Sélim Sfeir, c’est d’abord celui qui a hissé la Bank of Beirut de la 20e à la 6e place en une décennie. Mais c’est également un banquier qui ne fait pas dans la dentelle. Avec un langage franc, parfois provocateur, il chamboule les idées reçues. Un petit aparté pour savoir à quoi carbure la BoB.
Comment Bank of Beirut est-elle montée
si haut et si vite ?
Il n’y a pas de miracle dans ces processus.
Il y a bien sûr d’abord le travail acharné et
intelligent des équipes en place. Mais l’essentiel
est de se fixer un objectif et de se
diriger vers cet objectif sans louvoyer, sans
brûler les étapes. Si vous voulez mon avis,
tout le monde peut y arriver. Il faut surtout
être réaliste et se doter d’amortisseurs…
Que voulez-vous dire par là ?
Il ne faut pas commettre d’erreur fondamentale,
foncer dans le mur en comptant
sur sa bonne étoile. Mais plutôt croître sans
prendre des risques inutiles, même si le
métier de banquier est un métier à risques.
La croissance est une résultante, la conséquence
d’une politique à risque réduit qui
va permettre d’aller de l’avant.
Les deux fusions que Bank of Beirut a
réalisées (Transorient Bank en 1999 et
Beirut Riyad Bank en 2002) étaient
donc des pas sans risques ?
La fusion n’est pas une stratégie, c’est
un concours de circonstances.
Ces
fusions n’ont pas été
préméditées.
Maintenant, en
valeur absolue, le
mariage est un bonheur.
En valeur relative,
c’est la vie avec ses hauts et ses
bas. En tout cas, je crois que nos fusions
ont été les plus réussies dans notre environnement
bancaire libanais.
Pour un observateur extérieur, l’image
qui colle le plus à la Bank of Beirut est
la créativité, l’invention régulière de
produits. Cela fait-il partie de la culture
de la banque ?
Notre métier est très simple en fin de
compte. Nous ne créons rien d’absolument
nouveau. C’est le marché qui exprime un
besoin. Que je vous donne un exemple à
partir du personnel de la banque : en 1992,
il n’y avait plus dans le pays de classe
moyenne ; nous avons commencé par
nous-mêmes, par constituer une microclasse
moyenne dans la banque. Nous
avons dopé notre productivité, prolongé les
horaires de travail, mais aussi réajusté les
salaires (avec une augmentation de 33 %),
offert à nos cadres des crédits à l’habitat...
Et c’est à partir de là que nous avons commercialisé
nos produits. Ce qui était bon
pour nous l’était aussi pour les autres, car
le marché était assoiffé de liquidités pour
satisfaire les besoins de la population.
Actuellement, les entreprises, y compris
les banques, ont tendance cependant
à chercher des revenus sur les
marchés extérieurs.
Qu’en est-il
de la Bank of
Beirut ?
Nous sommes actifs
dans chacun des
pays arabes à travers
une présence
physique ou des voyages réguliers de
nos cadres. Le marché moyen-oriental
représente presque 40 % de notre activité
en termes de volume. Notre branche
de Londres est par contre un bébé
de quelques mois d’existence. C’est un
Les banques auraient
dû conditionner leurs
souscriptions à la réalisation
du projet de Paris II
hub européen pour servir nos activités
à l’étranger.
La Syrie vous intéresse-t-elle ?
Nous y sommes depuis 10 ans, même
sans branche. Et je suis optimiste pour le
marché syrien qui va devenir prospère et
plus important que les marchés environnants,
avec un secteur privé assez fort et
un marché de 20 millions de personnes.
Les besoins existent. Pourquoi voulez-vous
que les Syriens s’adressent à des banques
hors de leur pays, s’ils peuvent avoir
accès, à terme, à de bons services bancaires
chez eux ?
C’est peut-être une question de confiance…
L’existence du secret bancaire ?
Mais le particulier n’en a pas vraiment
besoin, s’il n’a rien à cacher et qu’il a fait
son argent à la sueur de son front. Pour les
autres, les personnes malhonnêtes, il n’y a
plus de secret bancaire. Pourquoi la valeur des actions de la
Bank of Beirut ne diminue-t-elle pas
comme c’est le cas avec d’autres
banques ?
Parce que nous n’avons pas surévalué nos
titres à l’origine. Nous n’avons à aucun
moment gonflé la valeur de nos actions.
D’autre part, nous n’avons pas tapé à la
porte d’actionnaires spéculatifs.
L’investissement est à long terme et le marketing
de nos actions est une opération permanente.
De plus, nous avons toujours créé
des liquidités à nos actionnaires et l’action
a toujours reflété la valeur tangible de nos
actifs. Preuve en est, les forces du marché
étant les mêmes, nos actions restent
stables et notre équilibre entre l’offre et la
demande a été ascendant.
Où se situe aujourd’hui votre politique
de crédit ?
Notre exposition au risque souverain est de
22 %, ce qui est inférieur à la plupart des
grandes banques de la place. En fait, nous
nous sommes fixé des ratios d’utilisation
de nos ressources disponibles, à raison de
1/4 en gros pour chacune des quatre
branches : l’État, les entreprises, les placements
liquides et la quatrième se divise en
deux, produits de détail et immobilier. Nous
aurions pu, pour une meilleure rentabilité,
augmenter nos investissements dans telle
ou telle branche, mais nous tenons toujours
à détenir une bonne proportion de liquidités,
parce que nous appartenons à un environnement
risqué.
La circulaire publiée par la Banque du
Liban pour le recouvrement des mauvaises
dettes était-elle nécessaire ?
Non, pas du tout. Il ne faudrait pas que l’État
interfère dans l’activité quotidienne du secteur
privé. Une transparence sans équivoque est la
meilleure relation entre la banque et le client.
Pourquoi utiliser une circulaire pour régler des
problèmes individuels ? C’est une porte ouverte
aux louvoiements.
Malgré tout le respect
que je dois aux autorités
monétaires, il ne
fallait pas fixer des
catégories au niveau
des dettes, parce que
ce classement pousse
le client à profiter des avantages liés à une
catégorie précise pour échapper à ses obligations.
La banque connaît très bien la situation
de chacun de ses clients ; elle sait très bien
qui a besoin d’aide, qui se débine sans raison,
qui est correct. Nous n’avons besoin que de
tribunaux efficaces, rapides et non politisés.
Vu le déficit du budget, les banques
devraient-elles, ou vont-elles, continuer
à souscrire aux eurobons et aux bons
du Trésor ?
On peut souscrire dans le cadre d’un choix
libre, non imposé, mais aussi en respectant
un bilan équilibré, une profitabilité étudiée,
des ratios bien dosés. Le marché en tout
cas doit être libre et non soumis à des pressions,
comme c’était le cas par exemple
pour la souscription à 0 % ! Si l’État avait
poursuivi son projet présenté à Paris II, j’aurais
été le premier à accepter, sans aucune
pression, la souscription à 0 %. Cette dernière
nous a coûté très cher. Les banques
auraient dû conditionner leurs souscriptions
à la réalisation du projet de Paris II.
Quel est le rendement moyen des
actions de la Bank of Beirut ?
Le rendement sur les droits des actionnaires
(RoAE) est de 18 %. Mais je voudrais
ici clarifier un point important. Sur
le marché libanais, journalistes et politiciens
attaquent depuis quelque temps les
banques et leurs bénéfices, soutenant
qu’il est temps que le secteur bancaire
fasse des sacrifices, puisqu’il a suffisamment
profité de la situation. Il faudrait
que tout ce monde sache que nos
niveaux de profits répondent à des
normes internationales. Les taux de profitabilité
des banques
libanaises sont en
dessous de la
moyenne mondiale ;
et nous ne pourrons
pas continuer à garder
nos actionnaires
ou en attirer d’autres
si nous réduisons notre profitabilité, qui
est aussi une sécurité pour les déposants.
À titre d’exemple, le taux de profitabilité
de la City Bank est de 24 %,
celui de Royal Bank of Canada de 30 %
et celui des banques des pays arabes de
35 %. Un taux élevé de profitabilité reflète
la confiance. Et il ne faut pas oublier
que celle des banques n’est pas de
même nature que les profits des commerçants.
Les bénéfices n’entrent pas
directement dans les poches des actionnaires.
Les banques ne distribuent pas la
totalité des bénéfices, il y a des provisions
à constituer.
La loi sur la fusion des banques est-elle
encore utile ?
Non, cette loi, telle qu’elle était conçue, n’est
pas très utile, car elle a eu pour effet d’augmenter
artificiellement le prix des banques,
défaillantes ou non. D’ailleurs, la
Commission de contrôle des banques pourrait
être, en amont, plus rigoureuse, pour éviter
justement des défaillances financières au
sein des banques. L’avantage accordé par la
BDL, à l’occasion d’une fusion, a donc généralement
servi à surévaluer les prix des
banques qui étaient candidates à la vente.
Une loi sur la fusion devrait être élaborée
juste pour mettre de l’ordre dans les aspects
légaux et non pour offrir des avantages
financiers qui ne profitent pas en fin de
compte à l’établissement acquéreur.
Actionnariat
Actionnaire Part (%)
International Century Corp. 28,19
Luxembourg SA (Holding)*
Adib S. Millet 10,11
Nar A. Khatchadourian 9,21
Emirates Bank International 8,73
Antoine A. Abdel-Massih 6,58
F.I. al-Mugayel Son’s Co. Ltd 4,32
Salim G. Sfeir 3,29
Fawaz H. Naboulsi 3,29
International Century Corp. 3,19
Lebanon (Holding)*
Youssef A. Abdel-Massih 1,64
Anwar M. el-Khalil 0,80
Prince Khaled ben Turki al-Saoud 0,54
Farid M. el-Khalil 0,46
Fayçal M. el-Khalil 0,46
Nabil J. Bustros 0,45
Joseph G. Ghorra 0,19
Prince Mohamed ben Fahed al-Saoud 0,14
Saïd M. Ayyas 0,14
Public (près de 900 actionnaires) 18,27
Total 100
(*) La holding Intl Century Corp. a été instituée, au
début des années 90, pour justement racheter la
BoB qui était une petite banque à l’époque. Elle a
été constituée par quelques-unes des personnes
citées ci-dessus, et par d’autres, à titre individuel.
Les taux de profitabilité
des banques libanaises
sont en dessous
de la moyenne mondiale
C
(en milliards LL) (*) Y compris les certificats de dépôt
4000
3500
3000
2500
2000
1500
1000
500
0
98 99 00 01 02
1 704 1 972
2 324 2 520
Évolution des dépôts* 3 561