Avec quelque 10 300 praticiens dans le pays, on compte donc qu’un médecin doit être nourri par 350 individus, une moyenne étonnante. Décourageant pour les futurs guérisseurs ?
On le sait, les études de médecine ne sont pas une sinécure : bac + 7 et jusqu’à bac + 15. Trop de temps, d’argent dépensé et de manque à gagner... Le tout dans une ambiance studieuse, rythmée par des sélections drastiques et des internats éprouvants. Pourtant, la profession continue d’attirer des aspirants Hippocrate en grand nombre. Pour un marché dit-on saturé.
Le problème de l’emploi dans la médecine au Liban se situe à plusieurs niveaux : trop de jeunes diplômés débarquent annuellement sur la place, le système de santé est encore mal organisé, les spécialisations d’avenir sont peu demandées. Et enfin, la répartition géographique est déséquilibrée. «Plus de 75 % des médecins sont concentrés dans Beyrouth et le Mont-Liban, indique Mahmoud Choucair, président de l’Ordre des médecins de Beyrouth. Dans la capitale, le ratio frôle 1 médecin pour 140 personnes, ce qui est énorme, le ratio idéal étant de 1 pour 500».
Risque de dérapage
Le surplus de professionnels trouverait essentiellement sa source dans le système universitaire. «Jusqu’à récemment, seules l’AUB et l’USJ délivraient des diplômes de médecine, poursuit Mahmoud Choucair. Aujourd’hui, l’UL, Balamand et l’Université arabe le font aussi, et Kaslik a démarré une formation il y a un mois. De plus, la LAU devrait bientôt s’y mettre. Cela fera sept universités, alors qu’avec les quatre qui ont déjà un programme complet, nous avons 250 nouveaux diplômés qui arrivent chaque année. Auxquels s’ajoutent autant d’étudiants diplômés à l’étranger qui reviennent au Liban. C’est beaucoup trop. Le marché peut en absorber à peine la moitié de ce contingent. Par ailleurs, dans ces conditions, il est difficile de maintenir un niveau de qualité pour les études ; et il y a un risque à terme de tomber sur des diplômés qui ne soient pas qualifiés».
D’autre part, les exigences légales permettant la pratique de ce métier au Liban ne semblent pas suffisamment respectées. «Beaucoup de lois régentent la pratique médicale au Liban, explique le Dr Choucair, mais elles ne sont pas toujours appliquées avec la rigueur nécessaire. Il faut d’abord détenir un doctorat en médecine validé par le ministère de l’Enseignement supérieur. Puis passer un examen “colloquium”. Une fois enregistré à l’Ordre, le diplômé doit obtenir du ministère de la Santé la permission de pratiquer, en tant que généraliste ou spécialiste. Mais la sélection n’est pas assez stricte, en particulier pour les diplômés étrangers, et le “colloquium” n’est pas assez sévère. Des quotas doivent être fixés au niveau du nombre maximal admis chaque année».
L’équilibre, c’est la santé
Avec 69 % de spécialistes et 31 % de généralistes, on serait en droit de penser qu’un équilibre sain s’est instauré entre les diverses spécialisations. Or, là encore, ce n’est pas le cas. «Il faut créer de nouveaux programmes pour attirer les médecins vers les soins généralistes, la médecine de famille en particulier, explique Choucair. Nous y travaillons en collaboration avec le ministère de la Santé, les universités et l’OMS. Le Liban est en deuxième ou troisième position mondiale pour les dépenses médicales relatives par foyer avec 12,5 % du revenu, alors qu’il n’est évalué qu’en 92e position mondiale pour la qualité du système de santé. La dépense est trop importante pour le résultat».
Cela ne veut pas dire que les médecins ne sont pas bons, mais le Liban dispose de trop de chirurgiens, de pédiatres, d’obstétriciens, etc. Alors qu’il existe une pénurie dans d’autres spécialisations plus récentes. «Nous manquons de spécialistes en médecine préventive, en néonatologie, en médecine d’urgence, ou encore en médecine génétique alors que nous avons de gros problèmes de consanguinité avec les mariages interfamiliaux, précise Choucair. Nous menons à cet effet une campagne d’information et peu à peu les étudiants réalisent que l’avenir de la médecine est là».
Évidemment, avec tous ces aléas, un diplôme de médecin n’est plus une garantie de réussite financière. Selon le ministère de la Santé, seuls 18 % de la facture médicale nationale correspondent aux honoraires du médecin. Ce qui nous donne environ 27 000 $ par médecin et par an, mais avec des disparités considérables entre les praticiens. «Le coût des actes hospitaliers est irrationnel, s’indigne Choucair. Nous avons pu fixer des plafonds pour la chirurgie et nous cherchons à faire de même dans d’autres secteurs. Mais le revenu du médecin reste mineur dans ces dépenses».
Bien entendu, certains praticiens renommés tirent leur épingle du jeu. Cependant, «de nombreux médecins n’arrivent pas à avoir une activité régulière, regrette Choucair. La profession est libérale, d’où la nécessité d’investir encore en fin d’études dans une clinique, alors que les revenus ne sont ni réguliers ni homogènes. L’Ordre ne peut que fixer un palier minimum de 20 000 LL pour une consultation de généraliste et de 30 000 LL pour un spécialiste. Dans certains dispensaires, les médecins ne font que quelques centaines de dollars par mois !».
Tout nouveau diplômé devra donc garder en tête qu’une fois son doctorat en poche, il aura encore beaucoup à faire. «Je conseille aux jeunes de se distinguer en se tenant toujours informés des nouveautés, conclut le Dr Choucair. Il leur faudra être patients, des années durant, avant de bien gagner leur vie. Enfin, il vaut mieux être engagé dans des sociétés scientifiques et dans de bons hôpitaux».