Le Liban est encore mal connu des Italiens et incontestablement mal exploré. Le comment, le pourquoi
et le quoi faire pour y remédier, par quelques acteurs du rapprochement.
Selon Maurizio Ragnini, directeur du bureau libanais de l’ICE, la délégation commerciale italienne, «l’entrée en vigueur de l’accord Euromed et l’ouverture des marchés qu’il prévoit ne vont que renforcer la présence italienne au Liban. Le signal le plus évident est que, depuis un mois, la fédération des consortiums italiens, la fédération des industriels italiens de la région de Toscane et des représentants des fabricants italiens de meubles ont rencontré les professionnels libanais dans plusieurs secteurs». Et d’ajouter : «Aujourd’hui, l’Italie est très bien établie sur le plan commercial, à travers des agents. Ce qui manque c’est l’intégration des marchés, notamment industrielle et productive. Euromed est un coup de pouce pour rapprocher l’industrie libanaise du niveau européen. L’Italie ne pouvant être présente à tous les niveaux, nous avons décidé de nous spécialiser dans les petites et moyennes entreprises et de développer les secteurs de l’agro-industrie, de l’agroalimentaire, de l’emballage». Maurizio Ragnini fait remarquer que les deux systèmes commerciaux sont assez similaires. Comme le tissu industriel et commercial libanais, l’italien est composé en majorité de PME. Cette stratégie devrait faciliter l’intégration des marchés. Un exemple récent : un partenariat est né entre l’italien Floreca et une société du groupe Hariri (dirigée par un neveu du Premier ministre) pour produire des fleurs au Liban.
Des accords portant sur la promotion des investissements et sur la suppression de la double imposition avaient été déjà signés en 1997 et 2000, respectivement. Le premier traité est entré en vigueur en février 2000 et le second est en cours. Entre-temps, des cas types de partenariat ont été créés, dont on tire deux exemples.
Le cas Snaidero ME
Le joint-venture Snaidero Middle East est né en 1996 d’un accord entre Snaidero et Indevco. Snaidero est le premier producteur italien de cuisines. Né en 1946, il a racheté successivement l’allemand Rational, le français Arthur Bonnet et l’autrichien Regina. Il compte aujourd’hui près de 2 000 salariés dans le monde, 2 500 points de ventes dans près de 50 pays et 9 usines de production.
Indevco, actionnaire majoritaire, appartient à la famille Frem, et se place actuellement parmi les premiers groupes industriels du pays, avec d’importantes ramifications à l’étranger.
Le joint-venture fabrique et vend une quinzaine de modèles d’une ligne libanaise de cuisines, Medline, sur le marché local et régional. Mais commercialise aussi la ligne Snaidero, produite en Italie.
C’est le partenaire italien qui a pris en charge les machines et leurs installations à l’usine de Zouk. La main-d’œuvre locale, technique et commerciale, suit une formation ou un perfectionnement en Italie. «C’est un réel transfert de savoir-faire. Car les ouvriers apprennent à fabriquer des cuisines au Liban selon les normes européennes», souligne Marco Mattiussi, directeur général de Snaidero ME.
Pour lui, «il est intéressant d’investir au Liban, car la main-d’œuvre a un niveau de qualification équivalent à celui de l’Europe, tout en étant moins chère. Les coûts de production sont entre 30 et 40 % moins élevés qu’en Europe, sans compter une fiscalité plus intéressante pour les entreprises». Mais Mattiussi donne deux conseils à ceux qui veulent en faire autant : choisir un bon partenaire local et surtout avoir une vision à long terme.
Au Liban, Snaidero ME emploie près de 30 personnes et vend entre 500 et 600 cuisines par an. Le prix d’une cuisine produite en Italie, transport et douanes compris, varie de 7 000 à 60 000 $, alors qu’il faut compter entre 1 500 et 9 000 $ pour une cuisine Medline, produite localement. Ce qui couvre en gros l’ensemble des besoins et des niches de marché. Résultat : «Snaidero ME est actuellement très présent sur le segment des particuliers et des projets immobiliers. Par exemple, nous équipons certains immeubles haut de gamme situés au centre-ville. Cette activité prend une part de plus en plus importante du chiffre d’affaires», ajoute-t-il.
Au Liban, la production locale représente 60 % du chiffre d’affaires du joint-venture, alors que, pour le marché régional, c’est la marque Snaidero qui totalise près de 80 % des ventes. «Cela s’explique par le fait que nous sommes encore à la première étape du développement de l’export des produits Medline. Il faut encore quelques adaptations techniques, comme produire des cuisines désassemblées, pour faire des économies sur le transport», explique Marco Mattiussi.
Après s’être concentré sur le marché libanais, Snaidero ME développe donc le marché de l’export. Pour le moment, la moitié de son chiffre d’affaires total se fait au Liban. L’objectif est d’atteindre 80 % à l’export. «Notre croissance sur le marché libanais est plus ou moins stable depuis deux ans, alors que sur le marché régional, elle est très importante», confirme M. Mattiussi. Le groupe est déjà présent à travers des distributeurs partenaires dans sept pays : Égypte, Chypre, Koweït, Arabie saoudite, Bahreïn, Qatar et EAU. Pour 2003, la stratégie de Snaidero est de consolider sa présence dans ces pays avant de s’attaquer à de nouveaux marchés.
Le Liban reste quand même le centre régional de Snaidero. Tous les projets d’expansion hors frontières se font à partir d’ici : «C’est toujours à Zouk Mosbeh que le personnel est embauché et formé pour le marché arabe».
Le cas Olive Tanaïl Property
L’histoire remonte à une dizaine d’années. Les deux frères Sami et Ramzi Ghosn avaient démarré, à partir de leur domaine de Tanaïl, une production d’arak, de miel et de vin (Massaya). En 2001, les frères Ghosn s’attaquent à un nouveau marché, celui de l’huile d’olive, par un mariage de raison avec Monini Spa. Il a fallu investir environ un million de dollars dans la société commune : Olive Tanaïl Property SAL (OTP). Le tiers a été apporté par Monini Spa, le numéro un italien de la production d’huile d’olive extravierge, et les deux tiers par Massaya Holding, propriété de la famille Ghosn associée à d’autres investisseurs arabes.
Cette opération permet à OTP de disposer de services techniques et de laboratoires d’analyses performants. Quant à Monini Spa, elle a acquis une porte d’entrée de choix vers le marché libanais évalué à 22 millions $ en 2000, sans avoir à imposer au consommateur local des produits fabriqués en Italie.
Si les dirigeants de Tanaïl Property affirment avoir produit, en 2001, près de 80 000 litres d’huile d’olive extravierge de la marque Nay, ils visent les 250 000 litres de production à terme. Ramzi Ghosn, directeur général d’OTP, évoque aussi la possibilité de fabriquer localement toute la gamme d’huile d’olive produite actuellement par son partenaire italien, avec l’ambition d’exporter vers les pays arabes, mais également vers l’Amérique du Nord, marché jugé prometteur.
Le positionnement choisi par OTP pour imposer sa marque Nay a été d’abord celui du haut de gamme. L’huile provient d’olives produites au Liban exclusivement. Ces olives sont, de l’avis de Ramzi Ghosn, «de bonne qualité à un prix acceptable, surtout grâce aux efforts réalisés par les cultivateurs depuis quelques années». Propos confirmés par Stefano Chiampo, directeur financier de Monini Spa : «Le Liban produit de l’huile d’olive de qualité et en quantité suffisante pour ravitailler le marché local». Et bien sûr pour viser d’autres marchés voisins ou lointains