Tous les Mouzannar ont la vocation de l’or. Pour preuve, ils en sont à leur sixième génération. Avec une multitude de cousins joailliers indépendants.
Retour deux siècles en arrière : la famille Saad, vivant sur la côte libanaise, était prise de la fièvre de l’or. Suite à la menace continuelle de l’empire ottoman, les Saad décidèrent de se déplacer vers Damas, où le climat semblait plus propice pour leur travail. Ne voulant pas prendre des risques lors de leurs déplacements, ils trouvèrent un moyen astucieux de transport : ils cachaient l’or dans la doublure de leurs ceintures et passaient sans problème. C’est alors que cette famille de “ceinturés” fut baptisée “Mouzannar”. En 1860, suite aux événements causant la fuite des chrétiens de Damas, les Mouzannar, ayant déjà établi une joaillerie en Syrie, durent de nouveau quitter pour s’installer au Liban.
«L’un des frères Mouzannar a préféré l’industrie de la soie, mais les autres n’ont pas échappé au virus de la joaillerie, ce qui fait que trois branches essentielles se sont formées : la descendance d’Élias, celle d’Antoun et finalement la branche d’Ibrahim», affirme Walid Mouzannar. Actuellement, le marché de la joaillerie comprend une dizaine de sociétés portant le nom Mouzannar.
«Au début, nous avons commencé, mon frère Aziz et moi, à travailler avec notre père et nos cousins. Ensuite, vers 1974, la pluralité des successeurs a provoqué la création de plusieurs sociétés distinctes. C’est alors que la société Aziz et Walid Mouzannar a vu le jour», précise Walid. En 1976, un local provisoire a été aménagé dans le quartier de Saint-Nicolas, en attendant – espéraient les Mouzannar – de retourner au Souk des Bijoutiers. Ensuite, ce fut Kaslik en 1981 et plus tard en 1989 Broummana.
Changement de statut
“Aziz et Walid Mouzannar” est actuellement une société en nom collectif (SNC). Mais les deux frères pensent déjà fixer les règles de succession pour faciliter la tâche à leur descendance. Ils envisagent de changer la forme légale de leur entreprise en SAL ou SARL. «Ainsi nos enfants respectifs recevront leurs actions en héritage et la société sera régie par un conseil d’administration». Ne voulant pas intervenir dans les plans de carrière de leurs enfants, les Mouzannar préfèrent leur donner le choix de vouloir “adhérer” ou “se retirer” de l’affaire familiale en vendant leurs actions. La seule condition est de donner la priorité, lors de la vente, à un membre de la famille.
Il s’agit aussi de tenir compte des aspirations de chaque enfant. Ainsi, les deux enfants de Walid exercent la profession de joailliers à temps partiel, étant l’un dans la musique et l’autre dans l’architecture d’intérieur. Quant aux trois enfants de Aziz, ils sont déjà “dans le bain” à plein-temps.
En attendant, avec une bonne entente entre les deux frères, les règles du jeu suivent un cadre de conduite interne basé sur les valeurs familiales et l’expérience quotidienne.
Mais qui décide quoi ? Le pouvoir semble être partagé naturellement, selon le caractère de chacun. Mais les décisions de création et les opérations de vente se font conjointement. D’ailleurs, avec la participation de la nouvelle génération, le département de la création s’est élargi et la mise en place de concepts et de modèles est imprégnée d’un sang nouveau. Pourtant, l’arrivée de la nouvelle génération ne s’est pas faite sans secousses, les conflits ont été nécessaires pour arriver à l’adaptation des jeunes aux modalités de gestion de la société.
Quant au sujet des employés, le problème est réglé : les Mouzannar sont assez nombreux dans l’entreprise pour avoir vraiment besoin de faire appel à des cadres extrafamiliaux. «Ceci a évité les problèmes de recrutement, de rémunération et de démotivation du personnel craignant de plafonner».
Concurrence familiale ?
Si tous les Mouzannar sont dans la joaillerie, alors existe-t-il une concurrence entre cousins ? «Paradoxalement non», répond Walid M. Chaque société est spécialisée dans une catégorie d’articles : bijoux anciens, articles modernes, ou encore une tendance spécifique de création. Aziz et Walid Mouzannar ont des créations propres à leur style et se spécialisent dans la rénovation du bijou phénicien. La seule confusion se rapporte au nom : «Souvent des clients se présentent chez nous, tout en étant convaincus qu’ils sont chez nos cousins, mais la situation est réglée une fois le prénom mentionné», observe, amusé, Walid M.
La politique de la maison est ouverte aux projets d’extension, mais dans les limites de la prudence. L’option de s’affilier à une société internationale ne s’est pas encore présentée, mais les deux frères ne s’opposent pas à ce qui pourrait assurer le développement du business. L’expansion concerne actuellement les marchés des pays arabes, notamment le Koweït, Abou Dhabi, Dubaï et Bahreïn où les stands de A. et W. Mouzannar sont présents dans les salons spécialisés ; ainsi que la prochaine inauguration de la boutique du centre-ville.
«Je crois que les institutions familiales ont perpétué leur réputation et qu’elles comportent des qualités et des conditions de confiance essentielles dans un secteur comme la joaillerie», conclut Walid Mouzannar.