L’Université libanaise n’a jamais eu la vie facile. Et ce n’était pas durant la décennie passée que ça allait s’améliorer. La dernière grève marathon a simplement permis de médiatiser une situation de crise larvée. Quelques petites pages pour mieux saisir les enjeux.
Capacité d’accueil
La capacité d’accueil est déjà largement
dépassée. Les chiffres sont éloquents :
près de 65 000 étudiants sont inscrits dans
les 16 facultés de l’UL, divisées en 51
branches, et distribuées sur les différentes
régions. Or, la capacité d’accueil totale de
ces branches n’est que de 19 400 étudiants
si l’on considère que 3,5 m2 sont
nécessaires pour chaque étudiant dans une
faculté d’enseignement théorique (littérature…)
et 8 m2 pour les autres.
L’Université libanaise regroupe plus de
60 % du total des étudiants de l’enseignement
supérieur. Parmi les 16 facultés, 12
disposent heureusement de concours à
l’entrée, constitués par des tests qui garantissent
un filtrage la base. Pour cette
année par exemple, des 7 600 étudiants
U ne liste de revendications longue
comme le bras, quatre semaines de
grève des professeurs et des améliorations
accordées au compte-goutte : le
chemin est encore long pour le redressement
de l’Université libanaise, selon Issam
Khalifé, membre du conseil des professeurs
de l’Université – et ancien président.
Qui établit une liste des principales difficultés
que connaît l’institution cinquantenaire.
Autonomie
C’est le souci principal des responsables
de l’Université libanaise, et la priorité
dans l’introduction de toute réforme.
Acquérir son indépendance par rapport
aux interventions politiques est vital pour
l’avenir de l’UL. Par exemple, la formation
d’un Conseil représentatif de l’université
et des Conseils de facultés est
réclamée à cor et à cri. Un tel conseil,
qui regroupe administration, professeurs
et étudiants, est prévu par une ancienne
loi qui n’est plus appliquée depuis plusieurs
années.
Ces conseils font office de filtrage. Par
exemple, lorsqu’un
professeur présente
sa candidature
auprès de l’université,
son dossier est
discuté à l’intérieur
de ces conseils. Les candidatures sont
alors proposées du bas vers le haut, et
non imposées du haut vers le bas.
Aujourd’hui, c’est le Conseil des
ministres qui s’est assigné les prérogatives
de nommer et de cadrer professeurs
et doyens de l’UL. C’était, pour les
politiciens, la façon la plus directe pour
nommer leurs affiliés là où il faut.
Et puis, à partir de professeurs acquis à
l’un ou l’autre de ces politiciens, il était
normal, par un simple coup de fil, de
faire réussir des étudiants. Une personnalité
particulièrement influente établissait
même chaque
année une liste
d’étudiants à faire
diplômer. «Si ces
interventions existent,
répond diplomatiquement
Issam Khalifé, elles sont
bien entendu condamnables, et ces cas
doivent être soumis au Conseil de discipline
». Suite à la grève, le Conseil des
ministres a promis de soumettre au
Parlement un projet de loi pour réactiver
les Conseils de facultés.
Une des manifestations organisées par les professeurs de l’UL.
En médaillon, au milieu, Issam Khalifé : «Le chemin est encore long pour le redressement».
C’est le Conseil des ministres
qui s’est assigné les prérogatives
de nommer et de cadrer
professeurs et doyens de l’UL en 2001-2002 jusqu’à environ 2 040
actuellement, alors que la loi prévoit que
seul le quart du nombre des professeurs
doit être formé de
contractuels à
l’heure. Pour ceuxlà
également, surtout,
le recrutement
est souvent soumis
aux interventions
politiques, car on est alors moins regardant
sur les qualifications. Mais pour ces profs,
le problème principal est celui du paiement
de leur dû, qui est parfois effectué
dans un délai de plusieurs années. Dans
ces conditions, il est logique de voir les
meilleurs d’entre eux s’en aller. Une
solution préconisée pour régler ce problème
serait le recrutement à mi-temps
au lieu du plein-temps, ce qui permettrait
aux professeurs d’exercer leur
métier de base à l’extérieur. Mais on
peut aussi opter pour la promotion de
certains professeurs assistants (détenteurs
de doctorat 3e cycle) jusqu’au
grade de professeurs (qui doivent être
détenteurs en principe d’un doctorat
d’État), si le nombre des publications
justifie une telle promotion, comme
seurs s’en vont, soit
pour rejoindre d’autres
universités, soit pour
avoir atteint l’âge de la
retraite. Sans que
d’autres les remplacent.
Avec une moyenne
d’âge pour les professeurs
de 53 ans (contre
40 ans dans les pays
développés), on calcule
que sur les huit prochaines
années 576
professeurs vont aller à
la retraite. Et dans cinq
ans, 80 % des professeurs de la faculté de
droit seront à la retraite.
À ce jour, on compte près de 47 étudiants
pour un professeur, alors que les règlements
en prévoient au plus 20. Certains
professeurs, envoyés
à l’étranger grâce à
des bourses pour
compléter leur formation,
avec un engagement
de leur part de
servir l’université
pendant trois ans au moins, ne sont plus
recrutés à leur retour de formation. Ce qui
donne une idée sur le gaspillage pour l’UL.
De 1997 à 2004, aucun nouveau professeur
n’a été cadré à plein-temps, et ce n’est qu’à
la suite de la longue grève récente que la
décision a été prise
d’engager 30 professeurs
cadrés à
plein-temps. Au
total, l’UL comptait,
en 2003, près de
1 188 professeurs
cadrés et 368 autres à plein-temps, soit un
total de 1 556 professeurs.
Pas étonnant alors que le nombre des professeurs
contractuels “à l’heure” ne fait
que gonfler, passant de 1 800 contractuels
qui se sont présentés à la faculté de gestion,
seuls 1 100 ont été admis.
Malgré cela, le nombre des inscrits augmente
naturellement avec 20 000 bacheliers
tous les ans, sans que la capacité d’accueil
de l’université soit augmentée. Il n’y a
même pas d’investissements suffisants
pour l’entretien et la réfection des bâtiments,
dont certains, notamment dans le
Nord, sont dans un état lamentable. Même
si les chiffres relatifs au nombre des inscrits
seraient, selon les détracteurs, quelque peu
gonflés par de “faux étudiants” qui ne s’inscrivent
que dans le but d’obtenir une couverture
CNSS au prix étudiant.
Cette année, dans le cadre de la loi-programme
relative, il était prévu d’allouer 51 milliards
LL pour les bâtiments de l’UL, mais ce
montant a été réduit à zéro pour 2004, selon
le projet de budget. Et le terme de la loi-programme
a été reculé
jusqu’en 2008.
De plus, c’est uniquement
le campus
de Hadath qui est
concerné par ce projet
de construction –
bien que sa capacité ne va pas au-delà de
27 000 étudiants, au détriment des campus
de toutes les autres régions, alors qu’il faudrait
arriver à décentraliser l’enseignement.
Et peut-être aussi scinder l’UL en plusieurs
universités, en reprenant l’idée de l’ancien
ministre Ghassan Salamé : «Même un génie
ne pourra pas gérer une université à 70 000
étudiants». Il est également à noter que les
94 immeubles résidentiels loués par l’UL ne
sauraient former des campus universitaires
dignes de ce nom.
Professeurs
Alors que le nombre des étudiants ne fait
qu’augmenter, le nombre des professeurs
de l’UL diminue constamment. Des profes-
Loi-programme
sur les bâtiments de l’UL
La loi n° 409 de 1995, relative à la construction
de nouveaux bâtiments pour l’UL, a
été encore une fois amendée dans le projet
de budget 2004, et les montants alloués
répartis comme suit (en milliards LL) :
2004 2005 2006 2007 2008
Zéro 75 25 55 51
au lieu de l’ancienne répartition :
2004 2005 2006 2007
51 75 25 55
C’est uniquement le campus de Hadath qui est concerné par le projet
de construction, bien que sa capacité ne va pas au-delà de 27 000 étudiants.
Il était prévu d’allouer
51 milliards LL pour les bâtiments
de l’UL, mais ce montant
a été réduit à zéro pour 2004
Certains diplômés, envoyés
à l’étranger grâce à des bourses
pour compléter leur formation,
ne sont plus recrutés
à leur retour de formation
c’est la règle dans le monde universitaire
dans d’autres pays. Issam Khalifé luimême
est toujours un professeur assistant
(car il n’a “que” le doctorat 3e cycle), alors
qu’il a déjà à son actif 27 ouvrages, et est
parmi les meilleurs spécialistes en histoire
ottomane, entre autres.
Trésorerie
Le budget global de fonctionnement de
l’Université libanaise n’a fait que diminuer
durant les dernières années. Car ce budget
dépend à 85 % de la contribution de l’État.
Qui a diminué de 155 milliards LL en 2001
à 145 milliards en
2002 et 135 milliards
en 2003.
Résultat : la presquetotalité
du budget de
l’UL (90 %) est
consacrée aux
salaires, et ne reste que très peu de moyens
à allouer aux investissements. Ce budget
devrait être réparti à 60 % pour les salaires
et à 40 % pour les équipements et autres
dépenses universitaires, telles que les
bibliothèques, les bourses, les recherches,
les publications, conditions primordiales
pour renouveler les connaissances et
empêcher l’Université d’aller vers l’étouffement.
À titre d’exemple, le montant alloué à
l’achat de livres pour la faculté de droit n’est
que de 10 millions LL.
De toute évidence, l’État ne considère pas
l’UL comme un bon investissement,
puisque, déjà, 70 % des dépenses
publiques consacrées à l’enseignement
supérieur sont allouées au secteur privé, à
travers les allocations d’éducation
octroyées aux fonctionnaires pour que
leurs enfants rejoignent les universités
privées. Autre exemple, le Conseil national
de la recherche scientifique (CNRS) a subventionné,
pour la période 1998-2000,
105 projets de recherche pour un montant
de 596 millions LL à l’UL contre un montant
de 753 millions LL à l’AUB.
Cependant, l’administration de l’UL est à
blâmer aussi, puisqu’un montant de 1,5
milliard LL, qui
avait été alloué
dans le budget aux
recherches, n’a pas
été dépensé.
Par ailleurs, alors que
la trésorerie est
étouffée, l’article 21 du projet de budget 2004
stipule que les étudiants syriens seront
exemptés de tous les frais d’enregistrement,
ce qui représente une charge financière supplémentaire
pour l’UL et une injustice par rapport
aux étudiants libanais.
Retraite
Ceci dit, la revendication principale des
professeurs ne concerne pas une quelconque
augmentation de leur salaire. Les
23 jours ouvrables de grève représentaient
d’abord une protestation contre l’injustice
qui se situe au niveau du paiement des
retraites et de la mutuelle des professeurs.
En effet, les professeurs
de l’UL
cotisent 6 % de
leur salaire pour la
retraite, plus un
demi-salaire du
premier mois de leur entrée dans le cadre,
plus l’augmentation pour cherté de vie au
premier mois de son application. Mais le
ministère des Finances, selon les grévistes,
garde une mainmise sur ces cotisations.
Les salaires de retraite ne sont pas proportionnels
aux montants de cotisations accumulés,
augmentés des intérêts, durant des
dizaines d’années.
D’autre part, les professeurs demandent
que les retraites soient calculées sur une
base de 30 années de cotisations au lieu de
40 années, puisqu’il faut prendre en considération
qu’un prof universitaire ne peut
débuter sa carrière que vers l’âge de 30
ans – par la nécessité d’avoir un diplôme de
niveau de doctorat –, alors que d’autres
fonctionnaires publics peuvent commencer
leur carrière beaucoup plus tôt.
Comment sont rémunérés les professeurs
cadrés ? Le niveau de professeur
le plus bas – qui est le niveau de “répétiteur”
– est rémunéré à 1,8 million LL
par mois. À partir de là, se succèdent 16
échelons progressifs de deux ans chacun
(soit une période totale de 32 ans), ce qui
équivaut à chaque fois à la somme supplémentaire
de
135 000 LL par rapport
au niveau précédent.
Les professeurs
perçoivent également
une indemnité
de transport de 140 000 LL durant les mois
de cours, ainsi qu’une assurance hospitalisation
à partir de la caisse mutuelle de
l’Université. Mais là aussi, bien qu’il cotise
de son salaire pour la caisse mutuelle, le
professeur n’en profite pas toujours, car
l’État n’y contribue qu’à compte-gouttes.
Par exemple, les crédits à l’habitation ne
sont pas octroyés, alors qu’ils sont prévus
dans les règlements de la caisse. À la
retraite, après 34 ans de travail, le salaire
de retraite sera égal à 2,9 millions LL, ce
qui est inférieur à ce qu’il a cotisé. Et bien
en deçà de ce que peut obtenir un prof
dans un pays développé.
Répartition des étudiants de l'UL
en 2002–2003
Faculté/Institut
Lettres et sciences humaines 25 641
Sciences 9 886
Droit et sc. politiques et administratives 8 092
Sciences sociales 6 052
Sciences économiques et gestion 3 672
Génie 2 053
Pédagogie 2 010
Santé publique 1 931
Beaux-Arts 1 742
Journalisme et documentation 1 492
Sciences appliquées et économiques 818
Sciences médicales 692
Tourisme 414
Technologie 356
Agronomie 239
Médecine dentaire 225
Pharmacie 215
Total 65 530 C
Bien que le professeur cotise
de son salaire pour la caisse
mutuelle, il n’en profite
pas toujours
L’article 21 du projet
de budget 2004 stipule
que les étudiants syriens
seront exemptés de tous les frais
d’enregistrement