La crise argentine a été suivie avec beaucoup d’attention par les Libanais, non en raison de son impact sur leurs investissements sur ce marché, mais par crainte d’un scénario identique dans notre pays. Est-ce justifié ?

Comme toujours, il y a les pessimistes et les optimistes. Les pessimistes estiment que les conséquences d’un effondrement au Liban seraient encore plus graves que celles observées en Argentine. Ils invoquent, pour ce, deux raisons principales. Tout d’abord l’onde de choc de la crise argentine touche un grand nombre de pays latino-américains et même au-delà, alors que les effets d’une crise libanaise seront circonscrits aux agents économiques nationaux. C’est pourquoi, la communauté internationale et ses institutions seront moins pressées de s’impliquer dans une éventuelle tourmente libanaise. La seconde raison d’inquiétude est liée à la faible dimension de l’économie libanaise, qui, contrairement à l’économie argentine, a moins de réserves pour faire face à un grave accès de faiblesse.
Cette vision catastrophique est fortement contestée par les proches de l’équipe gouvernementale qui estiment que les conditions diffèrent totalement entre l’Argentine et le Liban. Ce dernier dispose, disent-ils, de ressources multiples qui lui permettent de s’accommoder aux difficultés observées et d’éviter un effondrement. D’ailleurs, «la chute est annoncée depuis longtemps et l’économie tient toujours» et l’on observe même les prémices d’un retour de croissance – surtout si les mesures gouvernementales ne sont pas trop contestées par les uns et les autres.
Trois raisons majeures sont évoquées pour expliquer la crise argentine.
La première concerne une politique monétaire rigoureuse qui depuis plus de 10 ans maintenait la parité d’un dollar pour un peso, principalement décidée pour enrayer les tensions inflationnistes qui ont marqué l’Argentine dans les années 70 et 80. Cette politique a largement usé les réserves monétaires officielles au cours des quatre dernières années et a fait perdre au pays des avantages compétitifs par rapport à ses voisins, et plus particulièrement le Brésil.
Le second facteur de crise résulte du déséquilibre budgétaire et de la très forte dette qui en découle, notamment vis-à-vis de l’étranger – plus de 160 milliards $, soit près de 60 % du PIB. Cette dette a obligé la Banque centrale argentine à relever ses taux d’intérêt, rendant encore moins séduisants les éventuels investissements productifs.
Enfin, la troisième raison est à chercher dans l’incompétence de la gestion publique des affaires ainsi que la corruption et les gaspillages qui ont caractérisé l’Administration argentine et la classe politique du pays.
Similitudes et différences

La situation libanaise, dans certains de ses aspects, se rapproche de celle de l’Argentine à la veille de sa crise. Côté endettement, on constate que la dette de l’État a dépassé la barre des 180 % du PIB et les déficits budgétaires se creusent d’un exercice sur l’autre, en attendant les résultats de 2002. Certes, l’endettement argentin était essentiellement externe, alors que les engagements de l’État libanais sont à 80 % internes ; mais, en cas de maintien d’une parité fixe, y a-t-il vraiment de différence ? D’ailleurs, la volonté de défense de la livre a été reconfirmée par tous les dirigeants et responsables et a déjà coûté des milliards de dollars depuis près de 3 ans à la Banque du Liban dont les réserves externes ont dangereusement baissé.
Récemment, et pour mieux défendre la monnaie nationale et assurer un supplément de recettes à l’État, la BDL a relevé de deux points les intérêts servis sur les bons du Trésor. Cette hausse alourdit encore plus la facture et rend plus cher l’argent aux agents économiques libanais, déjà peu compétitifs en raison de structures de production relativement coûteuses par rapport aux pays voisins.
En ce qui concerne la gestion des affaires publiques, il suffit de se référer aux déclarations et accusations mutuelles des dirigeants politiques du pays pour constater que les timides tentatives de réhabilitation de cette Administration ont toutes échoué. Cette mauvaise gestion s’accompagne de gaspillages et de transferts inquiétants. Pour comble, les dirigeants au pouvoir estiment que l’opposition et certains analystes pessimistes compromettent les efforts de redressement entrepris par le gouvernement libanais en colportant des scénarios catastrophiques qui risquent de précipiter les choses.
Les optimistes refusent, eux, de ne retenir que ces similitudes et évoquent plusieurs différences fondamentales entre le Liban et l’Argentine. Tout d’abord, les flux monétaires sont inversés, puisque traditionnellement le Liban est récepteur de capitaux externes, alors que les Argentins placent leurs réserves hors du pays. Par ailleurs, il est vrai que l’économie libanaise n’a pas la même dimension que celle de l’Argentine, mais il ne faut pas la limiter seulement à ses dimensions géographiques et il faudrait tenir aussi compte d’une diaspora excessivement active et puissante. Enfin, il faut remarquer que l’endettement public libanais est financé en grande partie par les agents économiques internes, et notamment les banques, et que ceux-ci disposent toujours d’importantes réserves. Les dépôts bancaires en Argentine au moment de la crise ne représentaient plus que 21 % du PIB, alors que ce ratio frôle la barre de 250 % au Liban.
Aurions-nous une intifada avec casseroles à la manière argentine, en cas de crise ?
Il est peu probable que le Liban connaisse une valse de présidents comme celle observée en Argentine. Certes, il y aura des changements politiques, mais l’environnement régional ne permet pas des dérapages. Les agents du secteur privé s’accommodent avec les changements et les éventuelles pertes de capitaux ou de revenus, mais l’incertitude viendra du secteur public.