L’accord d’association avec l’Europe a du bon et du mauvais. Au rythme où vont les choses, on risque de n’en garder que les désavantages. Évaluation d’un acteur aux premières loges. Qui garde l’anonymat.
Le Liban et l’Union européenne ont signé le 17 juin dernier l’accord d’association qui sera mis en application aussitôt voté par les Parlements, alors que le volet commercial est immédiatement appliqué, grâce à des mesures intérimaires. Cet accord est extrêmement favorable au Liban, beaucoup plus que celui conclu avec les pays d’Afrique du Nord, par exemple. Pour favoriser sa mise en œuvre, plusieurs programmes sont en cours, dont un fonds de 80 millions d’euros, utilisables sur 4 ans. Une partie donc de ce montant, 12 millions d’euros, était disponible dès cette année. Mais il semble qu’elle ne sera pas utilisée. Elle avait pourtant l’avantage d’être très flexible pour s’adapter à des projets d’utilité immédiate. Il s’agissait d’abord de choisir les secteurs prioritaires : l’économie dans son ensemble, l’industrie, l’agriculture, les douanes… Les interlocuteurs désignés sont donc les ministères des Finances, de l’Économie, de l’Industrie, de l’Agriculture, plus les Chambres de commerce et d’industrie, l’Association des industriels, Libnor, IDAL…
Une vingtaine de projets ont été d’abord choisis, parmi lesquels :
• 4 ou 5 projets concernant l’économie générale.
• 1 projet de soutien à la mise en place d’une loi sur la concurrence.
• 1 projet de soutien à la mise en place d’une loi sur la défense du consommateur.
• 1 projet pour la création d’un institut d’études économiques, qui mettra au point une comptabilité nationale et l’étude des grands agrégats économiques (PNB, PIB…) par l’intermédiaire de l’INSEE français.
• 7 ou 8 projets pour le soutien à la normalisation et à la standardisation, afin que le Liban soit en mesure d’exporter des produits de qualité. Ceci se fera, entre autres, par la réorganisation de Libnor et la mise en place de laboratoires certifiés, comme l’IRI (Institut de recherches industrielles).
• 1 projet pour la création d’un centre national des exportations au port de Beyrouth qui concentrera les moyens de soutien aux PME. C’est le seul projet à être demandé par le secteur privé.
Pratiques concurrentielles
Au niveau du ministère de l’Économie, deux projets essentiels sont en cours d’élaboration :
- La loi sur la protection du consommateur.
- La loi sur la concurrence.
Le projet de loi sur la concurrence a été d’abord préparé par le PNUD, mais le ministère de l’Économie souhaite l’amender en profondeur en octroyant un rôle plus actif au secteur privé et aux consommateurs. Actuellement, le ministère se propose d’effectuer, à ce niveau, une étude en 3 étapes :
1) Une étude de la structure des secteurs concurrentiels, financée par l’UE et menée par des experts libanais et français.
2) Le lancement d’un débat public sur les conclusions de cette étude, géré par l’Université américaine de Beyrouth, qui aura lieu probablement en septembre.
3) La rédaction du projet de loi par une équipe locale et des experts européens.
Ceci dit, tant que les autorités libanaises n’auront pas voté une pareille loi, l’Union européenne ne pourra débloquer le fonds spécifique MEDA alloué comme soutien structurel. À une étape ultérieure, une autorité de la concurrence sera créée. Ce serait un organisme parapublic, géré conjointement par le ministère de l’Économie et le secteur privé. Cette autorité aura pour fonction de réglementer la concurrence et de promouvoir une prise de conscience publique sur les pratiques concurrentielles.
Dimensions politiciennes
En réalité, pour l’ensemble de l’aide européenne, des obstacles majeurs se sont présentés, qui risquent de freiner considérablement le processus :
• Les premiers contacts européens avec les interlocuteurs libanais désignés ont montré que tout est improvisé, que nos responsables ont l’air d’avoir été pris de cours et qu’ils n’ont pas pu finaliser des projets. Il est vrai que c’est encore la première année d’application du programme et qu’une meilleure coordination est toujours possible au cours des années suivantes.
• Les interlocuteurs du secteur privé refusent la collaboration avec le secteur public, n’ayant aucunement confiance ni dans son efficacité ni dans sa neutralité. Or, selon la logique européenne, un pays ne peut avoir une économie prospère sans dynamiser le rôle de l’État.
• À aucun endroit, on ne voit des interlocuteurs qui se soient dotés d’une stratégie globale pour la mise en œuvre de l’accord d’association ou qui se soient préparés à la nouvelle donne économique. Ceci est valable pour les responsables gouvernementaux et pour les instances du secteur privé.
• Il existe une crainte généralisée de l’information. Chaque ministère craint de dévoiler ses plans d’action, qui susciteraient des ambitions et des convoitises auprès d’autres parties. Même à l’intérieur de chaque ministère, on trouve peu de coordination. Par exemple, le ministère des Finances est composé de trois grands secteurs – la TVA, le budget et les douanes – , 3 fiefs qui communiquent peu entre eux. Et il n’existe pas de plate-forme qui permette l’harmonisation du travail. Il n’y a que des mœurs, des coutumes et des pratiques. De même, au ministère de l’Industrie, il y a peu de moyens pour préparer et finaliser des projets, tout simplement parce que les fonctionnaires du ministère n’ont pas les compétences exigées. On y trouve quelques chercheurs bien formés face à une masse de fonctionnaires peu efficaces, sans plan d’action.
En rangs dispersés
Les Libanais vont donc à la bataille en rangs dispersés et ne sont pas prêts à travailler en concertation. Dans ce cas, le Liban risque bien d’être envahi par les produits européens, sans pouvoir bénéficier des avantages de l’accord.
Ces blocages risquent-ils de freiner l’accord ? L’Union européenne a, en tout cas, beaucoup d’argent à proposer. Cet argent n’a pu être bien utilisé jusqu’à maintenant. Un atelier de travail sera organisé en septembre, en présence des administrations concernées, du secteur privé et des médias. Il aura pour objectif de mobiliser les responsables concernés et débattra sur :
• La coopération avec l’UE comme une opportunité bénéfique.
• Les secteurs privilégiés et les stratégies à appliquer.
• La souplesse du programme.
Un rapport sur les difficultés rencontrées et une étude sur l’ensemble de l’économie libanaise seront présentés par la suite. Mais la méthode de travail étatique devra être radicalement changée si on veut profiter pleinement des avantages de l’accord d’association…