Une compensation commerciale peut être tout simplement un troc – qui n’est pas toujours d’ailleurs si simple. En tout cas, le troc n’est qu’une des multiples formes de faire du commerce autrement. Un univers qui gagne à être exploré par l’État et les entreprises.

Les échanges compensés se sont imposés
comme un instrument incontournable
du commerce international. Ces
opérations ont démontré, outre leur efficacité
dans des situations inextricables, une
aptitude à constituer un atout commercial et
un facteur de développement économique.
Selon la définition généralement retenue, la
compensation est «une opération commerciale
par laquelle le vendeur prend l’engagement
de réaliser dans le pays de son client
des achats, des transferts, des services ou
toutes autres opérations, en échange d’une
vente qui n’est obtenue qu’à cette condition
». Une définition assez vaste pour englober
une quantité de pratiques, dont certaines
sont plutôt “traditionnelles”, alors que
d’autres tentent d’innover en la matière.
COMPENSATIONS TRADITIONNELLES
Ces formes de compensation cherchent à
financer des opérations commerciales qui,
autrement, seraient inenvisageables, car
les pays concernés sont en manque de
devises ou ont difficilement accès au crédit.
Dans cette catégorie “traditionnelle”,
on dénombre principalement six formes
de compensation :
1) Le troc. Apparemment c’est simple : il
s’agit d’un contrat qui n’implique pas,
comme son titre l’indique, de transfert de
devises. Mais, comme il est rare de trouver
deux parties désireuses d’effectuer
des échanges simultanés ou quasi simultanés
de marchandises de valeur équivalente,
l’opération prend des dimensions
plus complexes. Et met en présence plusieurs
parties :
• Un exportateur.
• Un importateur.
• Un négociant auquel l’exportateur revend
les produits de contrepartie dont il n’a
pas besoin.
• Un “tiers acheteur” qui prend livraison
des produits de compensation, en
contrepartie d’une rémunération.
• Un “tiers vendeur”, entreprise dont
émanent les produits de compensation.
2) Le contre-achat. Dans ce type de
compensation, le vendeur s’engage à
racheter des produits pour un montant
correspondant à un pourcentage convenu du
contrat de vente principal.
3) Les compensations anticipées. La
compensation anticipée ou “linkage deal”
est basée sur des exportations pour lesquelles
une contrepartie est envisagée.
Exemple, une entreprise étrangère exportatrice
peut proposer spontanément d’acheter
des produits locaux, dans le but d’en déduire
le montant d’une future obligation de
compensation rattachée à la vente de ses
produits dans le pays en question.
4) Le préfinancement. Cette formule intéresse
surtout les pays en voie de développement
ou émergents qui produisent et vendent
des produits de base. L’exportateur
peut, pour vendre sa marchandise, non seulement
reprendre les produits que son client
étranger lui propose en contrepartie, mais
également accepter de les lui payer à
l’avance. Une sorte de crédit financier.
5) L’accord de clearing. Par un accord de
“clearing” (un terme d’origine américaine
qui signifie “compensation”), deux États
conviennent d’acheter mutuellement leurs
produits sans transfert de devises pour une
période déterminée. Dans la pratique, les
fournisseurs des produits dans chaque pays
seront réglés entre-temps en monnaie locale
par la Banque centrale du pays.
6) Le mécanisme du switch. Pour réaliser
une opération de “switch” ou de transfert,
on présuppose une balance clearing déséquilibrée
entre deux pays. La créance est
alors transférée à un pays tiers contre un
paiement en devises (switch financier) ou en
marchandises (switch commercial).
COMPENSATIONS
DEUXIÈME GÉNÉRATION
Ces compensations, de la seconde génération,
sont des opérations commerciales par
lesquelles le vendeur s’engage à réaliser
dans le pays de son client des achats de produits
ou de services, mais aussi des investissements,
des transferts de technologie, des
sociétés mixtes ou toute autre opération en
échange d’une vente qui n’est obtenue qu’à
cette condition. Cette deuxième génération
de compensations peut porter sur des compensations
industrielles ou financières.
Voyons certaines de ses formes :
• Le rachat sur production. Dans ce genre
d’opérations, les produits fabriqués par l’industriel
local sont rachetés par son fournisseur
d’équipements ou d’une technique
industrielle. Mais cette reprise peut aussi
intervenir dans le cadre d’une coproduction
ou d’une société mixte.
Avantages pour l’importateur :
- Il se voit garantir des débouchés pour ses
produits, sans avoir à rechercher un marché
où il manque souvent d’expérience. visant à développer la formation professionnelle
de la population noire. L’Indonésie, lors
de ses acquisitions d’avions, a demandé aux
Occidentaux de construire sur place des
usines de maintenance. Elle s’est ainsi dotée
du centre de maintenance aéronautique le
plus performant de la région.
• Les compensations financières. Les
pays qui recourent à ce genre d’opérations
sophistiquées cherchent à financer des
opérations particulières sans alourdir leur
dette ou les charges publiques. Deux types
d’opérations sont à classer dans cette
catégorie de compensations : le BOT et la
conversion de créance.
- Le BOT (Build, Operate, Transfer) consiste
à rémunérer le constructeur d’un projet
par les recettes provenant de l’exploitation
de ce projet dont celui-ci assure seul la
gestion à ses risques et périls durant une
période déterminée, au bout de laquelle la
propriété est transférée gratuitement à
l’acquéreur (l’État en général). Exemples :
autoroute à péage, réseau de téléphone
portable, centrale électrique…
- La conversion de créance (ou “swap sur
dette”) est utilisée dans les pays endettés
où le gouvernement et le secteur privé ont
des difficultés. Les créanciers sont alors
tentés d’échanger la dette contre quelque
chose d’autre.
À l’origine, ces “Debt Equity Swaps” n’ont
pas été très populaires à cause du risque
d’inflation qu’elles engendrent et, quand
elles étaient liées à des privatisations, se
sont vus accusés de transférer “les fleurons
de l’économie du pays” à des étrangers.
Aujourd’hui, ces opérations ont évolué vers
plus de pragmatisme. De nouvelles affectations
sont apparues, et on dénombre aujourd’hui
cinq types de swaps :
1) Le “Debt for Debt Swaps” : quand un
créancier échange sa dette avec celle d’un
autre créancier. Par exemple, une banque
américaine peut échanger sa dette sur
l’Argentine contre une dette sur le Chili
cédée par une banque allemande. Ce mécanisme
permet aux créanciers de concentrer
leurs dettes sur des pays ou des régions
particulières.
2) Le “Debt for Equity Swap” : la dette sur un
pays est convertie en monnaie locale. Ce
swap permet aux sociétés étrangères d’investir
directement.
3) Le “Debt for Product Swap” : la dette est
échangée contre des produits.
4) Le “Debt for Nature Swap” : les fonds
sont alloués à des projets de défense des
sites naturels.
5) Le “Debt for Education Swap” : ce swap
permet aux étudiants du pays créancier de
suivre des cours dans les établissements du
pays débiteur.
Le schéma de ce type de compensation est
le suivant : après accord entre les parties
concernées, la dette est proposée sur le
marché interbancaire, avec une décote,
dont le degré dépend de la confiance de la
communauté interbancaire dans les possibilités
de remboursement. Par exemple,
s’il s’agit d’un pays peu fiable, une créance
de 100 $ peut être acquise à 60 $ ou
même à 30 $.
Dans une deuxième étape, l’acheteur se
présente à la Banque centrale du pays débiteur
qui lui procure de la monnaie locale
pour une valeur proche de la valeur initiale
(98 % ou 95 %). L’acheteur peut ainsi investir
dans le pays en question à moindre coût.
Par exemple, une société française a ainsi
édifié un village de vacances au Mexique. Le
Mexique a profité de la création d’emplois
engendrée par l’opération, de l’apport en
devises de la part des touristes ainsi que du
paiement effectué aux entreprises locales.
(*) Avocate à la Cour. Ce texte est extrait d’un cours
donné par Me Patricia Chakhtoura à l’École normale
supérieure à Paris sur le thème des “Grands contrats
commerciaux internationaux” qui fit également l’objet
d’une conférence à l’Ordre des avocats de Beyrouth..
- L’importateur bénéficie d’une garantie de
qualité renforcée sur les produits, puisque le
fournisseur s’est engagé à les racheter.
- Il autofinance l’installation et dispose d’une
technologie récente.
Avantages pour l’exportateur :
- Faible coût de la main-d’oeuvre et de l’investissement.
- Il connaît à l’avance la qualité et le prix des
biens qu’il rachète.
• La sous-traitance. L’entreprise étrangère
exportatrice confie ici tout ou une partie de
la production à des sous-traitants locaux, en
leur fournissant l’aide technique nécessaire.
Le tout dans le cadre d’un rapport étroit de
coopération. Lorsque la fourniture principale
porte sur un matériel militaire ou de haute
technologie, ce type de compensation
industrielle est appelé “offset” (qui, en
anglais, signifie “compenser”).
Les pays du Moyen-Orient, pour préparer
l’après-pétrole, se sont beaucoup intéressés
aux offsets : le Koweït, par exemple, afin de
développer son industrie, demande que
30 % du montant des contrats soit réinvesti
dans un projet de développement local.
Ailleurs, les Européens demandent surtout la
création d’emplois locaux, le Canada
cherche à développer certaines régions pour
compenser leur retard économique.
L’Afrique du Sud a des exigences sociales
Exemples libanais
Le Liban fait depuis longtemps des opérations de compensation, et parfois sans le
savoir. Pour les compensations traditionnelles, il existe au Liban peu d’entreprises de
Barter, mais il faut leur rendre hommage pour avoir fonctionné sans aucune aide de
l’État, ni centre de compensation.
Évidemment, ces entreprises souhaiteraient l’établissement au Liban et dans la région
d’un centre de compensation, à l’image de l’American Coutertrade Association, ou de
l’ACECO en France (Association pour la compensation des échanges commerciaux).
Le Liban a aussi pris part à des accords de clearing dans le passé, notamment avec les
pays de l’Est.
De son côté, l’IDAL pourra jouer un rôle dans ce sens. L’“autorité” propose déjà aux
agriculteurs une assistance technique à l’exploitation et à l’exportation. Pour les investisseurs
étrangers, l’IDAL offre des package deals compensatoires de type “investment
vs incentive” et s’occupe aussi des contrats de BOT.
On citera par exemple le centre commercial de la cité sportive, exploité en BOT par la
société qui a exécuté le projet. Selon l’ingénieur responsable du projet, ce type d’opérations
est rentable, parce que les loyers des magasins ne peuvent que monter. Je lui
avais fait remarquer que certaines personnes considèrent qu’il vaut mieux laisser son
argent dormir à la banque, vu les taux d’intérêt élevés. Mais, d’après lui, peu d’entreprises
ont des sommes pareilles à laisser dans une banque. Alors que dans un projet de
BOT, elles s’endettent pour les besoins du projet et remboursent durant l’exploitation,
sans compter que la politique de l’État en matière de taux d’intérêt peut changer.
Au-delà du BOT, la volonté du gouvernement de promouvoir les investissements étrangers
comportant un transfert de technologie ouvre la voie à tout type de compensations
deuxième génération.
Pour ce qui est des compensations traditionnelles, le Liban possède les capacités de les
développer et pourrait en retirer des avantages pour son industrie et ses exportations,
surtout si ces compensations sont combinées avec les formes deuxième génération.
Il est vrai que le recours à la compensation n’est pas une solution miracle pour les problèmes
de financement, d’endettement ou de sous-équipement des unités industrielles.
Néanmoins, la capacité d’adaptation des échanges compensés constitue un
outil dont il serait dommage de priver les entreprises libanaises, qui doivent faire face
aux contraintes du commerce international.