Non, le meuble libanais n’est pas condamné. C’est même une industrie qui peut rallier des professionnels, des créateurs et des bailleurs de fonds pour en faire un fleuron. Mais comme toujours, il ne suffit pas de toucher du bois…
L’industrie du meuble est classée parmi les activités les plus prometteuses de l’industrie libanaise par les différents “projectionnistes” spécialisés. Cet optimisme est lié aux caractéristiques mêmes de cette activité : difficile à automatiser, intégrant des coûts de transport jugés élevés et exigeant un savoir-faire relativement bien maîtrisé par les fabricants et artisans libanais du meuble.
Ces avantages sont peut être vrais pour justifier ces projections optimistes, mais ils sont loin d’être suffisants, car d’autres éléments sont exigibles pour amener la réussite du secteur. Tout d’abord, il convient de relever que, malgré la difficulté de son automatisation, cette activité reste exigeante en capital, en raison de son mode de distribution basé sur des espaces d’exposition coûteux et des méthodes de promotion onéreuses comparées au chiffre d’affaires espéré. La main-d’œuvre constitue, elle aussi, un élément de coût important. Sur ce chapitre, le Liban n’offre pas d’avantages comparatifs, sauf si l’on se base sur la main-d’œuvre étrangère régionale ou asiatique, notamment pour les tâches non spécialisées.
En ce qui concerne les coûts de transport, on relève que les charges du fret ne sont plus prohibitives, même pour les produits importés d’Extrême-Orient. Surtout que les technologies modernes permettent la production en kit, qu’il suffit de rassembler dans les pays d’accueil. Cette technologie, qui induit d’importantes économies sur les coûts de transport, s’applique parfaitement aux meubles de bas et de moyen de gamme et pour certains types de meubles, notamment les meubles de bureau et les meubles de cuisine. Pour ces produits, la production en grandes séries est dominante, ce qui permet des économies d’échelle difficiles à concurrencer par l’industrie nationale du meuble.
La concurrence régionale, notamment celle en provenance de Syrie, constitue, elle aussi, une menace aux ébénistes libanais et plus particulièrement pour les produits bas de gamme. D’ores et déjà, les meubles “made in Syria” sont introduits sur le marché libanais, notamment au Liban-Nord et dans la Békaa. Les stylistes libanais n’hésitent pas non plus à aller produire en Syrie des produits bien spécifiques, tels que les meubles fortement incrustés ou nacrés. Cette sous-traitance est d’autant plus justifiée que les artisans syriens du bois sont très présents dans l’industrie du meuble libanais.
Reste deux éléments industriels majeurs assurant aux producteurs libanais un avantage comparatif par rapport aux ébénistes voisins : la création et la promotion-distribution.
La haute couture du meuble
Les créateurs du meuble libanais sont peut-être plus discrets – médiatiquement – que leurs confrères de l’habillement, mais ne sont pas pour autant moins actifs. Diplômés des universités et des écoles d’architecture et de décoration nationales et étrangères, les créateurs du meuble n’hésitent plus à dessiner leurs propres modèles et ne se contentent plus de reproduire des copies de meubles glanés dans les revues spécialisées étrangères. Généralement, ces créateurs disposent de leur propre galerie de ventes et souvent de leurs ateliers de production. Le caractère familial de ces activités est certes dominant, mais on assiste de plus en plus à la création d’ateliers collectifs.
L’industrie nationale du meuble ne se limite plus aux éléments de base de la branche (salon, salle à manger, chambre à coucher), et les créations touchent de plus en plus les accessoires et les meubles d’appui. Aux côtés du bois et des tissus, d’autres matériaux sont introduits, notamment le plastic, le verre, l’aluminium et autres matières nouvelles de la pétrochimie.
Ces nouvelles transformations conservent pour le moment un caractère individuel ou informel. Mais elles ont tendance à se structurer et à soutenir une activité professionnelle de plus en plus marquée, exigeant ressources financières, organisationnelles et humaines intenses. En plus des galeries, qui se multiplient et rivalisent en taille et en choix, on assiste à l’introduction massive des techniques de marketing avec la multiplication des catalogues et autres brochures de haute qualité, des campagnes d’affichage, des spots télévisés, des campagnes de presse… Des revues spécialisées dans l’architecture d’intérieur et le meuble ont même vu le jour au cours des dix dernières années au Liban et des expositions spécialisées de meubles sont régulièrement organisées et regroupent de nouvelles griffes de créateurs libanais.
Cette tendance est appelée à se développer et les industriels du meuble doivent s’y adapter. Les programmes de soutien aux activités industrielles développés par le gouvernement avec l’appui de l’Union européenne accordent une attention particulière à l’industrie du meuble et à sa modernisation technique. Mais les aspects commerciaux exigent des investissements encore plus importants. Les capitaux arabes et les assistances techniques européennes n’appuient pas encore intensivement ce secteur, mais des investissements peuvent être mobilisés comme cela était le cas avant 1975.
La présence active des décorateurs et architectes libanais dans les pays du Golfe et la dynamique des importateurs nationaux de meubles européens contribueraient probablement au développement de ces investissements croisés. D’ores et déjà, on constate dans la majorité des galeries une cohabitation entre les meubles “made in Lebanon” et les produits importés. Les gammes sont mélangées et complétées réciproquement. Cette cohabitation ne manquera pas d’aboutir à des collaborations plus structurelles entre les producteurs nationaux et les partenaires étrangers, surtout si l’environnement des affaires s’y prête. La hausse de l’euro et la baisse relative des coûts de production au Liban, combinées aux efforts déployés par les producteurs libanais des meubles pour exporter, sont autant de facteurs qui poussent à des repositionnements stratégiques.