L’artisanat libanais semble avoir trouvé son public dans les quartiers chics de la capitale française. Là où les Libanais – et leurs amis français – résident en majorité. Un business prospère se profile donc à l’horizon, bien qu’il soit encore… artisanal.
ÀParis, la culture libanaise dans son
acception la plus large s’exporte plutôt
bien. Depuis longtemps déjà. Outre la
myriade de restaurants et leur art culinaire,
la capitale compte de nombreux salons de
thé, d’épiceries et même un office du tourisme
libanais, non loin de l’Élysée. Un nouveau
secteur d’activité vient néanmoins
d’apparaître depuis quelques années.
Encore relativement confidentiel, le marché
de l’artisanat libanais et moyen-oriental s’y
développe grâce à quelques boutiques spécialisées,
davantage complémentaires que
concurrentes. Petit tour d’atelier.
L’ARTISAN DU LIBAN
Ouverte en décembre 1999, la boutique parisienne
de L’Artisan du Liban est une succursale
de la société de même nom créée en
1979 à Beyrouth sous l’impulsion du
Mouvement social libanais. «Lors de l’exposition
“Liban, l’autre rive” organisée en 1999
par l’Institut du monde arabe, nos objets proposés
à la vente ont rencontré un franc succès.
À partir de là, nous avons décidé d’ouvrir
ici une boutique», se souvient Tina
Habillat, gérante de l’enseigne parisienne.
Située 30, rue de Varenne, dans le très chic
7e arrondissement, L’Artisan du Liban propose
sur près de 55 m2 de nombreux objets
“exotiques” issus des différents métiers
d’art : le cuivre, le verre soufflé, le bois marqueté,
le tissage ou la broderie…. «Le catalogue
de produits est le même que celui que
nous proposons à Beyrouth. Les meilleures
ventes ici sont globalement les vêtements et
le verre soufflé», poursuit Habillat.
Il est donc possible d’acheter quelques
savons de Tripoli, des jeux de trictrac en bois
variés, des sacs de velours et autres bijoux
confectionnés à la main. À plus 50 % par
rapport au prix de vente appliqué à Beyrouth.
Ceci est dû au transport par avion, à la TVA
de 20 % en France, aux salaires des
employés (deux temps partiels et un temps
plein) et aux frais divers : «Nous n’avons pas
le choix. C’est plus cher, même s’il ne nous
est pas demandé de faire
de bénéfices».
Mais les clients, plutôt
Français, répondent présents.
Lors de l’ouverture,
les gens du quartier ont été
les premiers à découvrir la
boutique, dotée d’une petite
vitrine un peu désuète
ouvrant sur un intérieur
agencé avec charme et
goût. Aujourd’hui, des
habitués ou des curieux
viennent régulièrement, de
la rive gauche ou d’ailleurs,
sans toujours connaître les
motivations sociales de L’Artisan du Liban :
«Les gens viennent acheter nos produits
parce qu’ils sont beaux, ils ne doivent pas se
sentir obligés. Nous ne mettons pas immédiatement
en avant la fonction sociale de la
boutique», précise Tina Habillat.
L’Artisan du Liban complète néanmoins
son activité par la distribution de ses produits
à des commerces spécialisés, installés
en province ou à Paris. «Nous sommes
présents chaque année au “Salon Maison
et Objet” de Paris. C’est là que nous rencontrons
nos clients professionnels, qui
représentent la moitié de notre chiffre d’affaires
», souligne Habillat, sans préciser le
montant exact du chiffre d’affaires, avouant
seulement atteindre l’équilibre cette année.
LA LIWAN
Quelques feux rouges plus loin, au coeur du
quartier de Saint-Germain-des-Prés,
Sur le Web
Paradoxe ou réussite des temps
modernes, le savoir-faire de ces pionniers
libano-parisiens est disponible sur la toile
mondiale. Sur www.alyad.com, le site de
L’Artisan du Liban, une large gamme de
produits sont proposés à la vente. On peut
également trouver des renseignements
concernant l’historique et la politique de
L’Artisan du Liban. Récemment ouvert, le
site est encore en cours de construction.
Tout comme le site www.el-badia.com,
qui présente néanmoins l’ensemble des
références de la boutique. «Je ne fais pas
la vente par Internet, car c’est un peu
trop compliqué à organiser», raconte
Hélou, de la boutique El-Badia. Un
contact par e-mail est néanmoins possible
pour effectuer une commande par
correspondance.
Depuis plus de 10 ans, trois
femmes associées proposent
«une version épurée et
modernisée des formes et
des matières traditionnelles
de l’Orient méditerranéen ».
Une façon raffinée de dire
que Liwan est devenue,
effectivement, une marque
artistique, connue et reconnue,
de Paris à Palm Beach,
en passant par Londres.
Chaque produit est dûment
estampillé Liwan. Du verre
soufflé au coussin de soie,
des babouches à la abaya,
des parures de lit aux cuivres et poteries. «On
est dans l’essentiel. Dans le moderne et l’authentique.
Et cela plaît. Depuis maintenant 5
ans, nous avons une clientèle fidèle et solide
», souligne Dina Haïdar. De nombreuses
personnalités se croisent au 8, rue Saint-
Sulpice, l’adresse de Liwan, dont notamment
Catherine Deneuve qui, semble-t-il, aime y
passer l’après-midi.
Référencé dans les meilleures pages de
Elle, Elle Décoration, Le Figaro Madame ou
encore Paris-Match, Liwan représente un
chiffre d’affaires annuel de 430 000 euros.
Avec 20 % de ce chiffre d’affaires réalisé
par la distribution dans d’autres boutiques,
aussi bien en France qu’à l’étranger.
L’extension de cette distribution est à l’étude,
tout comme l’ouverture d’un second
espace, d’ici à deux ans.
EL-BADIA
Un peu en marge par rapport aux deux
précédentes enseignes, El-Badia fait bien
partie de l’artisanat libano-parisien. En
sortant de la station de métro “Commerce”
dans le 15e arrondissement, on ne peut
pas rater sa vitrine. Les vives couleurs,
façon imitation céramique, rendent fades
ses deux voisins : un agent immobilier et
un salon de coiffure, il faut dire.
Depuis 6 mois, El-Badia est devenue la spécialiste
du narguilé à Paris. Plus fournie même
que ses équivalentes à Beyrouth. Pas moins
de 50 modèles sont proposés dans cette toute
petite boutique tenue en famille. «On a choisi
le 15e, car nous voulions un endroit passant et
facile d’accès», explique Badri Hélou, qui tient
la boutique gérée par sa mère. «Pendant 10
ans, nous tenions un snack-restaurant libanais
qui marchait très fort. Nous proposions
également à la vente quelques narguilés. Et ils
se vendaient si bien, que nous avons donc
décidé de nous lancer dans ce commerce».
L’idée est bien sûr astucieuse. Depuis
quelques années, les cafés “chichas” sont à la
mode à Paris, principalement dans le 5e arrondissement,
près de l’Institut du monde arabe.
Hélou précise avec une pointe de fierté que
nombre d’épiceries de Paris vendent des narguilés,
«mais elles n’ont pas la diversité de
mon offre». Son offre, il assure l’acheter directement
à l’artisan, au Liban, en Syrie ou en
Irak. Sur les étagères, les tables de narguilés
côtoient le charbon Abou Alabed, les trictracs
de toutes les tailles et le savon d’Alep.
Avec son catalogue de narguilés, Hélou se
dégage une marge brute relativement confortable,
de l’ordre de 300 %. Mais les frais sont
également considérables. «Nous avons tous
les prix, de 40 à 130 euros. On arrive à vendre,
en moyenne, un narguilé par jour. Il y a des
jours où l’on ne vend rien mais, dans l’ensemble,
c’est un bon début». Le panier moyen
du client s’articule autour de 50 euros, narguilé
et accessoires compris. Pour le tabac, au
miel ou à la pomme étant les préférés des
Français, la maison conseille les quelques
boutiques à Paris où l’on peut s’en procurer.
«Je n’ai pas le droit de vendre du tabac»,
concède-t-il simplement.
Sans avoir la certitude que le
marché du narguilé soit porteur,
El-Badia reste confiant, et ambitionne
de pouvoir s’agrandir un
jour. Mais ce marché au final,
peut-il s’inscrire dans du long
terme ? Est-il voué à se démocratiser
en France autant qu’au
Moyen-Orient ? Rien n’est moins
sûr, vu les effets de mode.
Par contre, pour le reste de l’artisanat
libanais, les Français semblent
y vouer un réel intérêt. Et le
business est loin d’avoir atteint
son seuil de saturation. C
changement radical d’esprit avec la boutique
Liwan. La très belle vitrine accroche
le regard ; et sur la porte d’entrée est collée
l’affiche du dernier film de Ghassan
Salhab, “Terra Incognita”, adulé par les critiques
français lors de sa sortie.
«Liwan, ce n’est pas de l’artisanat à
proprement parler. Chaque produit est
une création de la designer Lina Audi,
une création réalisée par des artisans
libanais avec qui elle travaille depuis
des années», explique Dina Haïdar,
fondatrice et responsable de l’enseigne.
Au-delà du lien commun de l’artisanat,
difficile donc de comparer Liwan et
L’Artisan du Liban quand l’un fait du
business traditionnel et l’autre du commerce
socio-humanitaire.
La boutique de l’Institut
Impossible de parler de l’artisanat libanais
à Paris, sans évoquer la boutique de
l’Institut du monde arabe. Ce haut lieu
de la culture arabe propose depuis 1996
un espace dédié aux artisanats du
Maghreb, de la vallée du Nil, de la péninsule
arabique et du Moyen-Orient, y
compris du Liban. Badreddine Arodaky,
directeur commercial, se fournit luimême
auprès des artisans : «Plusieurs fois
par an, je fais un voyage au Moyen-
Orient et je négocie moi-même directement
avec l’artisan. Je paie le juste prix et
je fais venir les produits à Paris». Résultat :
800 000 euros par an d’investis dans les
achats. «C’est une action à la fois culturelle
et commerciale. Je fais vivre les artisans
et cela contribue à la politique culturelle
de l’Institut». Dans les travées de la
boutique, on retrouve d’ailleurs les produits
de L’Artisan du Liban, fournisseur
de l’Institut pour l’artisanat libanais.
L’ensemble de l’espace, qui comprend
également une partie réservée à la librairie,
réalise un chiffre d’affaires annuel de
3,5 millions d’euros. Près d’un tiers de ce
chiffre d’affaires est à mettre sur le compte
des produits artisanaux. Une réussite.