”, fidèlement à la philosophie de la maison “Future is bright, future is orange”.
Mais Salah Bouraad ambitionne également un rayonnement social pour sa société. La protection de l’enfance est choisie comme axe de mécénat. Environ 700 000 $ y sont consacrés en 2000. Idem pour 2001. Il met toute son énergie à convaincre l’UNICEF de s’associer au projet qu’il rêve d’édifier : un centre de protection de l’enfance.
De ce parcours de vainqueur, il ne retient qu’un seul regret : avoir sous-estimé la complexité des relations extracontractuelles entre une entreprise privée qui a réussi et l’administration publique. En l’occurrence, s’il pouvait revenir en arrière, il ne prendrait pas l’initiative d’offrir à l’État le milliard 350 millions de dollars, mais attendrait de voir venir l’administration.
«J’estime que le temps présent est un moment important. Il ne faut pas toujours vivre en se projetant dans le futur». Raison pour laquelle il a opté pour une intense vie de famille. «Je me ressource avec mes enfants». Raison pour laquelle retrouvant, il y a 6 ans, une mère qui le chérit, il fait définitivement, à 44 ans, la paix avec son passé.
Ce bon vivant, passionné d’aquagym, qui a entrepris d’écrire un roman intitulé “Amour et justice”, n’abdique jamais : «Je pense que tout ce que j’ai fait, j’aurai pu mieux le faire».