D’un côté des ressources financières considérables et peu utilisées, et de l’autre des entreprises qui ont besoin de se financer. Cette situation dans le Golfe a donné naissance à une “titrisation islamique” – conçue à Beyrouth.
Une première opération de titrisation en Arabie saoudite,
appelée “Caravan 1”, a comporté l’émission de titres
appelés Sukuks d’un montant de 98 millions de rials. De
quoi s’agit-il ? Dans cette structure, une société saoudienne de
leasing de véhicules, leader sur le marché local, a cédé son
portefeuille de véhicules et de contrats de leasing à une
“Special Purpose Company” (SPC) qui en a payé immédiatement
le prix (moyennant bien entendu une déduction) à la
société cédante. À son tour, la SPC s’est
financée auprès d’un “Special Purpose
Vehicle” qui a levé les fonds nécessaires
en émettant lesdits Sukuks.
Ce montage a été structuré par un établissement
financier libanais, BEMO
Securitisation, dirigé par Riad Obégi.
L’opération “Caravan 1” est en fait à cheval
sur plusieurs juridictions, dont notamment
celles de l’Arabie saoudite et de Jersey. Elle a donc vu
l’intervention, aux côtés de l’auteur, de cabinets d’avocats
américains en Arabie et à Jersey. Pour le monde de la finance
internationale, c’était une percée qualitative.
En fait, l’intérêt premier de cette ingénierie pionnière est qu’elle
a répondu à des besoins de plusieurs acteurs : d’abord les
entreprises en quête de modes alternatifs de financement
(autres que l’endettement), et puis les banques et fonds de placement
régionaux qui cherchent des investissements à la fois
rentables et conformes à la loi islamique.
APPLICATION LIBANAISE
La titrisation islamique qui a vu le jour dans le Golfe peut tout
naturellement s’appliquer au Liban, pays où elle a été conçue.
Il suffit d’avoir présent à l’esprit le principe selon lequel il est
possible de faire de la titrisation sans texte : la théorie n’enseigne-
t-elle pas que tout ce qui n’est pas défendu est permis
? Ce qui a été d’ailleurs démontré lors de la pratique réussie
des deux premières opérations de titrisation libanaises. Il
est donc tout à fait envisageable de monter des opérations
financières islamiques sans texte.
Ceci dit, notre législateur national a ébauché l’accueil de la
titrisation et des opérations islamiques, et ce en promulguant
deux textes :
• D’abord la loi n° 430 (du 6 juin 2002) concernant la gestion et la
réduction de la dette publique, y compris par des opérations de
titrisation. Cette loi réglemente la titrisation d’État, ce qui laisse la
titrisation privée hors de son champ d’application.
• Ensuite, la toute récente loi n° 575 (du 11 février 2004) portant
«création des banques islamiques au Liban». Cette loi vise
non seulement la structure des institutions
bancaires mais aussi les opérations bancaires
islamiques.
Pour qu’une opération de titrisation soit
considérée comme conforme aux préceptes
islamiques, il faut que tous les éléments
liés à la titrisation soient “halal”. Par
exemple, concernant les actifs sousjacents
à titriser, ils ne doivent pas être
“haram” (alcool, jeux de hasard, etc.), le cédant lui-même ne
doit pas être une entreprise liée à ce type d’actifs, et enfin la
structure financière doit être fondée sur des contrats découlant
de la “moudaraba”, la “mourabaha”, la “moucharaka”, la
“ijara”, etc. qui écartent le versement d’intérêts.
Et tout cela est bien réglementé : les titres émis constitueront alors
des “Sukuks” au sens de la 17e Shari’a Standard, telle que formulée
par la référence en la matière, “Accounting & Auditing
Organization for Islamic Financial Institutions”. Puis l’opération
sera confirmée par un “Shari’a Board”, à l’autorité reconnue dans
le monde de la finance internationale, qui émettra une “fatwa” certifiant
que les fruits des “Sukuks” sont “halal”. L’ensemble est
donc bien structuré, ce qui a permis justement à la première titrisation
islamique de voir le jour, ouvrant la voie à un moyen de
financement original et applicable partout.
(*) Nasri Diab est professeur à la faculté de droit de l’USJ, avocat à la Cour et
membre de l’Energy Institute (Londres). En 2002, il a mis en place la structure
juridique de la titrisation fiduciaire qu’il a utilisée pour le montage des deux premières
opérations libanaises, et il a copublié l’ouvrage de référence sur “La titrisation
des actifs”.
Les deux premières opérations libanaises de titrisation sont :
- Avril 2002 : “ Indigo Trust Fund” portant sur des actions Solidere qui ont servi
comme actifs sous-jacents.
- Novembre 2002 : “Clon 1” comportant l’émission de “Currency Linked Originated
Notes” en dollars.
La titrisation islamique
qui a vu le jour dans le Golfe
peut tout naturellement
s’appliquer au Liban,
pays où elle a été conçue